la santé, une question ô combien persopolitique

La première rencontre des INITIALES organisée par les Ateliers de la Citoyenneté a été consacrée à la santé, avec notamment l’initiative de « Réseau santé », malheureusement aujourd’hui en perte de vitesse. L’idée était simplissime : la santé est une question éminemment personnelle et pourtant les politiques de santé publique ne voient dans les personnes que des patients à soigner ou au mieux des citoyens à éduquer. Réseau santé montrait concrètement que les gens pouvaient s’entraider pour mieux prendre en compte leur bien-être et leur santé. Basique ! mais si peu accompagné par les professionnels de santé et les pouvoirs publics. D’où mon intérêt pour le texte de Dominique Boullier paru dans Cosmopolitiques sur la mobilisation des compétences citoyennes dans un plan « santé environnement » en Bretagne. En voici un extrait :

Si l’on veut que le plan soit durable, il faut être plus audacieux que cela et faire un vrai travail de changement des modes d’intervention permanent du public et des citoyens sur les questions santé/ environnement.
Si nous partions d’un autre pari (pas plus fou que celui qui consiste à dire que l’on peut sensibiliser et éduquer tout citoyen), qui consisterait à dire que les citoyens savent et font déjà beaucoup de choses ?
Si l’on prend au sérieux leurs savoirs traditionnels (non mentionnés dans aucun rapport des groupes de travail) qui gardent toute leur influence et aussi toute leur efficacité (notamment en matière d’habitat, de cultures, d’alimentation, mais aussi de soins naturels),
si l’on prend au sérieux toute leur activité d’automédication, impressionnante mais toujours décriée ou crainte, surtout par les médecins et les groupes pharmaceutiques,
si l’on prend au sérieux tous les réseaux interpersonnels d’entraide, autour de maladies rares par exemple, qui sont désormais équipés avec internet sous forme de forums, de réseaux sociaux, mais qui ont leurs équivalents dans les relations face-à-face,
alors nous pourrons mobiliser une énergie puissante, un soif de connaissance et d’action qui a fini par être confisquée par les experts.

Le texte complet est

de plain-pied

C’est souvent par le contre-exemple qu’on éclaire le mieux le sens d’un mot. Nous en avons eu un bel exemple au cours d’une rencontre des INITIALES qui m’a donnée la nostalgie des Ateliers de la Citoyenneté. Nous l’avons dit souvent, la caractéristique majeure des réunions organisées par les Ateliers était le fait qu’elles se déroulaient de plain-pied, sans « sachant ». Or mercredi dernier, nous nous réunissions pour parler de la violence dans l’entreprise. La réunion avait commencé comme nous en avions l’habitude : en cercle, chacun apportait son point de vue, la première intervenante sollicitée, psychologue du travail à la CRAM jouait parfaitement le jeu d’un apport  ancré dans une pratique, sans prétention mais avec des convictions fortes : l’échange se poursuivait entre tous et elle contribuait naturellement mais sans se prévaloir d’une expertise. Le deuxième intervenant restait silencieux, en retrait mais attentif. Au bout d’une heure et demi je faisais signe à l’animatrice pour qu’elle pense à lui donner la parole. Et, là catastrophe ! Il se lève, va chercher un paper board, des stylos de toutes les couleurs, il se campe au milieu du cercle, va et vient en faisant claquer ses talonnettes, pérorant sans trop savoir comment entrer dans le cours qu’il nous avait préparé. Il se lance enfin, nous annonçant 5 clés pour un management évitant la violence (la première étant « savoir donner du sens », vous voyez ce que pouvaient être les 4 autres). Très vite, on sent que le cercle des participants, une petite vingtaine d’hommes et de femmes, s’étonne de ce cours incongru. Une première participante conteste les propos tenus, ne les trouvant pas fondés et bien trop généraux, l’autre intervenante réagit aussi, rejetant ces artifices managériaux pouvant mettre en porte-à-faux les cadres intermédiaires auxquels ce discours habituellement s’adresse. Au bout d’un moment avec Pascale Puéchavy (mon ancienne complice dans l’animation des Ateliers) à côté de qui je suis assis, nous décidons de rappeler l’intervenant à la règle implicite de notre échange : nous ne sommes pas venus pour un cours de management mais pour partager des expériences et des savoirs sur un sujet pour lequel  la parole de chacun est aussi légitime. Cette parole est pourtant pour le moment confisquée par l’introduction d’une verticalité dans le plain-pied qui n’a jamais aussi bien porté son nom issu du latin planus (plan). L’intervenant dit qu’il comprend mais continue néanmoins en accéléré son exposé puis s’assoit d’une fesse sur une table un peu en arrière du cercle… qui immédiatement se referme et dont il s’exclue jusqu’à la fin de la discussion. L’animatrice conclue et remercie. Chacun commence à se lever lorsque l’intervenant tente sans conviction d’avoir le dernier moyen exposant les 4 principes de la communication non violente dans l’indifférence polie des participants qui commencent à échanger par petits groupes. Plus tard autour d’un verre nous expliquons à quelques-uns au pauvre formateur (c’était évidemment son métier) les raisons de notre attitude et nous espérions que la séance avait été formatrice… pour lui !

Au cours du diner qui suivit Philippe Villeval, de la fédération des Centres sociaux du Rhône, revenant sur l’incident, notait à quel point le mode d’animation de plain-pied restait peu pratiqué, même au sein de son réseau. Nous en venions à dire qu’une formation à l’animation « à la mode des Ateliers » serait la bienvenue, les formations existantes étant trop centrées sur la production et la mise en place de règles formelles.

Mais comment former à ce qui apparait à tous comme une évidence lorsqu’ils y ont pris goût mais dont ils constatent en même temps la rareté au quotidien tant nous sommes formatés par les relations verticales ? Puisque c’est  plus un « art » qu’un savoir, la transmission passe sans doute par la pratique.