Je n’ai appris les attentats que ce matin. Le dispositif médiatique était déjà déployé comme jamais et j’ai été atterré de ce que j’entendais. Il n’était question que de guerre, d’état d’urgence. Laurent Wauquiez voulait interner tous les radicalisés fichés par la police… J’ai éteint radio et télévision. Dès que j’avais entendu le mot guerre à la radio, vers 7h30 je m’étais énervé et ma femme s’était inquiétée : « Tu ne vas pas réagir à chaud sur ton blog ? Laisse passer le temps de l’émotion ! » Malheureusement ont très vite été amalgamées dans un même pathos émotion légitime face aux morts et réactions sécuritaires pavloviennes. …Et je me suis mis devant mon clavier !
Même si ce n’est qu’avec quelques centaines de personnes, j’aurai partagé mon envie d’un autre regard sur l’événement, d’autres réactions pour faire face à la sanglante provocation terroriste.
Imaginons un instant ce qui se passera au prochain attentat, plus meurtrier encore ou encore plus spectaculaire (une émission radio border line prise en route m’avait laissé croire il y a quelques mois que des attentats simultanés avaient tué plusieurs journalistes et animateurs très en vue ; avant de comprendre que c’était un canular, j’étais resté médusé). Jusqu’où irons-nous dans la réaction ? Serons-nous capables de faire face à des vagues successives d’attentats sans remettre en cause notre pacte démocratique ? Sincèrement, dans l’état actuel de fébrilité et de montée aux extrêmes, j’en doute. Nous ne gagnerons pas contre le terrorisme en réduisant le risque d’attentat à zéro, nous gagnerons en restant debout. Nous avons résisté à la vague anarchiste à la fin du XIXe, l’Allemagne et l’Italie sont aussi sorties des années de plomb des brigades rouges et de la bande à Baader… Vaincre le terrorisme prend du temps et les mesures immédiates et spectaculaires sont sans doute largement contreproductives.
J’avais lu un papier excellent (hélas pas retrouvé ce matin) qui évoquait la nécessité d’une société civile forte pour faire face au terrorisme. On l’a vu avec l’attentat évité du Thalys (même si ceux qui se sont interposés avec succès avaient l’entraînement de militaires).
Je veux insister une nouvelle fois sur la nécessité de distinguer guerre et police (et Alain Bauer le faisait, bien seul face à la marée guerrière, sur l’antenne d’Inter ce matin). J’écrivais il y a quelques semaines :
L’idée de guerre suppose un ennemi avec des buts de guerre comme la conquête d’un territoire. Les personnes qui pratiquent le terrorisme en France relèvent bien de la police. Ils mènent des entreprises criminelles, pas des actes de guerre. […]
En disant cela, je ne cherche pas à banaliser le terrorisme ni à la justifier, au contraire ! La guerre, on le sait, peut être juste, il y a même une forme de noblesse dans la guerre (et c’est ce qui la rend si dangereusement séduisante !). Avec le terrorisme, on ne trouve que pratiques criminelles et lâcheté. Ceux qui s’y livrent sont des hors-la-loi pas des combattants ! Confondre les deux risque de renforcer paradoxalement l’image des terroristes, assimilés à des guerriers et non à des criminels. Parler de police, ce serait aussi parler de la « polis », de la Cité. La police n’est pas que répression du crime, elle est aussi prévention (on l’oublie trop depuis que Sarkozy avait nié l’utilité de la police de proximité). On voit qu’en passant de « police » à « guerre », on se trompe de diagnostic et on se prive de moyens d’action.
La juriste Mireille Delmas-Marty dans un excellent entretien sur les risques des législations sécuritaires nous appelait à vivre avec la peur, en suivant l’appel d’Edouard Glissant :
Finalement, protéger la démocratie, c’est peut-être apprendre à rebondir sur les ambivalences d’un monde où la peur, quand elle ne favorise pas la haine et l’exclusion, peut être un facteur de solidarité. Face au terrorisme comme aux autres menaces globales, il faut garder à l’esprit l’appel du poète Edouard Glissant à la « pensée du tremblement », une pensée qui n’est « ni crainte ni faiblesse, mais l’assurance qu’il est possible d’approcher ces chaos, de durer et de grandir dans cet imprévisible ».
J’ai été très frappé par les réactions de mes filles. L’une et l’autre, chacune à sa manière, ont su se mettre à distance de l’émotion morbide des télés et des radios. c’est aujourd’hui, hélas, une nécessité pour ne pas se laisser happer par la vague.
« Le vent se lève…, il faut tenter de vivre ! » disait Valéry dans le Cimetière marin.
Encore. Et encore.