Révolution – acte 2

Les 9 mois que nous venons de vivre ont bien constitué une Révolution politique soft. Mais ce n’était que l’acte 1. Et si on commençait à réfléchir à l’acte 2 ? Il pourrait être encore plus intéressant en touchant au fonctionnement de nos institutions…

Chacun l’a dit : l’Assemblée que nous avons élue est inédite sur tous les plans. Résumons. Plus de femmes, plus de jeunes, plus d’acteurs économiques. Beaucoup plus de nouveaux députés (un renouvellement à plus des trois-quart est du jamais vu). Ce mouvement n’a pas touché que le groupe En marche, il a emporté l’ensemble de la représentation nationale à la faveur de la première application de la loi sur le non-cumul des mandats. Donc une Assemblée sinon représentative sociologiquement en tous cas donnant une idée de la diversité française.

Ce premier aspect est renforcé par la composition politique de la nouvelle Chambre. Aucun des sept groupes qui se sont créés – aucun – ne peut se revendiquer d’être le continuateur direct et complet des groupes ayant siégé dans l’hémicycle précédemment. Autour des Marcheurs la dispersion est totale. 2 droites + 1 Modem, 2 socialistes + un Insoumis sans le PC, ça fait beaucoup ! Si on a bien compris, le Président et son gouvernement sont soutenus à des degrés divers par 4 des 7 groupes ! Pas d’opposition donc mais des micro-groupes d’expressions des désaccords. Pour parler d’opposition, il faudrait en effet avoir face à la majorité une alternative à proposer et une crédibilité suffisante pour avoir une chance de gagner les élections suivantes seuls ou par une coalition. Cette perspective est aujourd’hui pratiquement inimaginable. Ainsi malgré un parti Les Républicains avec plus d’une centaine de sièges, les droites, divisées en deux groupes concurrents, se neutralisent mutuellement comme l’a montré par l’absurde l’élection du président de la commission des Finances.

Ce qui me frappe c’est que cette situation semble actée par tous comme la nouvelle donne de la vie politique française dont nous devrions nous satisfaire alors qu’elle signe tout de même l’impossibilité de l’alternance gauche/droite qui reste pour beaucoup la base du pacte démocratique. Contrairement au voisin allemand nous n’avons pas affaire à une coalition unissant parti de gauche et parti de droite qui continuent à s’opposer le temps des élections, nous avons un seul parti central et des forces purement protestataires. En marche ou les extrêmes, tel semble être notre nouvel horizon démocratique. On comprend que ça ne donne pas envie de regarder vers l’avenir mais c’est quand même un peu faire l’autruche !

Nous n’allons pas pouvoir vivre dans un éternel présent. La politique c’est par essence la projection dans l’avenir, ne serait-ce qu’électoral. Croyons-nous vraiment qu’il faut s’armer de patience et attendre que de nouveaux partis émergent et réinventent le jeu électoral classique ? Je crains fort que l’accélération de l’histoire ne nous en laisse pas le temps. Malgré leurs défaites respectives en 2007 et en 2012, ni le PS ni LR n’ont su profiter de leur cure d’opposition pour se réinventer. Qui peut croire qu’ils le feront cette fois en étant à ce point laminés et divisés ? Les Insoumis, qui représentent comme En marche une nouvelle génération d’engagement, peuvent-ils constituer une alternative, peuvent-ils construire une alternance ? Aujourd’hui, même en imaginant l’échec du gouvernement actuel, on ne voit pas comment se ferait le passage de la protestation à la prise de responsabilité.

L’inattendue victoire d’Emmanuel Macron oblige à accélérer et à radicaliser la réflexion que nous sommes nombreux à avoir amorcée. Je réfléchis sur le plan théorique, depuis longtemps déjà, à l’articulation entre un exécutif élu sur une vision d’avenir et un législatif tiré au sort pour représenter la société dans sa diversité. On y est presque !

Voici un court extrait de ce que j’écrivais il y a près de 15 ans et que je vais sans doute publier à l’automne (tout arrive !) :

C’est l’interaction entre un pouvoir politique et un pouvoir sociétal qui nous semble la clé du renouveau de notre démocratie. Pour donner toute sa place à une Assemblée de citoyens, le régime « présidentiel », où chacun des deux pouvoirs, l’exécutif et le législatif, sont sur un pied d’égalité, apparaît comme une nécessité. Le Président, élu au suffrage universel comme actuellement, aura ainsi à composer avec une assemblée non partisane. Face à une assemblée mieux à même de traduire les attentes de la société, le président retrouve sa fonction première d’incarnation d’une vision et d’un projet politique. Il n’y a plus de cohabitation occasionnelle entre deux volontés politiques, il y a une cohabitation permanente et nécessaire entre la politique et la société.

Le Président élu ne manque pas de charisme, Hulot lui fournit une feuille de route ambitieuse et Philippe a la capacité de mettre en musique la partition. Pour la plupart des observateurs, l’attelage à trois ne peut pas marcher et, habituels Cassandre, ils misent sur un éclatement de l’alliance avant la fin de l’année. J’ai envie de croire que les choses peuvent se passer autrement, que les trois hommes peuvent faire équipe sans tomber dans le jeu des rivalités stériles. Macron est clairement un leader mais il peut se laisser inspirer et Hulot a donc une chance d’être entendu. Philippe aux dires de beaucoup aime (contrairement à Fillon) être le collaborateur zélé d’un « maître » (Juppé hier, Macron aujourd’hui mais aussi, on l’oublie un peu, Attali quand il était maire du Havre avec l’économie positive et le LH Forum). Hulot n’a rien à perdre et peut donc se montrer exigeant sur le fond et souple sur la forme. Le triumvirat peut nous surprendre et ne pas nécessairement laisser percer Napoléon sous Bonaparte. Hulot ne sera pas forcément Sieyès, ni Philippe un Ducos oublié par la postérité !

Quant à l’Assemblée, on l’a dit, elle est la plus sociologiquement représentative qu’on ait eu depuis bien longtemps. Moins classiquement politique, elle peut assez vite s’émanciper de l’exécutif contrairement à ce qui se dit aussi. Les majorités larges et inexpérimentées ne sont pas nécessairement des majorités godillots. On peut imaginer un autre scénario compte tenu du fait que la pression électoraliste est plus faible qu’habituellement avec un parti en place qui a peu à craindre de ses oppositions. Les députés privés du cumul des mandats vont être amenés à se concentrer sur leur mandat parlementaire. Souvent habitués dans leur vie antérieure à avoir des responsabilités, ils vont avoir envie de se saisir des dossiers qui leur tiennent à cœur. Face au gouvernement nous devrions trouver des élus à même de débattre, de construire des alternatives ou des enrichissements à des projets de loi toujours concoctés dans le même moule par les cabinets ministériels. La société civile pourrait enfin prendre la parole au Parlement pour mieux faire entendre sa capacité à être une part de la solution. Des lois pourraient ainsi laisser plus de place à l’initiative citoyenne, à la coopération public/privé, à l’implication des bénéficiaires dans les services rendus par la collectivité.

Si, dans trois ans, un tel fonctionnement s’avérait positif ne pourrait-on pas envisager d’introduire une dose de tirage au sort dans la désignation des députés ? Ce serait plus fort et plus neuf que l’éternelle promesse (jamais tenue) d’une dose de proportionnelle. Bien sûr, je rêve. Mais ne faut-il pas d’abord rêver la réalité pour qu’elle advienne un jour ?

URGENCE DE LA TRANSITION ; NÉCESSITÉ DE SA MISE EN OEUVRE

Exceptionnellement un texte que je n’ai pas écrit mais dont je partage pleinement les interrogations : comment donner plus de force aux initiatives citoyennes ? les pistes proposées amènent à revoir profondément la relation élus-citoyens, tant dans la représentation que dans la manière de décider.

J’ai souhaité exceptionnellement publier un texte que je n’ai pas écrit. Il l’a été par Jean-Pierre Worms et diffusé à la fois dans les réseaux des intellectuels convivialistes et ceux du Pouvoir citoyen en marche. Certains d’entre vous connaissent bien Jean-Pierre Worms, il a accepté dès l’origine de participer à l’orientation des Ateliers de la Citoyenneté, il a récemment rédigé la préface de mon livre. Pour ceux qui ne le connaissent pas, sachez simplement que c’est un jeune homme de 80 ans qui a été tour à tour ou simultanément sociologue, élu local et national, acteur associatif innovant. Toujours actif, toujours prêt à s’enthousiasmer pour une nouvelle aventure. Je trouve important de partager ses alertes et surtout les moyens qu’il propose pour faire face à l’urgence. Avec son autorisation je n’ai repris que ses propositions finales, les lecteurs de ce blog sont en effet familiers des prémisses de son discours qui forment aussi la trame de mes écrits : la crise démocratique née « des logiques mortifères de la démesure à l’œuvre dans tous les domaines [qui] convergent et s’accélèrent » et aussi les ressources qui naissent de cette même crise, avec « la pertinence et la puissance des savoirs d’expérience et du pouvoir d’agir des citoyens ». Jean-Pierre Worms pointe les difficultés du passage entre le monde qui se meurt et celui qui émerge. C’est ici que je lui laisse la parole.

 

Deux difficultés, parmi bien d’autres sans doute, doivent être particulièrement soulignées car elles appellent de fortes mobilisations pour les surmonter.

La première tient à l’émiettement de cette diversité d’initiatives qui freine la construction d’une capacité commune de transformation sociale, d’un véritable pouvoir politique partagé.

Si, comme le veut notre tradition française, certaines initiatives novatrices se diffusent sur le territoire selon la rationalité décentralisatrice descendante d’une organisation de type fédéral, la grande majorité de ces «créatifs culturels», de ces «défricheurs» et «innovateurs sociaux», dont les initiatives «partent du bas» et sont liées aux spécificités de leurs territoires d’émergence, se méfient du risque d’aliéner leur liberté d’initiative dans la participation à toute forme d’organisation collective supérieure et du moins n’en voient pas l’utilité. Isolées les unes des autres et sans aptitude à intervenir ensemble dans l’espace public, leur visibilité médiatique et leur pouvoir transformateur ne correspond pas au poids réel des volontés, intelligences et compétences citoyennes mises en mouvement.

Un autre facteur encore plus grave freine la mise en synergie de ces initiatives : la reproduction au sein de la société civile de ce découpage de la société en «silos» verticaux déconnectés les uns des autres qu’opère le traitement administratif centralisé des problèmes sociaux. L’emploi, l’éducation, le logement, la santé etc. relèvent de champs de compétence particuliers, encadrés par des contraintes règlementaires, des corps administratifs et professionnels et des modes de financement spécifiques qui freinent, voire parfois interdisent les possibilités d’élaborer dans la concertation des politiques publiques cohérentes sur les territoires où elles sont mises en œuvre. Cela est souvent dénoncé concernant l’action publique de l’État central. Moins souvent, alors que cela mériterait de l’être, concernant celle des collectivités locales. Exceptionnellement seulement concernant l’action des associations, réseaux ou collectifs citoyens, ce qui est encore plus grave.

C’est pourtant un constat que chacun peut faire. Sur un même territoire local, il y a ceux qui travaillent à l’ouverture de l’école aux familles qui en sont les plus éloignées, ceux qui permettent l’accès à la création d’entreprise à des personnes dont le statut financier et social les en écarterait, ceux qui œuvrent à l’amélioration de la prise en compte de l’intelligence et de la volonté des malades dans l’organisation des soins…, mais tous ces citoyens qui agissent pour développer et valoriser le «pouvoir d’agir» des personnes concernées par une politique publique, tous ces membres d’une société civique active, bien que mus par les mêmes valeurs, les mêmes désirs, les mêmes idées de la société… ne se connaissent pas!!! et de ce fait ne constituent pas une force capable de peser ensemble sur l’organisation et la mise en œuvre cohérente des politiques publiques sur leur territoire commun. Construire des relations transversales, de l’inter-connaissance et de l’inter-action sur les territoires locaux, un pouvoir d’agir partagé, voilà ce que les convivialistes et tous les citoyens actifs devraient entreprendre partout et de toute urgence. C’est pourquoi il importe de profiter de cette journée d’occupation de l’espace public le 24 septembre prochain [demain !!], initiée par «Alternatiba» et le «collectif pour la transition», pour mettre en pleine lumière conjointement ce que les citoyens ont entrepris pour construire, chacun séparément, cet autre monde plus juste, plus libre, plus convivial… et plus durable auquel aspirent tant et tant de nos concitoyens. Et pourquoi ne pas interpeller à ce propos ceux qui, dans quelques mois, vont solliciter nos suffrages? La démocratie doit se reconstruire en inversant le rapport entre les citoyens et leurs élus: au lieu que ce soient des candidats qui demandent aux citoyens d’approuver leurs «programmes», que ce soient les citoyens qui demandent aux élus d’approuver et de mettre en œuvre leurs propositions et de faire une place à leurs initiatives dans l’espace public.

Encore faut-il que le «personnel politique» soit apte à entendre ce message et que l’action publique soit apte à s’enrichir de l’intelligence et de l’action des citoyens. Deux questions doivent être prises en compte :

  • celle du statut de la «représentation politique» pour l’ouvrir largement à la participation d’un nombre de citoyens beaucoup plus important qu’aujourd’hui (interdiction absolue de tout cumul de mandats et limitation dans le temps de leur exercice, transparence financière et sanction rigoureuse des conflits d’intérêt, tirage au sort de certaines instances de contrôle voire de délibération, référendums…),
  • celle de l’élaboration de la décision, de sa mise en œuvre et du statut et de l’organisation des fonctions et des institutions publiques pour faire une large place à une élaboration partagée et à une co-gestion de l’action publique, voire à une gestion publique déléguée à des organisations de citoyens.

Laisser ces questions en friche et croire qu’on peut les ignorer et se désintéresser de la politique instituée et notamment des prochaines échéances électorales, bref traiter des problèmes socio-économiques sans se préoccuper de leur inscription dans les cadres actuels de la démocratie conduit selon moi à une impasse. Nous devons élaborer les moyens juridiques et institutionnels qui permettront la mise en œuvre de notre volonté de transformation sociale et les porter dans les débats politiques à venir !

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A noter, Gérard Mermet, avec qui nous envisageons un texte commun, évoque de son côté la nécessité de la disruption et du collaboratif en politique. Une chose est sûre, nous ne pouvons pas nous contenter de la manière dont les candidats aux différentes primaires envisagent leur rôle. Il est plus qu’urgent qu’ils prennent au sérieux la richesse des propositions de la société civile !!

 

 

Sortir de la logique partisane ?

Non, ne zappez-pas ce texte tout de suite !! Je sais que parler des partis n’est pas vendeur… mais je vous présente une piste qui pourrait bouleverser profondément le système ! Utopique ? à voir…

 

Vous avez échappé à un texte déprimé, n’ayant pas été au bout de ce que je m’apprêtais à écrire après les congrès du PS et de LR ! (Je ne me résous pas à appeler  le parti de Sarkozy autrement que par ses initiales, l’autre option serait de mettre le ® à chaque fois qu’on parle de Les Républicains ®.« Les Républicains » tout seul sans  référence à la notion de parti, c’est bien une marque commerciale !). Mais la seule dénonciation des travers de notre démocratie ne me donne plus suffisamment envie d’écrire et donc je ne vous ennuierai pas avec des propos vengeurs … et vains ! Si je reviens  sur le  sujet, c’est au contraire plein d’enthousiasme après une première discussion avec Quitterie de Villepin sur son projet de contourner  le  monopole électoral des partis. C’est très subtil, très séduisant et pas si utopique que ça peut en avoir l’air à première vue !

Quitterie de  Villepin ? Oui le nom vous dit forcément quelque chose  mais c’est faire  fausse route ! Quitterie n’a croisé qu’une  fois son cousin très éloigné. Si vous êtes  proche du MoDem en revanche, vous en avez peut-être entendu parler quand  elle  a refusé d’être tête de  liste aux  Européennes alors que François Bayrou misait sur cette jeune  recrue pleine  de fougue. Elle est ce qu’on appelle désormais (à l’américaine) une « activiste », avec un combat pour dénoncer les achats irresponsables des marques de vêtement qui n’ont toujours pas tiré les conséquences de l’effondrement du Rana Plaza.

 Des partis trop souvent réduits au « faire semblant »

Avant de présenter la piste qu’explore Quitterie de Villepin, quelques mots sur la gravité de la dérive du système partisan. Aujourd’hui plus grand monde s’intéresse aux partis, moi le premier, alors que les partis sont censés « concourir à l’expression du suffrage », comme le prévoit l’article 4 de la constitution. Nous nous réfugions dans le simulacre. La  vie partisane est devenue un monde clos, certes exposé aux yeux de tous dans les médias mais sans que plus personne  ne soit dupe de l’absence de réalité de ce théâtre d’ombres où l’essentiel se déroule dans les coulisses. On réunit de dizaine  de milliers de personnes pour entendre des discours sans contenu, sans débat (LR). On vote pour des  motions pour lesquelles les accords sont scellés à l’avance et dont les contenus, même très affadis  ne sont pas et ne seront pas mis en œuvre (comme la question du travail du dimanche, l’encadrement des loyers ou le CV anonyme)  pour les socialistes.

Le rôle des partis n’est pourtant pas anodin en démocratie. Ils ont normalement trois fonctions principales : la mise au point d’un programme de gouvernement, la participation au débat public, la sélection des candidats aux élections. Il y a déjà longtemps que la notion de programme de gouvernement n’a plus de sens, pas  simplement parce que le jeu politique amène  à en faire des coquilles vides, mais plus fondamentalement parce que ça n’est plus adapté pour agir dans un monde incertain. Savoir si Hollande a mis, met ou mettra en œuvre les 60 propositions de sa campagne est sans intérêt malgré le développement du fact checking. Les enjeux sont évidemment ailleurs que dans les quelques propositions sans consistance qu’il avait formulées pour être élu. Son bilan ne pourra pas être établi sur cette base. Encore une fois c’est la réalité même de la notion de programme  qu’il faut questionner.

Pour la participation au débat public, qui entend encore la parole des partis ? En quoi ceux-ci alimentent-ils réellement les prises de position des leaders politiques ? Aident-ils seulement ceux qui se reconnaissent encore dans les valeurs qu’ils  affichent à se situer par rapport à une mesure politique ? Même sur ce point qui ne suppose pas de créativité mais simplement un peu de cohérence et de continuité doctrinale, les partis sont de véritables girouettes. La même mesure, dans l’opposition ou dans la majorité, sera indispensable ou désastreuse : rappelez-vous le travail du dimanche, la TVA sociale,…

Il ne reste donc qu’un rôle, la désignation des candidats. Malgré leur obsolescence, les partis restent ainsi indispensables au maintien du régime représentatif, et à la sélection des candidats aux quelques 600 000 mandats électifs du système politico-administratif français.

Tous ceux  qui ont essayé de renouveler  les partis de l’intérieur ou de l’extérieur ont échoué. EELV, le Front de gauche ou le MoDem ont attiré à un moment ceux qui voulaient faire de la politique autrement. La « coopérative » de Dany Cohn-Bendit ou « Désirs d’avenir » de Ségolène Royal ont un moment bousculé les Verts ou le PS. Nous citoyens, Nouvelle donne cherchent aujourd’hui à proposer des offres alternatives. Toutes ces  tentatives pour mieux prendre en compte la capacité d’initiative de la société civile  se heurtent au mur solide (et aveugle ?) de la  compétition électorale dans un régime représentatif.

Hacker l’Assemblée Nationale ?

Ceux qui ont lu jusqu’ici doivent se demander si ma promesse initiale d’un billet positif ne s’est pas perdue dans une énième description d’un système à bout de souffle !! Eh bien, non, j’y viens…Si j’ai fait ce trop long détour c’est pour bien comprendre  en quoi la tentative de Quitterie de Villepin est neuve et passionnante. Elle rompt radicalement avec la logique partisane et EN MEME TEMPS elle s’installe au cœur du système représentatif. C’est la logique du hacking appliqué aux institutions ! Elle propose d’entrer  dans la  compétition électorale (les législatives de 2017)… mais en jouant avec les  règles du jeu d’après, celles  d’une démocratie où les  citoyens  délibèrent directement. Les candidats de son mouvement n’auront pas de programme, même pas quelques propositions emblématiques. Ils prendront simplement l’engagement de prendre position dans le sens décidé par des jurys de citoyens (ou toute autre forme de délibération citoyenne) sur les  sujets que le mouvement aura choisi de soumettre au débat du plus grand nombre. La démocratie délibérative du XXIème  siècle s’invite en quelque sorte dans l’assemblée conçue au XVIIIème siècle. Certains y verront une résurgence du « mandat impératif » vigoureusement contesté par les tenants du régime  représentatif. Mais ils auraient  tort : il n’y a  pas de mandat des électeurs, simplement une prise en compte au fur et à mesure de jurys de citoyens. Ce n’est pas  plus idiot pour décider  que de se référer au dernier sondage d’opinion ou à une consigne de vote partisane donnée  simplement pour soutenir ou combattre un gouvernement ! A noter : les candidats seront eux-mêmes désignés par tirage  au sort parmi les  volontaires du mouvement afin de réduire  le  risque de personnalisation du pouvoir législatif !

Pour en savoir plus en attendant l’officialisation de l’initiative, je vous invite à aller lire sur le blog  du Laboratoire de la transition démocratique les deux  premiers  chapitres d’une  fiction politique (sous forme de cadavre exquis) imaginée par Armel Le Coz, un des « chercheurs de plein-air » associé au Labo et fondateur de Démocratie Ouverte. C’est Quitterie de Villepin qui a écrit le deuxième chapitre.

 Entre l’utopie et le délire, je choisis l’utopie !

Délirant ? Utopique ? C’est pour moi, au contraire, le « maillon manquant » pour faire peut-être advenir à terme l’assemblée de députés tirés au sort que j’appelle de mes  vœux  depuis si longtemps ! Quand je vois la difficulté de Patrice Levallois  à mettre en place le G1000 – qui n’est pourtant qu’une préfiguration d’assemblée citoyenne extérieure au système – je me  dis que le hacking est peut-être plus facile à mettre en œuvre. En tous cas, l’expérience vaut d’être  tentée : elle donnera l’occasion de voir concrètement qu’on peut imaginer et vivre la démocratie autrement. Nous n’avons pas  de Podemos ou de Ciudadanos comme en Espagne pour bousculer le système en place, nous avons besoin d’inventer notre propre  voie. Sinon…

Sinon je crains que nous ne finissions par considérer que la démocratie n’est pas si indispensable que ça. Pas forcément en « essayant » l’alternative Le Pen. Il y a des manières plus insidieuses de renoncer à la démocratie sans abandonner formellement le système actuel. Lu par exemple cette semaine  dans L’Obs sous la plume de Dominique Nora :

Face à la faillite des économies occidentales, les fondateurs et dirigeants de Google, Facebook, Amazon ou Apple et leurs financiers californiens pensent qu’ils feraient mieux que les politiques. Persuadés d’être les nouveaux maîtres du monde, les oligarques de la technologie jugent les gouvernements de la planète incapables de suivre le rythme de leurs innovations “de rupture”. Ils rêvent de s’émanciper des lois qui s’appliquent au commun des mortels. Et expriment, parfois, des velléités ­sécessionnistes. Au péril de la démocratie ?

19 octobre dernier, à Cupertino, dans la Silicon Valley, le fondateur de l’entreprise de génomique Counsyl, Balaji Srinivasan, s’est fait applaudir par une salle comble [en disant :]Quand une entreprise de technologie est dépassée, […] vous n’essayez pas de la réformer de l’intérieur, vous la quittez pour créer votre propre start-up ! Pourquoi ne pas faire la même chose avec le pays ?

Les seigneurs du numérique n’ont certes pas formé un parti. Mais ils sont nombreux à se réclamer, comme le créateur de l’encyclopédie internet Wikipédia, Jimmy Wales, d’une culture “libertarienne”. Une école de pensée qui abhorre l’Etat et les impôts et sacralise la liberté individuelle, “droit naturel” qu’elle tient pour LA valeur fondamentale des relations sociales, des échanges économiques et du système politique. Historiquement marginale, cette mouvance gagne en influence aux Etats-Unis, avec des adeptes aussi bien dans le Tea Party qu’au sein des partis républicain et démocrate. Selon un sondage Gallup du 14 janvier 2014, 23% des Américains (contre 18% en 2000) sont en phase avec les valeurs des libertariens.

Ces Libertariens sont prêts à quitter  le monde commun et à s’installer sur des îles artificielles dans les eaux internationales, je pense que ça vaut le coup de tenter rapidement des expériences pour redonner de la force à l’idée  démocratique, avant qu’il ne soit trop tard. Il est temps d’inventer. Et des partis repensés, loin des machines électorales actuelles, pourront y contribuer. Car si une  fonction des partis ne doit pas disparaître, c’est bien celle  d’animer le débat public ! Au boulot ?