Bénéfices paradoxaux d’une campagne inédite

Ce n’est pas pour le plaisir de prendre le contrepied de ce qui se répète à l’envi (un peu tout de même) mais je trouve qu’on ne voit pas assez tout le bénéfice que nous allons pouvoir tirer collectivement de cette campagne présidentielle.
PS- Vous découvrez avec ce billet la nouvelle mise en page de Persopolitique, N’hésitez pas à me faire des retours, la forme compte !

Je vous livre 7 raisons de se réjouir d’une campagne qu’on ne cesse de dénigrer, souvent à juste titre. Toutes ou presque sont paradoxales… comme l’est la situation où nous sommes ! Je ne développe pas, nous pourrons le faire dans nos échanges pendant les quelques heures qui nous séparent encore de ce 23 avril tellement incertain que l’élection ressemble de plus en plus au tirage au sort.

  1. Le débordement des partis traditionnels, trop focalisés sur les jeux d’appareils. Ils viennent de perdre leur dernière justification, la capacité à structurer le débat et à sélectionner des majorités de gouvernement.  PS et LR vont devoir enfin se questionner sur leur fonction, sans s’abriter derrière de fausses innovations comme les Primaires.
  2. La volonté d’en finir avec l’exceptionnalité du statut des hommes politiques. Au-delà des questions judiciaires, c’est l’attitude même des hommes politiques qui va devoir changer. Nous ne supportons plus cette position en surplomb, cette assurance que l’onction électorale est un sauf-conduit évitant d’avoir des comptes à rendre.
  3. La montée en puissance des questions écologiques dans les programmes et la réduction de la question identitaire dans les débats. Bien sûr on a trop peu parlé des sujets de fond dans cette campagne mais malgré tout on a pu comprendre que les questions écologiques n’étaient plus l’affaire d’un parti dédié et délaissées par tous les autres. Même imparfait le débat a abordé des thèmes bien plus divers qu’en 2012 ou même 2007 quand la question de l’identité saturait l’espace public.
  4. La tentative de formes nouvelles de candidatures via les primaires et les Civic techs. Les Primaires ont eu un succès majeur mais paradoxal puisqu’elles ont abouti à désigner des candidats ayant moins de chance que d’autres candidats d’emporter l’élection… réelle. Les Primaires citoyennes imaginées sur Internet n’ont en revanche pas connu de succès populaire mais ont montré une autre voie, techniquement possible. Plus fondamentalement ces Civic tech, même incapables aujourd’hui de structurer le débat national, montrent, par leur foisonnement, qu’elles sont définitivement installées dans nos manières de faire de la politique.
  5. La réaffirmation du rôle du Parlement et des majorités à géométrie variable. Trop focalisés sur la Présidentielle, nous n’avons pas suffisamment perçu que ce qui se jouait avec l’effacement des partis majoritaires c’est le retour du Parlement au premier plan. C’est dans le dialogue avec un Parlement plus composite que le Président devra engager ses réformes. On a vu les limites du 49-3 pour gouverner. La politique, on va le redécouvrir est moins l’art de décider que de composer.
  6. La désacralisation de la présidentielle et la prise de conscience que « faire de la politique » ne passe pas nécessairement par l’élection. Cette année, les médias ont multiplié les occasions d’entendre directement la parole de « français ordinaires » et ce qui m’a frappé c’est la lucidité de beaucoup d’entre eux. Même si j’ai sans doute une oreille sélective, j’ai souvent entendu des femmes et des hommes exprimer leur envie d’engagement, au-delà de la seule élection, dans des actions concrètes qu’ils considéraient comme étant politiques. En tous cas, ils ne voyaient pas le futur Président comme un sauveur.
  7. Le doute et la nécessité de réfléchir par soi-même à l’opposé du vote d’adhésion. Jusqu’au dernier moment nous avons tous été obligés de réfléchir à notre vote tant les repères gauche/droite habituels et quasi-automatiques ne fonctionnent plus. Le « dis-moi qui tu es, je te dirais pour qui tu votes » ne marche plus. Quel bonheur !

 

 

 

 

 

Le mal sans profondeur, espoir de la politique

Une citation d’Hannah Arendt avant tout, et un commentaire qui se tisse autour des points de vue d’une théologienne protestante, d’un paysagiste non-conformiste, d’une écrivaine sénégalo-française. Rien de trop pour parler du bien et du mal… et de la possibilité du politique !

A l’heure actuelle, mon avis est que le mal n’est jamais « radical », qu’il est seulement extrême, et qu’il ne possède ni profondeur ni dimension démoniaque. Il peut tout envahir et ravager le monde entier précisément parce qu’il se propage comme un champignon. Il « défie la pensée », comme je l’ai dit, parce que la pensée essaie d’atteindre à la profondeur, de toucher aux racines, et du moment qu’elle s’occupe du mal, elle est frustrée parce qu’elle ne trouve rien. C’est là sa « banalité ». Seul le bien a de la profondeur et peut être radical. »

Hannah Arendt, Correspondances croisée. (A Gershom Sholem).

Trouvée dans le livre de Marion Muller-Collard, Le Complexe d’Elie, cette citation d’Arendt me donne l’occasion d’un prolongement de mon précédent papier.

D’abord on comprend mieux l’expression si souvent reprise de « banalité du mal ». On s’arrête souvent à son refus d’héroïser le mal. Oui les nazis n’étaient pas des héros négatifs, des êtres hors du commun. Oui avoir cette approche du « Mal hors norme » risquait de nous exonérer de notre propre capacité à participer au Mal. Mais Arendt dit beaucoup plus que ça : elle distingue le bien et le mal par leur profondeur ou leur absence de profondeur. Le mal se propage en surface, comme un champignon dit-elle. Comme un incendie pourrait-on dire aussi. L’incendie brûle tout, on a l’impression de dévastation lorsque le feu est passé, tout semble calciné, ramené à l’état minéral, sans vie. Mais c’est une illusion. Gilles Clément, le paysagiste qui refuse de domestiquer la nature, disait récemment que les incendies pouvaient être bénéfiques. Ils lèvent la dormance de graines enfouies dans le sol. « Réveillées » par le choc thermique, elles contribuent au renouvèlement de la biodiversité. Le « mal » de l’incendie ne parvient pas à atteindre les racines de la vie que sont les graines (je sais, les graines racines de la vie, la métaphore n’est pas très conforme à la réalité biologique !).
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Faut-il des ennemis pour que la démocratie vive ?

Voici un texte qui n’était pas simple à écrire. J’avance sur un terrain miné et m’expose à bien des critiques. Pour autant je suis heureux de mettre enfin ces questions en débat. Je crois qu’elles sont clés et qu’on les esquive trop souvent. A vous lire !

C’est un papier que je veux écrire depuis longtemps et que je remets toujours au lendemain. Ecrire sur le sujet du conflit radical ne m’est pas naturel et pourtant j’en sens la nécessité pour éviter la bien-pensance qui toujours me guette. Je tourne d’ailleurs autour régulièrement quand j’évoque l’hubris et la rupture du monde commun qui menacent la démocratie. Mais mon goût pour la concorde, ma crainte du conflit qui tourne à l’aigre me font privilégier les logiques d’accommodements raisonnables. Continuer la lecture de « Faut-il des ennemis pour que la démocratie vive ? »