Vous avez échappé à un texte déprimé, n’ayant pas été au bout de ce que je m’apprêtais à écrire après les congrès du PS et de LR ! (Je ne me résous pas à appeler le parti de Sarkozy autrement que par ses initiales, l’autre option serait de mettre le ® à chaque fois qu’on parle de Les Républicains ®.« Les Républicains » tout seul sans référence à la notion de parti, c’est bien une marque commerciale !). Mais la seule dénonciation des travers de notre démocratie ne me donne plus suffisamment envie d’écrire et donc je ne vous ennuierai pas avec des propos vengeurs … et vains ! Si je reviens sur le sujet, c’est au contraire plein d’enthousiasme après une première discussion avec Quitterie de Villepin sur son projet de contourner le monopole électoral des partis. C’est très subtil, très séduisant et pas si utopique que ça peut en avoir l’air à première vue !
Quitterie de Villepin ? Oui le nom vous dit forcément quelque chose mais c’est faire fausse route ! Quitterie n’a croisé qu’une fois son cousin très éloigné. Si vous êtes proche du MoDem en revanche, vous en avez peut-être entendu parler quand elle a refusé d’être tête de liste aux Européennes alors que François Bayrou misait sur cette jeune recrue pleine de fougue. Elle est ce qu’on appelle désormais (à l’américaine) une « activiste », avec un combat pour dénoncer les achats irresponsables des marques de vêtement qui n’ont toujours pas tiré les conséquences de l’effondrement du Rana Plaza.
Des partis trop souvent réduits au « faire semblant »
Avant de présenter la piste qu’explore Quitterie de Villepin, quelques mots sur la gravité de la dérive du système partisan. Aujourd’hui plus grand monde s’intéresse aux partis, moi le premier, alors que les partis sont censés « concourir à l’expression du suffrage », comme le prévoit l’article 4 de la constitution. Nous nous réfugions dans le simulacre. La vie partisane est devenue un monde clos, certes exposé aux yeux de tous dans les médias mais sans que plus personne ne soit dupe de l’absence de réalité de ce théâtre d’ombres où l’essentiel se déroule dans les coulisses. On réunit de dizaine de milliers de personnes pour entendre des discours sans contenu, sans débat (LR). On vote pour des motions pour lesquelles les accords sont scellés à l’avance et dont les contenus, même très affadis ne sont pas et ne seront pas mis en œuvre (comme la question du travail du dimanche, l’encadrement des loyers ou le CV anonyme) pour les socialistes.
Le rôle des partis n’est pourtant pas anodin en démocratie. Ils ont normalement trois fonctions principales : la mise au point d’un programme de gouvernement, la participation au débat public, la sélection des candidats aux élections. Il y a déjà longtemps que la notion de programme de gouvernement n’a plus de sens, pas simplement parce que le jeu politique amène à en faire des coquilles vides, mais plus fondamentalement parce que ça n’est plus adapté pour agir dans un monde incertain. Savoir si Hollande a mis, met ou mettra en œuvre les 60 propositions de sa campagne est sans intérêt malgré le développement du fact checking. Les enjeux sont évidemment ailleurs que dans les quelques propositions sans consistance qu’il avait formulées pour être élu. Son bilan ne pourra pas être établi sur cette base. Encore une fois c’est la réalité même de la notion de programme qu’il faut questionner.
Pour la participation au débat public, qui entend encore la parole des partis ? En quoi ceux-ci alimentent-ils réellement les prises de position des leaders politiques ? Aident-ils seulement ceux qui se reconnaissent encore dans les valeurs qu’ils affichent à se situer par rapport à une mesure politique ? Même sur ce point qui ne suppose pas de créativité mais simplement un peu de cohérence et de continuité doctrinale, les partis sont de véritables girouettes. La même mesure, dans l’opposition ou dans la majorité, sera indispensable ou désastreuse : rappelez-vous le travail du dimanche, la TVA sociale,…
Il ne reste donc qu’un rôle, la désignation des candidats. Malgré leur obsolescence, les partis restent ainsi indispensables au maintien du régime représentatif, et à la sélection des candidats aux quelques 600 000 mandats électifs du système politico-administratif français.
Tous ceux qui ont essayé de renouveler les partis de l’intérieur ou de l’extérieur ont échoué. EELV, le Front de gauche ou le MoDem ont attiré à un moment ceux qui voulaient faire de la politique autrement. La « coopérative » de Dany Cohn-Bendit ou « Désirs d’avenir » de Ségolène Royal ont un moment bousculé les Verts ou le PS. Nous citoyens, Nouvelle donne cherchent aujourd’hui à proposer des offres alternatives. Toutes ces tentatives pour mieux prendre en compte la capacité d’initiative de la société civile se heurtent au mur solide (et aveugle ?) de la compétition électorale dans un régime représentatif.
Hacker l’Assemblée Nationale ?
Ceux qui ont lu jusqu’ici doivent se demander si ma promesse initiale d’un billet positif ne s’est pas perdue dans une énième description d’un système à bout de souffle !! Eh bien, non, j’y viens…Si j’ai fait ce trop long détour c’est pour bien comprendre en quoi la tentative de Quitterie de Villepin est neuve et passionnante. Elle rompt radicalement avec la logique partisane et EN MEME TEMPS elle s’installe au cœur du système représentatif. C’est la logique du hacking appliqué aux institutions ! Elle propose d’entrer dans la compétition électorale (les législatives de 2017)… mais en jouant avec les règles du jeu d’après, celles d’une démocratie où les citoyens délibèrent directement. Les candidats de son mouvement n’auront pas de programme, même pas quelques propositions emblématiques. Ils prendront simplement l’engagement de prendre position dans le sens décidé par des jurys de citoyens (ou toute autre forme de délibération citoyenne) sur les sujets que le mouvement aura choisi de soumettre au débat du plus grand nombre. La démocratie délibérative du XXIème siècle s’invite en quelque sorte dans l’assemblée conçue au XVIIIème siècle. Certains y verront une résurgence du « mandat impératif » vigoureusement contesté par les tenants du régime représentatif. Mais ils auraient tort : il n’y a pas de mandat des électeurs, simplement une prise en compte au fur et à mesure de jurys de citoyens. Ce n’est pas plus idiot pour décider que de se référer au dernier sondage d’opinion ou à une consigne de vote partisane donnée simplement pour soutenir ou combattre un gouvernement ! A noter : les candidats seront eux-mêmes désignés par tirage au sort parmi les volontaires du mouvement afin de réduire le risque de personnalisation du pouvoir législatif !
Pour en savoir plus en attendant l’officialisation de l’initiative, je vous invite à aller lire sur le blog du Laboratoire de la transition démocratique les deux premiers chapitres d’une fiction politique (sous forme de cadavre exquis) imaginée par Armel Le Coz, un des « chercheurs de plein-air » associé au Labo et fondateur de Démocratie Ouverte. C’est Quitterie de Villepin qui a écrit le deuxième chapitre.
Entre l’utopie et le délire, je choisis l’utopie !
Délirant ? Utopique ? C’est pour moi, au contraire, le « maillon manquant » pour faire peut-être advenir à terme l’assemblée de députés tirés au sort que j’appelle de mes vœux depuis si longtemps ! Quand je vois la difficulté de Patrice Levallois à mettre en place le G1000 – qui n’est pourtant qu’une préfiguration d’assemblée citoyenne extérieure au système – je me dis que le hacking est peut-être plus facile à mettre en œuvre. En tous cas, l’expérience vaut d’être tentée : elle donnera l’occasion de voir concrètement qu’on peut imaginer et vivre la démocratie autrement. Nous n’avons pas de Podemos ou de Ciudadanos comme en Espagne pour bousculer le système en place, nous avons besoin d’inventer notre propre voie. Sinon…
Sinon je crains que nous ne finissions par considérer que la démocratie n’est pas si indispensable que ça. Pas forcément en « essayant » l’alternative Le Pen. Il y a des manières plus insidieuses de renoncer à la démocratie sans abandonner formellement le système actuel. Lu par exemple cette semaine dans L’Obs sous la plume de Dominique Nora :
Face à la faillite des économies occidentales, les fondateurs et dirigeants de Google, Facebook, Amazon ou Apple et leurs financiers californiens pensent qu’ils feraient mieux que les politiques. Persuadés d’être les nouveaux maîtres du monde, les oligarques de la technologie jugent les gouvernements de la planète incapables de suivre le rythme de leurs innovations “de rupture”. Ils rêvent de s’émanciper des lois qui s’appliquent au commun des mortels. Et expriment, parfois, des velléités sécessionnistes. Au péril de la démocratie ?
19 octobre dernier, à Cupertino, dans la Silicon Valley, le fondateur de l’entreprise de génomique Counsyl, Balaji Srinivasan, s’est fait applaudir par une salle comble [en disant :]Quand une entreprise de technologie est dépassée, […] vous n’essayez pas de la réformer de l’intérieur, vous la quittez pour créer votre propre start-up ! Pourquoi ne pas faire la même chose avec le pays ?
Les seigneurs du numérique n’ont certes pas formé un parti. Mais ils sont nombreux à se réclamer, comme le créateur de l’encyclopédie internet Wikipédia, Jimmy Wales, d’une culture “libertarienne”. Une école de pensée qui abhorre l’Etat et les impôts et sacralise la liberté individuelle, “droit naturel” qu’elle tient pour LA valeur fondamentale des relations sociales, des échanges économiques et du système politique. Historiquement marginale, cette mouvance gagne en influence aux Etats-Unis, avec des adeptes aussi bien dans le Tea Party qu’au sein des partis républicain et démocrate. Selon un sondage Gallup du 14 janvier 2014, 23% des Américains (contre 18% en 2000) sont en phase avec les valeurs des libertariens.
Ces Libertariens sont prêts à quitter le monde commun et à s’installer sur des îles artificielles dans les eaux internationales, je pense que ça vaut le coup de tenter rapidement des expériences pour redonner de la force à l’idée démocratique, avant qu’il ne soit trop tard. Il est temps d’inventer. Et des partis repensés, loin des machines électorales actuelles, pourront y contribuer. Car si une fonction des partis ne doit pas disparaître, c’est bien celle d’animer le débat public ! Au boulot ?