Gilets jaunes : pour une nouvelle Nuit du 4 août !

Les rapprochements historiques sont souvent vains, les contextes étant toujours différents. Pourtant la puissance de l’imaginaire de la Nuit du 4 août pourrait peut-être nous inspirer au moment où nous risquons de basculer dans une nouvelle « Grande peur ».

Avec les émeutes de 2005, on avait pu croire un moment, particulièrement vu de l’étranger, que la France était à feu et à sang. Les images d’hélicoptères au-dessus des toits des cités, avec leurs projecteurs trouant l’obscurité, les voitures en flamme et les combats de rue… tout cela donnait à ces quelques nuits d’automne des airs de guerre civile. Ne vit-on pas depuis 15 jours un remake de ces journées de novembre, déjà novembre ? Cette fois-ci, ce sont les Champs Elysées envahis par des casseurs, leurs tentatives de barricades et les gaz lacrymogènes (mais aussi les klaxons bon-enfants des ronds-points aux périphéries des villes de province) qui tournent en boucle sur nos écrans. A nouveau quelques milliers de manifestants agressifs occupent presque tout l’espace médiatique et politique. La France semble bloquée. On sait qu’il n’en est rien, que les manifestants sont au total moins de 200 000, qu’ils peinent à s’organiser et à construire des revendications communes et réalistes. Pourquoi alors éprouve-t-on un sentiment persistant de malaise et d’inquiétude si ce n’est qu’une illusion médiatique ? Et si le pourrissement attendu par beaucoup dans les milieux dirigeants n’allait pas se produire ? Et si le recul gouvernemental pensé comme inéluctable ne se produisait pas non plus ? Et si nous étions entrés dans autre chose que l’éruptivité sporadique à laquelle nous sommes habitués ? Continuer la lecture de « Gilets jaunes : pour une nouvelle Nuit du 4 août ! »

Discours anticipé (et rêvé !) d’E. Macron en réponse aux Gilets jaunes

Plutôt que de commenter mardi un discours déjà prononcé, j’ai préféré écrire le discours que j’aimerais entendre ! Il joue sur les trois registres qui, lorsqu’ils ne sont pas réunis, rendent l’action vaine : la solidarité, la coopération et la vision.

Mes chers compatriotes,

J’ai dit l’autre jour à Gilles Bouleau que je regrettais de n’avoir pas réussi à réconcilier les Français et la politique. J’ai pris du temps ces derniers jours pour écouter et pour réfléchir. Vous dites massivement que vous ne croyez plus aux discours et que vous attendez des actes. Acceptez d’écouter ce discours et voyez les actes qu’il prépare. Ils sont, je le crois, en mesure de réussir cette réconciliation dont je parle. Continuer la lecture de « Discours anticipé (et rêvé !) d’E. Macron en réponse aux Gilets jaunes »

Quelle raffinerie pour l’énergie des gilets jaunes ?

Même si les commentaires se focalisent sur le fait de savoir si le mouvement des gilets jaunes va durer, le plus important est de savoir s’il va se reproduire. Si le premier point est incertain, je crains que le second ne soit déjà inscrit en creux dans les propos tenus par le président de la République.

Jérôme Fourquet dimanche matin sur France Inter disait que les gilets jaunes étaient une sorte de mix des Bonnets rouges et de Nuit debout : à la fois une colère anti-fiscale et une auto-organisation de la société. Ce matin Thomas Legrand comparait avec justesse cette énergie citoyenne à du pétrole brut qui aurait besoin d’être raffiné pour pouvoir être utilisé. Pour le moment la colère brute n’a pas de débouché. Sans canalisation, sans transformation, elle se répand dans l’espace et risque de conduire à des explosions violentes mais sans lendemains.

Thomas Legrand en appelle aux corps intermédiaires pour opérer le raffinage. Je crains que ceux-ci aient largement perdu la main. Ainsi la demande de Laurent Berger de la Cfdt de réunir des associations et des partenaires sociaux pour construire « un pacte social de la conversion écologique » a aussitôt été rejetée par le Premier ministre qui n’en voyait pas l’utilité. Cette incapacité à faire avec la société n’est pas propre au Premier ministre, hélas c’est tout l’exécutif qui est concerné. Que disait le président de la République lors de son interview sur TF1, pensant traduire les attentes des Français :

Nos concitoyens aujourd’hui veulent trois choses : qu’on les considère, qu’on les protège, qu’on leur apporte des solutions.

Joli triptyque mais à ma connaissance aucun commentateur n’a relevé que le président nous avait déjà proposé un autre triptyque lors de la précédente crise (celle provoquée par la réforme de la SNCF), toujours sur TF1 :

les murs de la maison, c’est libérer, protéger et unir.

Au fait, cette manière de parler par slogan, ça ne vous rappelle rien ? Souvenez-vous l’excellente BD Quai d’Orsay (Blain et Lanzac) où le ministre des affaires étrangères ne cesse de lancer ce genre de formules pour préparer son discours à l’ONU évidemment en changeant sans cesse la composition du triptyque : Responsabilité, Unité, Efficacité, devient tour à tour Légitimité, Lucidité, Efficacité ou Légitimité, Unité, Efficacité !

Le seul élément commun aux deux triptyques macroniens, c’est la protection. La liberté est prudemment mise de côté. On préfère parler de solutions (qu’on apporte toutes faites naturellement). Par ailleurs on cherche à « unir » ou à « considérer ». De unir à considérer, il y a une progression dans la prise en compte mais quand on associe considérer, protéger et apporter des solutions, on voit bien que la balance penche inexorablement du côté de l’Etat « protecteur et sachant » qui va fournir les bonnes solutions clés en mains. A quoi sert la considération si l’on sait par avance qu’on a à faire à des démunis (qu’il faut protéger) et à des incapables (à qui il faut fournir les solutions) ?

Emmanuel Macron regrettait lors de son entretien de ne pas avoir réussi à réconcilier les français et la politique. Aucun de ses triptyques ne donne pour autant la clé de la réconciliation. Se mettre à l’écoute des attentes des citoyens, c’est bien sûr nécessaire mais ça ne suffira pas à réinventer la politique. Qu’est-ce qui manque ?

Ecouter ne suffit pas. Il faut maintenant agir avec. Beaucoup de gens veulent être pris en compte, pas seulement entendu. Ça passe par l’action, l’implication dans l’action. Il y a une énergie citoyenne, sociétale que les décideurs ignorent trop souvent et dont on se prive. Cette énergie, non prise en compte, devient vite une énergie « négative », l’énergie du refus que l’on voit aujourd’hui s’exprimer. Si le raffinage par les corps intermédiaires n’est plus possible, comment faire ? Quel raffinage mettre en place ? C’est évidemment au plan local qu’il faut construire des solutions. On en connait les ingrédients : covoiturage, multimodalité, diversification des transports collectifs pour l’adapter au milieu rural,… Ce qui manque c’est l’organisation des solidarités. Tout ne peut pas se faire sur des plateformes digitales, il faut de la rencontre, de la convivialité pour créer la confiance ; il faut du soutien des collectivités pour ajuster l’offre (même avec des solutions provisoire et bricolées au début) ; il faut de l’interaction avec les entreprises pour faciliter les horaires ajustés,…

Pour mettre en place ces solutions, l’Etat devrait soutenir les collectivités pour qu’elles aient les moyens de mettre à disposition des communautés locales des médiateurs, des facilitateurs, des tiers de confiance (appelons-les comme on voudra). Non, tout ne passe pas par la fiscalité, comme on semble parfois le croire aux sommets de l’Etat, mais la fiscalité est indispensable pour engager la transition et payer cette ingénierie territoriale de grande proximité.

Profitons de cette crise pour aller enfin dans le sens de cette démocratie sociétale qui me semble la seule alternative aux populismes qui montent. Misons enfin sur cette énergie sociétale à laquelle on ne prête attention que lorsqu’elle déborde. Cette énergie peut s’investir dans la « politique du quotidien », celle qui fait tenir une société debout : la manière dont on s’occupe de la santé, de l’éducation, de l’habitat, de l’alimentation,… Réussir la transition énergétique, ouvrir l’école sur la cité, faire des politiques de prévention réellement efficaces, modifier en quelques années nos modes de déplacement,… tout cela ne se fera que si on sait mobiliser l’énergie citoyenne.

Quand on ne se contente pas d’entendre les doléances des gens mais qu’on prend le temps d’imaginer avec eux ce que pourrait être une vie bonne, on voit se dessiner des modes de vie assez différents de ceux que beaucoup subissent aujourd’hui. Plus de partage, plus d’entraide, plus d’initiative dans tous les domaines. C’est une vie rêvée, loin des réalités et de la dureté du monde ? Oui mais n’est-ce justement pas ça la politique ? Partir des aspirations et regarder comment les rendre possible ? On ne peut pas éternellement dire aux gens que le maintien du modèle français ou la préservation de la planète nécessitent de faire des sacrifices !

Ou nous sommes capables d’imaginer cet avenir désirable ou nous serons parmi les prochains sur la liste des dominos qui tombent (Erdogan, Orban, Trump, Salvani, Bolsonaro,…)

PS / mon amie Catherine Jacquet a publié sur LinkedIn une lettre ouverte au président qui va dans le même sens…