lettre d’info n°4

Bonjour,
voici la quatrième lettre de Persopolitique. Énervement face à la télé, enthousiasme pour les jurys citoyens ou les « écoles fenêtres »… mais surtout, et à travers tous les articles, une tentative pour sortir de nos représentations convenues de l’apathie citoyenne. Avec des pistes pour activer ce potentiel de citoyenneté. Donc un peu d’optimisme dans cette actualité plus que morose !!

… 6 mois depuis la dernière lettre ! je n’abuse pas de votre boîte aux lettres !! Et sept articles publiés seulement, je n’abuse pas non plus de ma plume !

Avant l’été j’étais revenu sur l’importance de changer notre conception du pouvoir après l’affaire DSK. Pouvoir SUR ou pouvoir DE, il est temps de choisir.

Sollicité par une personne qui a croisé la route des Ateliers, je me suis à nouveau interrogé sur la pertinence du tirage au sort des députés. (je me suis depuis remis au travail sur le sujet et vais essayer de sortir simultanément deux courts essais, l’un sur la citoyenneté entreprenante, l’autre sur le tirage au sort). Je suis revenu sur l’intérêt du tirage au sort en parlant du jury citoyen animé il y a un mois pour Synergence.

Que ce soient dans les médias ou, plus grave, chez les intellectuels, les représentations des gens ordinaires et de la société sont terriblement pessimistes. Nous ne serions que des individualistes indécrottables rendant impossible toute approche renouvelée de l’action publique. Je crois que c’est exactement l’inverse : notre vision de la société est en décalage par rapport aux potentialités dont elle dispose. Résultat nous n’inventons pas les nouvelles approches de l’action publique qui solliciteraient le potentiel créatif des citoyens. Lire là-dessus mon apostrophe à Laurent Delahousse et ma réaction au dialogue entre Philippe Meirieu et Marcel Gauchet. On verra aussi ce que peut concrètement faire la société civile en matière d’éducation avec l’exemple des « écoles fenêtres » des Pays-Bas.

Enfin une question apparemment sans importance pour finir : quand a commencé le XXIème siècle ? Si comme moi vous répondez en 2008 avec la chute de Lehman brothers, plutôt qu’en 1989 (la chute du mur) ou en 2001 (la chute des tours), c’est que nous partageons la conviction que nous ne sommes définitivement plus dans une « crise » dont il faudrait sortir mais dans le douloureux accouchement d’un monde résolument différent. Reste à savoir le visage qu’il aura… ou plutôt que nous lui donnerons.

Bonne lecture-s.

 

 

 

 

 

1989, 2001, 2008 : quand le siècle a-t-il débuté ?

On sait que les historiens considèrent que le XIXème siècle commence en 1815 et que le XXème siècle s’ouvre avec la première guerre mondiale, en 1914. Et le XXIème siècle ? Pour la plupart il a vu le jour avec la chute du Mur qui refermait la période des totalitarismes, pour d’autres c’est le 11 septembre qui serait la date de bascule dans un siècle d’incertitudes et de risques d’autant moins maîtrisables qu’ils viendraient d’organisations non étatiques. Les deux choix ont bien sûr du sens et ces dates resteront symboliquement fortes.

Nous ont-elles pour autant fait basculer dans un autre monde ? Fukuyama le croyait en 1989 en évoquant « la fin de l’histoire » à l’occasion de la disparition du système soviétique. Il n’y avait plus dès lors d’alternative au système libéral occidental qui pouvait donc s’étendre de proche en proche comme il commençait à le faire en Chine. L’histoire et sa dimension tragique s’est pourtant rappelée à nous en 2001 avec le retour de la peur de « l’autre », l’autre n’étant plus le communisme mais l’islamisme. En quelque sorte 2001 annulait l’espoir de 1989. On croyait être sorti de l’histoire mais 2001 nous ramenait au XXème siècle dont on pensait être sorti. Avec la peur de l’autre, cette peur idéologique d’un ennemi de notre civilisation (et pas seulement de tel ou tel Etat comme avant le XXème siècle),  nous n’amorçons donc pas une nouvelle période historique, nous changeons juste de démons. La guerre continue.

2008, c’est la chute de Lehman brothers, une crise mondiale, mais apparemment sous contrôle. Au début on la compare à la crise de 29 mais très vite on se rassure avec la reprise, obtenue pourtant à crédit. Aujourd’hui chacun s’accorde à dire que nous n’avons fait que reporter l’échéance de 3 ans et que nous sommes maintenant devant des ruptures douloureuses. Le XXIème siècle pour moi commence donc dans cet enchaînement 2008/2011 : l’effroi trop vite oublié de 2008 suivi par la résurgence des crises de 2011 qui montre que le « back as usual » n’est désormais plus de mise.

Il n’y a en effet pas de « retour à la normale » possible. Pas de marge monétaire, pas de marge budgétaire. Pas de possibilité de dévaluation compétitive. Pas de possibilité de profiter du dynamisme de pays mieux lotis car la crise va frapper aussi la Chine et les émergents. Les recherches désespérées de points de croissance supplémentaires resteront lettre morte. Ce n’est pas une crise mais le début d’une mutation majeure.

On en voit les premiers effets par la conjonction des « crises ». Leur simultanéité est désormais frappante lorsque dans la même année on assiste à une catastrophe écologique majeure (Fukushima), à une poussée démocratique inattendue (pays arabes), à un ébranlement de la zone euro. Plus encore que cette simultanéité, ce qui frappe, ce sont les interactions qui apparaissent au grand jour : la crise économique en Europe commence à se transformer en crise démocratique avec les « indignés » d’abord et maintenant avec les crises grecque et italienne débouchant sur des gouvernements d’experts préférés à d’explosifs referendums. Autre illustration de cette convergence des crises sur laquelle nous n’avons pas fini de nous écharper en France : la question nucléaire. Cette dernière est en effet l’expression achevée du monde que l’on cherche à quitter : croyance absolue dans la technoscience, fétichisme de la croissance alimentée par une énergie abondante, indifférence aux conséquences à long terme des « sous-produits » de cette industrie que sont les déchets nucléaires, gouvernance d’experts sans intervention des citoyens dans les décisions.

Nous ne pouvons plus traiter les crises comme des questions séparées. Il est ainsi effarant que les gouvernants de tous bords continuent à attendre le retour de la croissance comme seul moyen de sortir de la crise économique tout en reconnaissant par ailleurs que la crise écologique doit nous amener à revoir notre modèle de développement. Où est la cohérence ?

Le XXIème siècle a peut-être commencé mais nous souffrons d’un manque cruel de vision de ce qu’il peut être. Il me semble que la première des choses à faire serait d’arrêter de rafistoler le monde d’hier. Ainsi après les multiples plans de sauvetage des retraites, nous entrons dans la série des plans d’austérité budgétaires. En voulant préserver le modèle social français par coups de rabot successifs, nous ne sauverons pas le « modèle » et, plus grave, nous ne consacrerons pas les ressources nécessaires à l’invention du modèle d’après.

Jurys citoyens : la citoyenneté peut se … « dérouiller » !

Rolland, Marie-Paule, Frédéric, Vincent, Corinne, Clémence, Camille, Jean-Pascal, Alexandre, Alison, David, Laurence, Valérie, Patrick, Catherine, Olivia : ils étaient seize à participer au Jury citoyen[1] qui s’est réuni dans les locaux confortables et lumineux mis à notre disposition par le CJD, avenue Georges V. Ils venaient de l’Ile-de-France, de Touraine, d’Alsace ou du Nord. Livreur, employé dans la restauration, enseignante, femme au foyer, étudiant…ils étaient de milieux différents, simplement mis en présence par un même tirage au sort sur des listes téléphoniques.

La question qui les réunissait était loin d’être de celles qu’on se pose tous les jours : la gestion de la mobilité permise par le traçage des déplacements (vidéosurveillance, géolocalisation, billettique) est-elle compatible avec le respect de la vie privée ? Pourtant, pendant deux week-ends, ils ont examiné sous tous les angles les incidences possibles de ces technologies sur notre liberté d’aller et venir. D’abord avec l’appui d’experts de ces domaines, professionnels ou chercheurs, favorables et critiques. Ensuite entre eux pour tenter de voir à quelles conditions ces technologies pouvaient être utiles sans devenir trop intrusives dans nos vies.

Comme à chaque fois dans ces jurys citoyens, ce qui frappe, c’est l’effort de conciliation d’enjeux souvent contradictoires non pas par des compromis mous mais par la mise en avant forte de ce qui n’est pas acceptable (par exemple la géolocalisation des enfants comme moyen de surveillance de leurs déplacements) et par une demande tout aussi forte d’être informés de ce qui se fait souvent à notre insu (comme la transmission de nos coordonnées à des fins commerciales). Pas de conversion spectaculaire des technophiles en technophobes ou inversement. Simplement une vigilance plus grande de tous et une envie d’être associés aux décisions prises sur ces sujets.

Dimanche, à l’issue de ces deux week-ends studieux, les participants étaient unanimes pour s’étonner et se réjouir. Se réjouir d’avoir eu la chance de donner leur avis, s’étonner que ce genre de pratiques ne soient pas plus développées. Je ne doute pas que tous ceux qui ont déjà participé à un jury, une conférence, un atelier citoyen – peu importe la dénomination – retrouveront dans ce rapide témoignage des similitudes avec ce qu’ils ont vécu eux-mêmes. On peut en effet constater, jury après jury, que la capacité de délibération citoyenne, est bien une constante. Le repli sur la sphère privée et l’indifférence aux enjeux collectifs ne sont donc pas une fatalité !  Ils ne sont en fait que le produit d’un manque de sollicitation des capacités que nous avons tous et qui, finalement,  se « dérouillent » plutôt vite (au prix de quelques maux de tête, parfois, liés à l’attention soutenue que suppose l’exercice !).

Les chercheurs et experts qui ont accompagné le groupe sont tous repartis en se disant frappés de la maturité des débats, ravis d’avoir consacré leur samedi à cette expérience pour eux inédite. Trois d’entre eux, venus au départ pour une simple intervention, se sont pris au jeu et sont restés pour assister aux échanges. Un des intervenants en a parlé au sein d’une association professionnelle et a trouvé un tel écho qu’on lui a demandé un article sur le sujet !

Je suis sûr que c’est ainsi, de proche en proche, que ces pratiques démocratiques d’un nouveau type se développeront et seront prises en compte dans la décision publique. A ce propos, il serait intéressant de parvenir à recenser les initiatives prises. Elles se multiplient en ce moment, à toutes les échelles de territoire. Un signe encourageant pour la démocratie.

 


[1] Ce jury citoyen était organisé dans le cadre du Predit, programme national de recherche sur les transports piloté par le Ministère de l’Ecologie et du Développement durable. Il était mis en œuvre par une équipe de Synergence pilotée par Martin Vielajus et moi.

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