Les Roms, l’Europe et le tirage au sort

Un courrier reçu récemment mérite, je crois, d’être partagé et commenté… et peut-être de déboucher sur une initiative inédite. Plus encore que d’habitude, vos commentaires seront précieux pour sentir s’il est pertinent d’avancer sur ce sujet délicat, puisqu’il lie des questions elles-mêmes propices aux polémiques !

Un courrier reçu récemment mérite, je crois, d’être partagé et commenté… et peut-être de déboucher sur une initiative inédite. Voici donc d’abord le courrier. Il a été envoyé par Guy E avec qui nous pratiquons le ping pong intellectuel depuis déjà plus de 20 ans !

Même si cela ne se manifeste guère, je continue d’être attentif à tes réflexions. Et notamment à tes récurrentes allusions à un éventuel système de jury plutôt que d’élection pour penser et fabriquer la loi. Oui, c’est une suggestion d’autant plus intéressante que les assemblées législatives issues des élections montrent chaque jour un peu plus leurs limites. Mais comment faire avancer cette proposition autrement qu’en la confrontant à un cas concret, à une mise à l’épreuve ? Or il est, me semble-t-il, une thématique qui s’y prêterait; je veux parler de la question des Roms ou préfèrerais-je dire du « peuple tsigane », à partir d’un article de Andrzej Stasiuk paru dans l’Espresso et repris par le Courrier international (n°926 d’août 2008) intitulé: « Sans eux nous ne serions rien »

j’intercale ici dans le texte de Guy quelques extraits pour mieux suivre son propos. L’article complet est là.

J’ai toujours pensé que l’Europe unifiée était la solution idéale pour les Tsiganes. Qui davantage qu’eux a subi l’oppression de frontières étroitement surveillées ? Qui davantage qu’eux a fait l’expérience d’être des hôtes à peine tolérés des Etats-nations ? Qui davantage qu’eux s’est senti étranger partout, de l’Oural à Gibraltar ?

Cela ne sert à rien de les obliger à être comme nous. Le vrai défi européen consiste à faire survivre les Tsiganes sous la forme qu’eux-mêmes voudront choisir. C’est là que nous ferions la preuve de notre européanité.

Après sa lecture je m’étais dit que les Tsiganes devraient être considérés comme un peuple à part entière, le 29° de l’UE, et non comme le sous-ensemble de divers pays (Roumanie, Bulgarie, Hongrie…). L’histoire a fait qu’ils s’y sont concentrés sans pour autant s’y sentir citoyens à part entière et comme tels représentés par leurs institutions. De plus, il est assez injuste de demander à ces pays de régler le problème alors même qu’ils ont été finalement plutôt plus hospitaliers à l’égard de ces nomades que d’autres pays, comme le nôtre, qui eux n’ont su (et continuent de ne savoir) que les chasser.

Le problème est que l’UE ne connait que des Etats-nations avec des territoires et des peuples sédentaires. Ah les pauvres nomades: Caïn ne saura-t-il donc jamais en finir avec Abel qu’en le tuant ? D’où le questionnement à poser à un éventuel « Jury » législateur » : « Quelle place en Europe pour un 29° Etat sans territoire ? Quelles institutions pour le représenter ?…. « 

Il semble que la question dite « des Roms » soit en passe de devenir suffisamment grave pour qu’il devienne nécessaire de la traiter au fond. Et ce, en particulier parce qu’à partir du 1° janvier prochain ils seront citoyens européens à part entière et devront être traités comme tels; ils ne pourront plus être renvoyés manu militari dans leur(s) (faux) pays. C’est la raison pour laquelle M. Valls a fait la sortie que l’on sait, appuyé par de nombreux élus locaux (dont G. Collomb) qui ne savent plus comment s’en sortir. Ce qui veut dire que ces élus seront peut-être enfin attentifs aux idées neuves et à l’affectation de moyens pour les faire émerger. Et donc pourquoi pas à celles qui se dégageraient d’un procès sur l’avenir du peuple Tsigane européen. Je verrai bien la Fondation des Sciences Politiques s’associer avec son aura, ses chercheurs… à une telle opération.

Ce n’est qu’une idée. Comme toujours et plus encore qu’habituellement, elle ne représente que 1% (et encore) d’inspiration au regard des 99% de transpiration nécessaires pour la faire avancer…

 

Je trouve comme souvent l’intuition de Guy séduisante : elle procède de deux qualités indispensables pour innover :

  1.  savoir faire le pas de côté pour arrêter de faire « toujours plus de la même chose » (les Roms ne s’intègrent pas alors forçons-les à s’intégrer … et s’ils ne veulent pas forçons les à partir !). Si on renonce à imposer cette alternative, l’intégration ou l’exil, l’imagination peut se déployer. L’idée d’un 29ème Etat non territorialisé stimule la réflexion. A la fois pour ce qui concerne les Tsiganes dont la singularité prendrait de la valeur puisqu’on inventerait pour eux une altérité enfin positive. Mais aussi pour l’Europe dont la citoyenneté deviendrait concrète puisqu’elle serait la condition de cet Etat sans terre, le territoire européen tout entier devenant l’espace de référence des Tziganes.
  2. proposer des liens entre deux questions sensibles qui se confortent ainsi mutuellement. L’addition de la question Roms et de la question du Tirage au sort est intéressante ! Pour réussir à traiter la question Roms de manière complètement neuve, il serait effectivement utile de sortir de l’habitude bien française de convoquer une commission d’experts ou de sages ! Pour réussir à populariser l’idée du Tirage au sort au-delà des tentatives faites sur des sujets plus obscurs, il est astucieux de prendre appui sur la question polémique du moment.

Doit-on alors s’engager sans plus tarder dans l’expérimentation de cette idée ? A ce stade, une chose me dérange : on est encore à vouloir faire le bonheur des autres malgré eux. Que pensent les Tziganes ? Quelle vie veulent-ils vivre ? Quels rapports veulent-ils nouer avec les populations qu’ils côtoient ? On entend souvent les gens qui protestent du voisinage subi, on entend encore les associations qui viennent en aide aux Roms… mais la parole des intéressés est beaucoup plus rare. Rien ne serait pire que de « réussir » un superbe exercice démocratique sans partir d’une attente des personnes directement concernées. Ce serait de la rhétorique pure. N’oublions pas le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! Nous qui cherchons à promouvoir une démocratie sociétale, bottom-up misant sur l’empowerment, il serait intéressant de commencer par dialoguer avec les Tziganes.

 

 

 

 

 

 

Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas …

L’économie positive de Jacques Attali, l’ « enzèbrement » d’Alexandre Jardin, le manifeste convivialiste piloté par Alain Caillé, l’Ecocity World Summit de Nantes, les états-généraux du pouvoir citoyen de Viveret, Foucauld, Larrouturou, la Métamorphose du Club des Vigilants, le global SoL Forum sans oublier les initiatives du collectif Pouvoir d’agir… Pas un jour en ce moment où je n’apprenne une initiative visant explicitement la transformation de notre rapport à l’économie et à la politique ! Tout ça n’est pas sur le même plan ? Peut-être… mais est-ce si grave ?

L’économie positive de Jacques Attali, l’ « enzèbrement » d’Alexandre Jardin*, le manifeste convivialiste piloté par Alain Caillé, l’Ecocity World Summit de Nantes, les états-généraux du pouvoir citoyen de Viveret, Foucauld, Larrouturou, la Métamorphose du Club des Vigilants, le global SoL Forum sans oublier les initiatives du collectif Pouvoir d’agir… Pas un jour en ce moment où je n’apprenne une initiative visant explicitement la transformation de notre rapport à l’économie et à la politique ! Certains diront en découvrant la liste ci-dessus que tout ça n’a aucun rapport ou plutôt qu’il y a des initiatives de fond et des récupérations, des projets réellement collectifs et des initiatives personnelles, des actions émanant de la société civile et des approches plus descendantes et institutionnelles. Oui, ils auront raison sur le fond. Ils auront raison de voir des arrières pensées, des calculs, des incohérences, …

Oui les différences de fond sont nombreuses. Elles tournent autour de deux questionnements qui sont essentiels en termes de stratégie pour aller vers la démocratie sociétale que j’appelle de mes vœux :

1- Doit-on convaincre les princes d’enclencher un changement en leur affirmant que c’est le seul moyen pour eux d’éviter la catastrophe ou faut-il constituer un mouvement de masse d’une telle ampleur qu’il rende inévitables des transformations profondes ?

2- Pense-t-on que tout un chacun est partie prenante du problème et partant de la solution ou pense-t-on que la solution vient de l’extérieur avec « une bonne réforme » ou « une bonne révolution ». Réformisme et révolution peuvent en effet être dans le même camp quand ils oublient le lien entre transformation personnelle et transformation sociale comme le prônait si justement le mouvement animé par Laurence Baranski.

Dans le groupe des Convivialistes auquel Alain Caillé m’avait proposé de participer au printemps dernier, le débat a été passionné sur les divergences entre l’économie positive et le convivialisme. Je reprends avec l’accord d’Alain Caillé la manière dont il le synthétisait. « L' »économie positive » se présente comme un ensemble de recettes économiques ou écologiques présentées par des experts à destination de gouvernants potentiellement de bonne volonté et supposés capables de les mettre en œuvre. Le convivialisme selon moi pose que notre problème premier n’est pas un problème d’expertise économico-écologique, même s’il nous faut évidemment l’intégrer, mais d’abord de philosophie morale et politique. Il se considère par ailleurs comme l’émanation réflexive de tout un ensemble de militances pratiques et théoriques mondiales, et c’est à elles qu’il entend donner de la force, en faisant apparaître leur plus grand commun dénominateur idéologique parce qu’il est persuadé que rien ne se fera sans une gigantesque mobilisation de l’opinion publique mondiale, et non par l’improbable conversion de quelques dirigeants éclairés ».

Ces débats sont utiles car ils évitent tout syncrétisme illusoire et surtout parce qu’ils obligent à penser en termes stratégiques. Mais ils seraient catastrophiques s’ils conduisaient à l’anathème et au repli de chacun sur son camp. Pour moi, on peut désirer une dynamique « bottom up » avec des prises de conscience reliant étroitement démarches personnelles et engagements collectifs nourris « de philosophie morale et politique » sans pour autant considérer avec mépris ou hostilité les initiatives qui cherchent à séduire les gouvernants.

Qu’est-ce qui importe aujourd’hui plus que tout ? que l’on sorte de l’entre soi confortable pour risquer des alliances forcément plus larges que nos chapelles identitaires, que l’on dépasse ainsi le mur de l’indifférence ou de l’incrédulité médiatique par la création d’une vague, ou plutôt d’une série de vagues car c’est la répétition et non l’exceptionnalité qui fera bouger les représentations. Que toutes les vagues ne soient pas de la même hauteur, que certaines charrient du varech… peu importe ! C’est le battement de la mer qui use les digues les plus solides bien plus que les submersions spectaculaires mais temporaires.

N’oublions pas les paroles de La Rose et le Réséda, le poème d’Aragon publié en pleine tempête (1943)

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas

Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat

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* Jardin évoquait dans L’Opinion la nécessité de se réinventer (ce qu’il développe dans son nouveau livre Les 3 zèbres). Deux extraits :

« Cessez de vous déposséder de votre propre pouvoir ! […]Sortez de la croyance fantasque qui veut qu’il soit indispensable de tenir l’Elysée pour agir résolument. La vitalité française ne reviendra pas par l’Etat mais par tous, pour tous. Du bas vers le haut. L’ancien schéma est mort. […] Il n’est plus temps de disserter, d’espérer d’influencer le pouvoir central – le schéma était valide dans le monde d’hier – mais bien de FAIRE SOI-MÊME, en visant haut. De réveiller les ressources civiles. »

 

La Renaissance de Martine Aubry

Si vous n’avez pas remarqué la tribune de Martine Aubry fin août dans Le Monde, vous n’êtes pas le ou la seul-e ! Pourquoi s’y intéresser alors qu’elle est restée apparemment sans suite notable ? je vous laisse découvrir la raison que je vous propose sur mon blog ! … et on peut en discuter !!

Qui a lu le papier de Martine Aubry dans Le Monde paru le 26 août dernier ? il est resté largement inaperçu et a été très peu commenté. Comme toujours les principales réactions ont été négatives : les uns l’ont lu le comme une candidature à Matignon, d’autres comme une tentative d’exister sur le plan intellectuel à défaut de peser dans le jeu politique… et si on regardait simplement ce qu’elle propose ? les perspectives qu’elle ouvre … et celles qu’elle n’ouvre pas. Et voyons si ça permet d’aller dans la perspective de l’alliance société civile / politique dont j’ai déjà ici évoqué la nécessité.

D’abord prenons au sérieux l’ambition de s’inscrire dans une nouvelle Renaissance : « Aucune des mesures prises ne sera suffisante si l’avenir n’est pas rendu plus visible et surtout plus désirable ».  Oui cette question d’un avenir désirable est centrale et ne peut advenir d’une pratique politique purement gestionnaire, aussi habile qu’elle soit. « L’heure n’est plus au rafistolage, nous avons la responsabilité de faire émerger un monde nouveau ». Ce que je trouve intéressant c’est qu’elle affirme aussitôt : « Les prémices de ce nouveau monde sont déjà là ». On n’est donc pas dans la vision d’un politique qui sait et qui doit éclairer une société en retard mais au contraire d’une élue qui est consciente de tout ce qui se trame DEJA sans être suffisamment pris en compte. C’est bien en phase avec notre certitude que la société est plus vivante, plus innovante que le monde politique.

La suite du texte est ambivalente et peut faire l’objet de deux lectures, une première – rapide – s’appuyant sur la structure très classique du texte industrie, services publics, valeurs… ne dit rien de très neuf ; une seconde – plus attentive aux détails – permet de cueillir quelques pistes neuves mais peu développées.

Prenons  son premier pilier : il est industriel et commence très classiquement par tous nos atouts insuffisamment pris en compte. Fort bien mais pas de quoi parler de révolution. Pourtant dans ce pilier « industrie » on glisse progressivement vers une économie qui n’a plus rien d’industriel au moins au sens classique du terme : « Une économie de la coopération, du bien-être. Une économie qui rompt avec le consumérisme en reconnaissant  le logement, la santé l’éducation et la culture comme des éléments structurants de la société. Tels sont les contours de la révolution industrielle » Rien ne vient expliciter cette intégration d’une économie du bien-être dans la révolution industrielle. Est-ce une simple juxtaposition de préoccupations diverses sans lien entre elles ? Ou est-ce l’amorce d’une vision d’une économie tout autre où le bien-être, la santé, le logement, … ne sont plus des compléments bienvenus pour humaniser l’économie à la marge mais deviennent les moteurs mêmes d’une nouvelle forme de croissance ? ces deux lectures sont possibles.

Le 2ème  pilier est intitulé « renaissance de l’action et des services publics ». Attendu pour une ancienne dirigeante du PS ! mais on y trouve des pistes qui méritent l’attention (et demanderaient des développements) : personnalisation de l’éducation et de la formation, décentralisation. Sur la question des retraites, on n’est pas loin de l’approche que je dessinais dans mon dernier post : « considérer l’allongement de la vie comme une chance en renforçant la place des seniors dans la cité ». Et aussi ; «  la question de l’équilibre des régimes de retraite se règlera dès lors que nous portons une réforme de société et non une vision comptable ».

A la fin du texte on trouve également un couplet convenu sur la laïcité mais aussi une mise en avant de la fraternité  avec la relance du care qu’elle juge avoir été  « caricaturé » par les commentateurs… tout en la caricaturant à son tour en le réduisant à l’altruisme.

L’intérêt du texte : avec Martine Aubry l’alliance est possible !

Pourquoi donc s’intéresser à un texte qui malgré son ambition n’est pas pleinement enthousiasmant ? S’il n’a pas retenu l’attention, c’est sans doute qu’il était trop loin de la politique traditionnelle (offrant ainsi peu de prise à la polémique) et pas assez visionnaire pour ceux qui réfléchissent  à ce que demain sera. Pour moi, dans la perspective d’alliance que je défends, ce texte est au contraire tout à fait intéressant.  Martine Aubry  confirme en effet à travers ce texte qu’elle est bien une politique avec qui l’alliance société civile/politique est possible, malgré ce qu’on dit parfois sur son autoritarisme. Elle va assez loin pour comprendre la société,  ses aspirations et les dynamiques dont elle est porteuse. Et son « classicisme » politique dans l’expression montre qu’elle n’est pas pour autant en rupture avec les institutions telles qu’elles sont… ce qui est indispensable pour pouvoir les embarquer dans les nouveaux modes de faire que nous préconisons. (et par pitié ne réduisons pas Martine Aubry aux 35h imposées par la loi !)

Notons que les politiques les plus innovants comme Cohn-Bendit par exemple sont finalement moins pertinents dans cette perspective d’alliance car ils sont trop déconnectés des institutions et leur pouvoir d’entraînement est faible. Donc vive les élus à la fois bien insérés dans le milieu politique et suffisamment ouverts pour modifier leurs modes d’action ! Et si nous commencions leur repérage collectivement ?

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