Nightmare

Il y a des moments où on ne peut pas ne pas réagir à chaud… Juste quelques mots pour ne pas rester dans la sidération.

J’espérais me recoucher rassuré quand j’ai allumé la télé à 5h00. Hier soir je croyais encore les analyses que j’avais lues « démontrant », au-delà des sondages qu’en fonction du vote par Etat, Hillary Clinton serait élue de manière quasi-certaine. Hier soir encore en discutant avec Didier Livio qui craignait l’issue qui semble se dessiner ce matin, je me rassurai en distinguant le Brexit et l’élection américaine. Pour moi il était beaucoup plus « facile » de faire le choix du Brexit parce qu’il restait abstrait pour beaucoup d’électeurs avec des conséquences concrètes peu perceptibles. En revanche voter Trump, on sait qu’on le verra pendant 4 ans dans le Bureau ovale ! On en a une représentation claire et ça me semblait de ce fait plus invraisemblable encore que le Brexit.

Tous ces raisonnements, toutes ces subtilités n’ont plus lieu d’être. Le mouvement de fond qui submerge la planète semble ne devoir épargner personne. Poutine en Russie, Xi Jinping en Chine qui vient de se faire consacré « noyau dur », la Grande-Bretagne brexiteuse, tout l’Est de l’Europe… Le raidissement nationaliste est partout à l’œuvre.

Et en France ? On est bien sûr frappé par les similarités entre Etats-Unis et France et l’on ne peut s’empêcher de craindre qu’Alain Juppé ne soit notre Hillary Clinton. Même profil de solution par défaut sans adhésion profonde, même envie de renverser la table chez beaucoup d’électeurs. J’ai toujours pensé que le Front National ne serait jamais au pouvoir. Comment ne pas douter ce matin ?

Nous ne pouvons nous résigner à la vague « trumpoutinienne » qui nous angoisse et nous suffoque (j’ai vraiment du mal à respirer normalement ce matin tant je suis oppressé). Nous ne devons pas nous laisser sidérer ! Nous avons les ingrédients pour un antidote au poison « antipolitique »… et sa mise au point s’accélère.

Depuis des années, je fais partie de ceux qui tentent d’inventer d’autres pratiques démocratiques pour que la démocratie soit toujours un régime désirable. Les Ateliers de la Citoyenneté sont nés il y a 15 ans déjà. On voit tous les jours des initiatives nouvelles qui vont dans le sens d’une réappropriation citoyenne de la politique. Deux initiatives récentes me semblent importantes parce qu’elles réussissent ce qu’aucune n’a jusqu’ici réussi à faire : l’alliance avec les médias. Axel Dauchez (l’ancien patron de Deezer) avec make.org veut permettre aux citoyens de mettre des propositions à l’agenda politique grâce à la puissance de sa plateforme relayée par plusieurs médias. Pascal Canfin, à la tête du WWF en France veut lancer un crowdacting en lien avec Plus belle la vie. De son côté Alexandre Jardin tente une alliance des porteurs d’initiative et des élus locaux… De manière moins spectaculaire les réseaux de réseaux intensifient leurs connexions avec Pouvoir citoyen en marche. De nombreux intellectuels se rassemblent autour de la bannière du Convivialisme…

Oui les choses s’accélèrent. Il est temps « d’accélérer l’accélération » pour contrer la vague, pour éviter la sidération, pour éviter l’empoisonnement « antipolitique », pour sortir du cauchemar…

URGENCE DE LA TRANSITION ; NÉCESSITÉ DE SA MISE EN OEUVRE

Exceptionnellement un texte que je n’ai pas écrit mais dont je partage pleinement les interrogations : comment donner plus de force aux initiatives citoyennes ? les pistes proposées amènent à revoir profondément la relation élus-citoyens, tant dans la représentation que dans la manière de décider.

J’ai souhaité exceptionnellement publier un texte que je n’ai pas écrit. Il l’a été par Jean-Pierre Worms et diffusé à la fois dans les réseaux des intellectuels convivialistes et ceux du Pouvoir citoyen en marche. Certains d’entre vous connaissent bien Jean-Pierre Worms, il a accepté dès l’origine de participer à l’orientation des Ateliers de la Citoyenneté, il a récemment rédigé la préface de mon livre. Pour ceux qui ne le connaissent pas, sachez simplement que c’est un jeune homme de 80 ans qui a été tour à tour ou simultanément sociologue, élu local et national, acteur associatif innovant. Toujours actif, toujours prêt à s’enthousiasmer pour une nouvelle aventure. Je trouve important de partager ses alertes et surtout les moyens qu’il propose pour faire face à l’urgence. Avec son autorisation je n’ai repris que ses propositions finales, les lecteurs de ce blog sont en effet familiers des prémisses de son discours qui forment aussi la trame de mes écrits : la crise démocratique née « des logiques mortifères de la démesure à l’œuvre dans tous les domaines [qui] convergent et s’accélèrent » et aussi les ressources qui naissent de cette même crise, avec « la pertinence et la puissance des savoirs d’expérience et du pouvoir d’agir des citoyens ». Jean-Pierre Worms pointe les difficultés du passage entre le monde qui se meurt et celui qui émerge. C’est ici que je lui laisse la parole.

 

Deux difficultés, parmi bien d’autres sans doute, doivent être particulièrement soulignées car elles appellent de fortes mobilisations pour les surmonter.

La première tient à l’émiettement de cette diversité d’initiatives qui freine la construction d’une capacité commune de transformation sociale, d’un véritable pouvoir politique partagé.

Si, comme le veut notre tradition française, certaines initiatives novatrices se diffusent sur le territoire selon la rationalité décentralisatrice descendante d’une organisation de type fédéral, la grande majorité de ces «créatifs culturels», de ces «défricheurs» et «innovateurs sociaux», dont les initiatives «partent du bas» et sont liées aux spécificités de leurs territoires d’émergence, se méfient du risque d’aliéner leur liberté d’initiative dans la participation à toute forme d’organisation collective supérieure et du moins n’en voient pas l’utilité. Isolées les unes des autres et sans aptitude à intervenir ensemble dans l’espace public, leur visibilité médiatique et leur pouvoir transformateur ne correspond pas au poids réel des volontés, intelligences et compétences citoyennes mises en mouvement.

Un autre facteur encore plus grave freine la mise en synergie de ces initiatives : la reproduction au sein de la société civile de ce découpage de la société en «silos» verticaux déconnectés les uns des autres qu’opère le traitement administratif centralisé des problèmes sociaux. L’emploi, l’éducation, le logement, la santé etc. relèvent de champs de compétence particuliers, encadrés par des contraintes règlementaires, des corps administratifs et professionnels et des modes de financement spécifiques qui freinent, voire parfois interdisent les possibilités d’élaborer dans la concertation des politiques publiques cohérentes sur les territoires où elles sont mises en œuvre. Cela est souvent dénoncé concernant l’action publique de l’État central. Moins souvent, alors que cela mériterait de l’être, concernant celle des collectivités locales. Exceptionnellement seulement concernant l’action des associations, réseaux ou collectifs citoyens, ce qui est encore plus grave.

C’est pourtant un constat que chacun peut faire. Sur un même territoire local, il y a ceux qui travaillent à l’ouverture de l’école aux familles qui en sont les plus éloignées, ceux qui permettent l’accès à la création d’entreprise à des personnes dont le statut financier et social les en écarterait, ceux qui œuvrent à l’amélioration de la prise en compte de l’intelligence et de la volonté des malades dans l’organisation des soins…, mais tous ces citoyens qui agissent pour développer et valoriser le «pouvoir d’agir» des personnes concernées par une politique publique, tous ces membres d’une société civique active, bien que mus par les mêmes valeurs, les mêmes désirs, les mêmes idées de la société… ne se connaissent pas!!! et de ce fait ne constituent pas une force capable de peser ensemble sur l’organisation et la mise en œuvre cohérente des politiques publiques sur leur territoire commun. Construire des relations transversales, de l’inter-connaissance et de l’inter-action sur les territoires locaux, un pouvoir d’agir partagé, voilà ce que les convivialistes et tous les citoyens actifs devraient entreprendre partout et de toute urgence. C’est pourquoi il importe de profiter de cette journée d’occupation de l’espace public le 24 septembre prochain [demain !!], initiée par «Alternatiba» et le «collectif pour la transition», pour mettre en pleine lumière conjointement ce que les citoyens ont entrepris pour construire, chacun séparément, cet autre monde plus juste, plus libre, plus convivial… et plus durable auquel aspirent tant et tant de nos concitoyens. Et pourquoi ne pas interpeller à ce propos ceux qui, dans quelques mois, vont solliciter nos suffrages? La démocratie doit se reconstruire en inversant le rapport entre les citoyens et leurs élus: au lieu que ce soient des candidats qui demandent aux citoyens d’approuver leurs «programmes», que ce soient les citoyens qui demandent aux élus d’approuver et de mettre en œuvre leurs propositions et de faire une place à leurs initiatives dans l’espace public.

Encore faut-il que le «personnel politique» soit apte à entendre ce message et que l’action publique soit apte à s’enrichir de l’intelligence et de l’action des citoyens. Deux questions doivent être prises en compte :

  • celle du statut de la «représentation politique» pour l’ouvrir largement à la participation d’un nombre de citoyens beaucoup plus important qu’aujourd’hui (interdiction absolue de tout cumul de mandats et limitation dans le temps de leur exercice, transparence financière et sanction rigoureuse des conflits d’intérêt, tirage au sort de certaines instances de contrôle voire de délibération, référendums…),
  • celle de l’élaboration de la décision, de sa mise en œuvre et du statut et de l’organisation des fonctions et des institutions publiques pour faire une large place à une élaboration partagée et à une co-gestion de l’action publique, voire à une gestion publique déléguée à des organisations de citoyens.

Laisser ces questions en friche et croire qu’on peut les ignorer et se désintéresser de la politique instituée et notamment des prochaines échéances électorales, bref traiter des problèmes socio-économiques sans se préoccuper de leur inscription dans les cadres actuels de la démocratie conduit selon moi à une impasse. Nous devons élaborer les moyens juridiques et institutionnels qui permettront la mise en œuvre de notre volonté de transformation sociale et les porter dans les débats politiques à venir !

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A noter, Gérard Mermet, avec qui nous envisageons un texte commun, évoque de son côté la nécessité de la disruption et du collaboratif en politique. Une chose est sûre, nous ne pouvons pas nous contenter de la manière dont les candidats aux différentes primaires envisagent leur rôle. Il est plus qu’urgent qu’ils prennent au sérieux la richesse des propositions de la société civile !!

 

 

La démocratie c’est aussi délibérer et entreprendre !

Exceptionnellement, je me permets de vous solliciter, vous qui me lisez régulièrement ou occasionnellement. J’aimerais avec votre aide donner plus de retentissement au texte ci-dessous co-écrit avec JP Worms et A Le Coz. Il résume en effet ce que je propose dans mon livre. Malheureusement je n’ai pas réussi à le publier dans la presse. SOYONS ENSEMBLE LA PRESSE en le faisant circuler ! Ce serait l’illustration parfaite du contenu de l’article ! merci à vous.

Nous ne pensons généralement la démocratie qu’en termes d’expression d’opinion et de surveillance des gouvernants. Dire et voir. Il est temps d’ajouter à notre imaginaire démocratique deux autres verbes : délibérer et entreprendre ! Le premier est bien pris en compte comme une pratique démocratique mais sans qu’on en tire toutes les conséquences ; quant au second, on l’associe plutôt à la vie économique alors que c’est un mot formidable pour parler de manière forte de l’initiative citoyenne souvent reléguée à l’animation d’un « vivre ensemble » sans effet réel sur les situations.

D’abord la délibération. On la voit trop souvent comme une simple modalité de prise de décision, plus collective. On gagnerait à la considérer comme un moyen pour construire des solutions neuves aux questions insolubles. Un exemple : les retraites. On pose toujours le problème sous l’angle du financement, une délibération citoyenne amènerait sans doute à regarder d’abord la question par la vie que l’on souhaite vivre dans cette période de vie nouvelle qui s’est progressivement installée entre l’âge adulte et la vieillesse, ce temps des seniors entre 55 et 75 ans (et parfois beaucoup plus !) où l’on reste actif mais autrement. Ce temps aujourd’hui peine à exister pleinement coincé entre le statut d’actif et celui de retraité.

La délibération permet de voir les questions d’un œil neuf et d’imaginer des solutions en rupture avec les modes de pensée dominants alors que notre réformisme ne sert qu’à faire durer un modèle dépassé. Les jurys de citoyens ou des formes mixtes associant citoyens et experts sont de formidables moyens de penser les questions complexes. Les expériences se sont multipliées ces dernières années, avec succès, mais qui le sait ? Il est temps d’aller plus loin. Jusqu’à tirer au sort une partie de nos représentants ? Oui, y compris à l’Assemblée Nationale !

Entreprendre en citoyens. Les politiques et les médias s’intéressent aux entrepreneurs, et c’est bien. Mais ils peinent à voir qu’il y a un entrepreneuriat civique. Pas seulement pour créer des entreprises solidaires ou développer des associations. L’entrepreneuriat dont nous parlons c’est la somme des initiatives que nous prenons tous les jours pour améliorer nos fonctionnements collectifs : des seniors qui proposent de raconter leur itinéraire professionnel à des jeunes pour dédramatiser l’orientation, des locataires d’un immeuble qui se concertent pour mettre en place un bac de compost collectif, des habitants du périurbain qui inventent un système d’autostop pour faciliter le rabattement vers une ligne de tram-train,… Toutes ces initiatives si elles restent isolées ne changent que la vie des personnes concernées. Si en revanche elles se relient et disposent de la bienveillance des collectivités, si elles sont médiatisées et essaiment largement, elles changent notre organisation collective.

Les responsables estiment généralement que la société est figée et qu’il faut la forcer à bouger ; la réalité est inverse : c’est la société qui est créative et vivante et c’est la politique qui devient hélas stérile.

L’Etat aujourd’hui peut très peu ! Un exemple : actuellement quand on veut faire des expériences demandant une puissance de calcul énorme, on ne se tourne plus vers l’Etat pour disposer du plus gigantesque ordinateur : il serait trop petit. On mobilise la puissance de calcul de millions d’ordinateurs personnels en réseau à travers le monde entier. Aujourd’hui acquérir de la puissance passe par la mobilisation d’un très grand nombre de toutes petites ressources coordonnées autour d’un projet qui fait sens. Ce n’est pas seulement possible dans le domaine des communautés numériques, c’est toute la société qu’il faut apprendre à solliciter autour de projets pour lesquels chacun pourra contribuer à sa mesure. Il faut passer de la « puissance publique » à la puissance du public » !

L’énergie citoyenne est considérable mais elle n’est pleinement active que dans des minorités multiples qui se saisissent des questions qui les concernent : la santé, l’école, l’économie collaborative, la transition énergétique, l’accueil des réfugiés,… Dans tous ces domaines et tant d’autres les initiatives se multiplient mais si elles commencent à mieux interagir entre elles, c’est encore thématique par thématique, elles ne font pas système et n’essaiment donc pas à la vitesse qui serait nécessaire pour faire face à l’urgence. C’est là que la démocratie sociétale entre en jeu !

Pour que cette « démocratie sociétale », inventive et active, devienne une réalité tangible nous devons répondre à deux questions : 1/ Avons-nous encore des « capacités citoyennes » ? Beaucoup doutent de la possibilité de l’implication de nos contemporains dans des démarches au service du bien commun tant les logiques individualistes et consuméristes sont puissantes. Les recherches contemporaines répondent pourtant clairement oui. Les scientifiques découvrent que l’empathie est pour l’homme un moteur aussi important que la compétition. Les études sur les « créatifs culturels » montrent que 38 % de la population met en avant l’écologie et le développement durable, la féminisation de notre société, la simplicité, l’implication personnelle dans la société et l’ouverture culturelle.

2/ Si les capacités sont bien là, comment passe-t-on de la potentialité à la réalité ? Comment active-t-on cette « source d’énergie citoyenne » ? Ce n’est pas le « pouvoir central » seulement qu’il faut convaincre d’agir. Ce sont tous les pouvoirs qu’il faut mobiliser : les villes bien sûr, mais aussi les entreprises et les médias : multiplier les lieux de rencontre dans nos villes où l’on puisse concrètement se découvrir citoyen en échangeant avec d’autres ; impliquer les entreprises dans l’incubation de l’initiative citoyenne bien au-delà des démarches de mécénat actuelles qui ne touchent que quelques grands groupes alors que c’est le tissu économique local que l’on doit mobiliser ; faire alliance avec les médias pour qu’ils inventent des formats (et pourquoi pas une forme renouvelée de téléréalité !) donnant à voir ce que permet la créativité citoyenne. La « démocratie sociétale » ne réussira qu’en amenant les pouvoirs à composer.

texte écrit en collaboration avec Jean-Pierre Worms, ancien député, initiateur du collectif Pouvoir d’agir et avec Armel Le Coz, cofondateur de Démocratie Ouverte, qui ont écrit la préface et la postface du livre que je viens de publier : Citoyen pour quoi faire ? construire une démocratie sociétale (éd. Chronique sociale)

 

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