Aznavour, un universel… particulier !

Ce papier m’a été inspiré par le télescopage à quelques minutes d’intervalle de deux hommages à Aznavour que je trouvais également vrais et apparemment contradictoires. S’en sont suivis des rapprochements hasardeux…

Rebecca Manzoni sur France Inter est sans doute la seule personne que j’aime écouter parler chanson à l’heure du petit déjeuner, alors que le sujet ne me passionne pas. Ce matin-là, bien sûr elle parle d’Aznavour, en commençant par une anecdote familiale pour bien ancrer son propos dans la vie, la vie du quotidien, celle des engueulades en voiture sur la route des vacances à propos des paroles d’une chanson d’Aznavour. Elle enchaîne en parlant d’une chanson de 1956 que je ne connaissais pas :

« Après l’amour », dont le début flamboyant laissait penser que la scène se déroulait dans une arène. Mais plus le morceau avançait, plus la pièce se rétrécissait jusqu’à zoomer sur un lit. […] Pourtant, Aznavour ne chante rien d’extraordinaire : des draps froissés, des corps lourds. Que du concret. Et c’était précisément ça, la révolution : parler de nos vies sans circonvolutions.

Ça fait déjà une journée entière que l’on déverse le flot de paroles convenues que l’on se croit obligé de proférer à chaque décès de célébrité mais là, je trouve que ça sonne juste. Alors, quand je déplie Le Monde au moment de partir prendre mon café et que je tombe sur l’appel de Une pour les pages d’hommage au chanteur, je suis d’abord agacé : « Charles Aznavour, l’universel ». Rien que ça ! Ils font dans le grandiloquent au Monde. Mais je chemine avec ça, en direction du café où j’ai mes habitudes : Aznavour entre quotidien et universel, me disant que ce n’est peut-être pas mal vu… si l’on joue avec l’oxymore de l’universel particulier. Continuer la lecture de « Aznavour, un universel… particulier ! »

« Community policing » après « care » : les ténors socialistes passent à l’anglais !

Après le care de Martine Aubry, voici le community policing d’Arnaud Montebourg. Intéressant que les socialistes français aillent regarder au-delà de leurs sources d’inspiration habituelles pour transformer en profondeur leurs approches doctrinales… même si ça suscite incompréhensions et questionnements.

Que dit Montebourg dans un article du Monde du 3 septembre passé trop inaperçu ? « La sécurité doit devenir l’affaire de tous. Chacun a son rôle à jouer dans le recul de la violence. Parents, professeurs, éducateurs, psychologues, travailleurs sociaux sont autant de veilleurs qui voient ce qui se passe et doivent pouvoir alerter. » Jusqu’ici, le rôle dévolu aux citoyens reste modeste, celui de veilleur, mais le principe de la sécurité – affaire de tous est posé. Mais Montebourg ne s’arrête pas là, il introduit – avec quelques précautions oratoires – la notion de community policing : «  Je fais également la proposition que nous progressions dans une direction plus radicale encore, qui me paraît à ce jour seule susceptible de répondre aux attentes de la population. Nous devons redonner du pouvoir aux habitants, qui doivent être associés à la lutte contre la délinquance. Non pas une rapide enquête de satisfaction, ou une réunion de veille d’élection, mais un dispositif qui s’inscrira dans le temps et la confiance. Prenons les expériences de type community policing, telle que celle qui est menée depuis de nombreuses années à Chicago. La population participe à l’identification des problèmes. Des réunions régulières ont lieu avec la police, qui prend en compte et rend compte. La sécurité devient réellement l’affaire de tous ».

On dirait du Jacques Donzelot ! Le sociologue  montrait dès 2001 dans « Faire société », l’intérêt de ce type de démarche par rapport à la politique de la Ville à la française. Espérons que l’idée ne mettra pas autant de temps à passer d’une tribune du Monde à la réalité qu’elle en a mis à passer du discours intellectuel au propos politique. On peut cependant être inquiet quand on voit le peu de reprise que ces propositions ont eu.

La culture de métier, un invariant à prendre en compte

Pour des gens qui cherchent en permanence à introduire du changement dans les modes de faire les plus établis, il est toujours intéressant de lire ceux qui au contraire observent les invariants : ça peut éviter de se battre contre des moulins ! Philippe d’Iribarne est de ceux qui repèrent les résistances culturelles aux trop évidents brassages de la mondialisation. Il continue à creuser la « logique de l’honneur » qui caractérise selon lui, la culture française. J’ai trouvé très éclairant le texte qu’il a consacré à « La force des cultures » , dans Le Débat de décembre 2009. Pour lui, le risque que les français veulent absolument conjurer, c’est de dépendre de la faveur d’un autre, d’où la valeur très particulière accordée au « métier »,  censé protéger celui qui le maîtrise de l’intrusion des tiers (son supérieur, ou même  son client). D’où le fait qu’on soit plus dans une culture du droit et du statut que de la négociation et du contrat. Voici quelques extraits.

« Le caractère douloureux que prend le fait d’avoir à s’abaisser pour obtenir les faveurs d’autrui tient toujours une place centrale dans la France contemporaine. »

« On retrouve la même sensibilité dans l’entreprise, où l’on entend des plaintes qui reposent sur l’évocation d’un style de relations dans lesquelles, face à quelqu’un qui distribue ses faveurs comme il l’entend, on est obligé de s’humilier
si l’on veut obtenir ce que l’on recherche. Les rapports entre services sont concernés: «La fabrication est à genoux devant l’entretien», «Les services d’entretien sont les rois. Les services de fabrication devraient prendre des gants». Et il en est de même des rapports hiérarchiques: «L’agent de maîtrise a l’impression qu’il dépend du bon vouloir de son directeur.» »

« La mise en avant du métier fournit une manière de raccorder le travail fait dans une position subordonnée, soumis de fait à l’autorité d’un patron, à une vision d’indépendance, d’honneur et de noblesse. Il s’agit à la fois de représentations, en partie porteuses d’illusion, et de pratiques. L’exercice de l’autorité dans les entreprises françaises, avec la manière de déléguer qui y prévaut, donne un rôle important à la forme d’autonomie dont bénéficie l’homme de métier. »

« Dans tous ces domaines, les relations entre un salarié et son employeur ne sont que très partiellement régies par un accord entre les parties (qu’il s’agisse d’un accord individuel ou d’un accord collectif). Elles sont marquées par l’existence de droits inhérents à la condition même du salarié, que ceux-ci concernent les salariés en général ou telle ou telle catégorie d’entre eux. »

Cette conclusion est essentielle pour tous ceux, comme moi, qui cherchent à développer des relations contractuelles. Le contrat ne peut pas tout. Plus précisément, nous ne pourrons développer une culture du contrat qu’en intégrant le fait que sur l’honneur, sur l’autonomie dans le métier, on ne transige pas.

Ainsi, la mise en avant du métier fournit une manière de raccorder le travail fait dans une position subordonnée, soumis de fait à l’autorité d’un patron, à une vision d’indépendance, d’honneur
et de noblesse. Il s’agit à la fois de représentations,
en partie porteuses d’illusion, et de pratiques. L’exercice de l’autorité dans les entreprises
françaises, avec la manière de déléguer qui y prévaut, donne un rôle important à la forme d’autonomie dont bénéficie l’homme de métier 32Ainsi, la mise en avant du métier fournit une manière de raccorder le travail fait dans une position subordonnée, soumis de fait à l’autorité d’un patron, à une vision d’indépendance, d’honneur
et de noblesse. Il s’agit à la fois de représentations,
en partie porteuses d’illusion, et de pratiques. L’exercice de l’autorité dans les entreprises
françaises, avec la manière de déléguer qui y prévaut, donne un rôle important à la forme d’autonomie dont bénéficie l’homme de métier