Mes raisons d’espérer en 2016

Trois raisons d’espérer, fruits de mes obsessions, de mes lectures et de mes rencontres… et les vôtres ?

Pourquoi « mes » raisons d’espérer ? Certains, et des plus proches, me reprochent d’écrire trop à la première personne. « Le moi est haïssable » me rappellent-ils. Cette maxime de Pascal, je ne la perds pas de vue et surtout les « qualités » qu’il donne au « moi » :

Il est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il le veut asservir ; car chaque moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres.

Si je persiste, c’est parce que je crois qu’on ne se débarrasse pas si facilement que ça de son « moi ». Écrire en généralisant, en oubliant que ce qu’on dit n’est que l’expression d’une subjectivité parmi d’autres me semble souvent plus péremptoire.

En parlant à la première personne, je ne cherche pas à me mettre « au centre de tout », je reconnais au contraire que mon propos n’est pas une généralité, qu’il est un point de vue contestable et que c’est même cette contestation, quand elle vient, qui me nourrit et finalement me pousse à écrire à nouveau (même si l’approbation, elle, m’évite de renoncer à écrire !).

Donc si je parle de « mes » raisons d’espérer c’est bien parce que je ne supporte pas les généralisations abusives des éditorialistes qui prétendent savoir ce qui va sauver le monde… chaque début d’année ! Il me semble que si l’on ne généralise pas, on est plus utile aux autres. Je dis ce qui me donne envie d’avancer et en le partageant j’espère donner à certains lecteurs un peu désabusés l’envie de se poser pour eux-mêmes la question des raisons d’espérer … et de trouver les leurs pour ne pas sombrer dans la désespérance des temps contraires.

Parce que, oui, il faut s’armer de « raisons d’espérer » aujourd’hui pour naviguer sur les mers agitées de la transition dans laquelle nous sommes désormais bien entrés et pour longtemps.

Ma première raison d’espérer est justement que certains naviguent, au sens propre, sur les flots agités d’une mer – la Méditerranée, synonyme pour beaucoup d’entre nous de plaisir – avec la conviction que sur la côte d’en face, ils pourront reprendre le fil de leur vie après avoir pourtant tout laissé. Cette force vitale manifestée par tous les exilés qui survivent à l’épreuve est un antidote au renoncement et à l’ « aquoibonisme » qui me guettent si souvent. Ils me redonnent de la « force d’âme » (quelle belle expression si peu utilisée aujourd’hui sans doute parce que nous craignons trop d’avoir une âme), en latin on parlait de fortitudo (entre courage et force), je suis attaché à ce mot de fortitudo car il était dans la devise de la ville d’Angoulême, ma ville natale, et qu’enfant je m’échinais à en percer le sens à l’époque tellement abstrait pour moi et désormais si juste : fortitudo mea, civium fides (ma force tient dans la confiance des citoyens).

Ma seconde raison d’espérer, celle qui m’a fait me relever cette nuit pour écrire, c’est la conversation avec un ami qui se disait désabusé face à l’apathie française. Lui qui déborde d’énergie et d’ambition en a assez d’un pays qu’il sent incapable de faire face aux défis du moment. Au fil de la discussion, il reconnaissait comme moi que les choses étaient pourtant en train de bouger, de façon peu visible, pas encore probante, mais tout de même… C’est quand je lui ai parlé des trentenaires que je côtoie que nos observations se sont rejointes. Jusque-là, il opinait sans vraiment me suivre dans ma défense et illustration d’un monde en train de changer. Pour lui aussi, ces jeunes étaient un signe d’un basculement. Il m’a semblé qu’il en prenait mieux conscience en échangeant ses impressions. Nous convenions ainsi que ces trentenaires étaient le signe qu’une autre forme de réussite était possible, moins focalisée sur l’enrichissement rapide, et donc plus apaisée. Je tire une double leçon de cet échange : l’intuition que les modèles de réussite sont en train de changer semble se confirmer de plus en plus ; le fait d’en parler contribue à déverrouiller chez nos interlocuteurs une aspiration très forte, mais jusque-là inavouable, à changer de paradigme.

Ma troisième raison c’est ce que je me promettais de dire en complément du billet précédent (mais oui, il m’arrive d’avoir de la suite dans les idées !). Ce qui bloque tout changement, c’est la peur. Ou plutôt trois peurs superposées. Ma raison d’espérer c’est que ces peurs peuvent être vaincues, …à condition d’aller à la troisième, trop négligée. La première peur, les politiques l’ont bien identifiée et en jouent, hélas, pour maintenir un pouvoir hégémonique. La « peur des périls extérieurs » permet de redonner au politique une place au centre du jeu social avec une offre de protection : protection à l’égard du terrorisme, des migrations, hier de la crise de l’euro, avant-hier de la crise financière,… La seconde peur est bien vue des sociologues. La « peur du déclassement » nous fait accepter les inégalités, chacun jouant « perso » avec l’impression de pouvoir s’en sortir par de petits privilèges (le contournement de la carte scolaire en est un bon exemple). Dans un article publié par Slate, Jean-Laurent Cassely affirme, à la suite de Dubet ou de Savidan, « à mesure que les inégalités et leur perception se renforcent, la population, loin d’opter pour la révolte, devient plus conservatrice ». Impossible dès lors d’espérer le rejet du système par les citoyens, comme le montre l’échec de Mélenchon. Pour retrouver une possibilité d’action, il faut aller à la troisième peur, la « peur de l’autonomie». Dans une société d’individus, il faut sans arrêt « être à la hauteur ». La confiance en soi est donc indispensable puisque nulle institution ne vient nous dicter de l’extérieur notre conduite. Ehrenberg avait bien analysé le risque de « fatigue d’être soi » engendré par notre société. Quand la peur des périls extérieurs, la peur du déclassement nous étreint, il faut trouver en soi des ressources qu’on ne sait plus faire émerger. C’est là que je vois une raison d’espérer ! Cette peur-là peut être prise en charge. Les politiques ne s’y intéressent pas, ou si mal, mais la « société des gens ordinaires » peut s’en saisir.

Le contre-exemple est la réserve citoyenne mise en place à l’issue des attentats de janvier par Najat Vallaud-Belkacem. Libération faisait le triste constat que le lancement était raté malgré la bonne volonté de ceux qui s’étaient inscrit. L’idée paraissait pertinente : face au désarroi des jeunes en manque de repères, il fallait leur proposer des rencontres avec des citoyens exemplaires qui allaient leur transmettre leur « bonne parole ». Finalement heureusement que la machine administrative soit si lourde à se mettre en mouvement, car ce n’est pas de discours dont les jeunes ont besoin, au contraire. Voir pendant une heure une personnalité forte expliquer à quel point les valeurs sont importantes risque d’enfoncer le jeune mal dans sa peau dans la certitude de son insignifiance.

Quand on a peur d’exister, les modèles de réussites sont souvent écrasants. Face à cette peur, l’écoute patiente est le meilleur antidote. Face au manque de confiance en soi, pas besoin de héros républicains ou de saints laïcs. La bienveillance est la première ressource. On a besoin d’accoucheurs, de maïeuticiens, de mentors !

Je me souviens encore, vingt-cinq ans après, d’une anecdote qui m’avait touché. Je travaillais sur les questions d’orientation et rencontrais de nombreux spécialistes. L’un d’eux, Gaston Paravy, racontait l’échange qu’il avait eu avec une jeune fille incapable de trouver sa voie. Il lui demandait quels étaient ses talents et elle disait n’en posséder aucun. Même après plusieurs relances, elle ne voyait vraiment rien de notable. Elle finissait par s’excuser : aînée d’une famille nombreuse, elle passait son temps libre à leur faire des gâteaux. Le fil était là. Insignifiant pour elle, et pourtant base sur laquelle elle a pu construire un métier, grâce au regard bienveillant sur un talent qu’elle ne voyait pas.

Ma troisième raison d’espérer est là. La « peur d’être autonome » peut s’affronter grâce à l’échange et à son rôle de révélateur des ressources qui sont invisibles à nos yeux. Les lieux et les occasions de se parler avec bienveillance se multiplient, à bas bruit. J’en cite deux, modestes mais tellement utiles : à Grenoble, la Chimère citoyenne rend possible des rencontres improbables et riches ; à Lyon, les Raconteurs d’itinéraires professionnels ouvrent la voie à des échanges décomplexés sur le sujet si délicat de l’orientation.

 

Voir dans les migrants non des envahisseurs mais des personnes à l’élan vital réconfortant ; constater l’attrait nouveau de modes de réussite moins centrés sur la réussite matérielle ; partager une manière de vaincre la peur qui mine notre société… voilà les trois raisons d’espérer qui ont animé pour moi ces derniers jours de 2015. Je vous invite, si vous le souhaitez, à partager les vôtres. Beaucoup d’esprits forts se moquent du « feel good ». je ne dois pas être assez fort (et n’ai pas envie de le devenir) pour résister aux petits bonheurs des pensées positives !

Je vous souhaite une année 2016 heureuse, riche de rencontres et forte de tous les liens tissés jour après jour.

2015-2017, … et si on faisait exister 2016 ?!

Entre 2015 l’année noire du terrorisme et 2017 l’année présidentielle, 2016 risque d’être vécue seulement comme une parenthèse. Ne nous précipitons pas sur la présidentielle ! 2016, année de la société civile ? Chiche !

Entre 2015 l’année noire du terrorisme et 2017 l’année présidentielle, 2016 risque d’être vécue seulement comme une parenthèse. Terrorisme ou présidentielle : l’État et plus encore l’exécutif sont et seront en première ligne. Ce « revival » de la puissance publique risque de faire oublier la tendance de fond qui conduit les sociétés à s’autonomiser des pouvoirs institués. Pour son efficacité même, l’action publique a pourtant toujours plus besoin de faire avec la société dans sa diversité plutôt que de faire pour des individus réduits à leur identité. Et si nous faisions de 2016 l’année d’une société mature et autonome capable de dialoguer avec tous les pouvoirs ? 2017 pourrait alors être l’année d’un contrat sociopolitique inédit.

2015

L’État et la République ont été sur tous les fronts. Celui du terrorisme bien sûr, avec l’état d’urgence. Celui des migrations, avec le retour des frontières. Mais aussi de façon plus positive, celui du climat, avec la négociation inter-étatique conclue par l’accord de Paris. Même face à la vague Marine, les institutions républicaines ont tenu malgré un mode de scrutin qui laissait une opportunité[1] de victoire inédite au Front National (et qui ne se renouvèlera pas tant que celui-ci fera semblant de croire qu’il peut gouverner tout seul). Face aux dangers, indéniablement, la République résiste. C’est bien sûr un soulagement. Mais un soulagement qui se double d’une inquiétude bien traduite dans l’éditorial signé par le directeur du Monde au lendemain des élections régionales

Pour la grande majorité du personnel politique, la tentation était déjà forte de revenir au « business as usual » : la préparation de l’élection présidentielle, échéance obsessionnelle de notre système électoral.

Les scrutins se suivent et ne cessent de le démontrer : ce déni finira par déboucher, tôt ou tard, sur une catastrophe. Et il serait profondément inconséquent de basculer dans l’interminable campagne qui se profile en 2016 sans avoir commencé à traiter les multiples colères qui se sont exprimées.

Il ajoutait :

Pour traiter cet enchevêtrement de désenchantements, les pistes sont multiples, les chantiers immenses. Ils passent par une modification du mode de scrutin, une nouvelle réduction du cumul des mandats, un renouvellement du personnel politique, une ouverture vers la société civile.

Pour moi, seul ce dernier point – l’ouverture à la société civile – est en mesure de changer la donne. Mais pas par la voie utilisée habituellement : il ne s’agit pas de « faire entrer en politique » quelques figures de la société civile pour changer la politique. Quelles que soient leurs qualités personnelles, on l’a déjà vu si souvent, ou elles se coulent dans le moule ou elles sont rejetées comme des corps étrangers.

2016

Si l’on veut que 2016 soit utile alors ne nous précipitons pas vers la présidentielle ! Donnons une chance à la société civile d’exister pleinement. Pleinement c’est-à-dire sans s’inféoder au pouvoir politique mais sans non plus se réfugier dans un associationnisme qui se voudrait « hors politique ». Comment ? En construisant une « démocratie sociétale », une démocratie qui déploie dans tous le corps social des espaces de dialogue, des lieux où s’élaborent collectivement des solutions adaptées aux situations : ici sur les question de sécurité grâce à des dispositifs inspirés du « no broken window », là avec des solutions pour une école qui sache mobiliser les parents et les ressources du quartier pour la réussite des élèves, ailleurs encore via des démarches pour sortir de la fatalité du chômage de masse. Utopique ? Non, bien sûr que non ! Ces initiatives sont DÉJÀ là en germe. Pas comme des idées nébuleuses mais bien comme des projets en voie d’être concrétisés.

J’ai déjà parlé ici de l’initiative d’ATD Quart-Monde et de ses Territoires zéro chômeur de longue durée.

Parlons également de la campagne « Mille et un territoires pour la réussite de tous les enfants ! ». Celle-ci a pour objectif de créer des dynamiques locales et collectives, en complément des accompagnements plus « individuels » qui s’engagent pour la réussite des enfants. Il s’agit de mobiliser toutes les ressources éducatives, mais aussi culturelles, sociales et citoyennes des territoires en les articulant, sans s’y limiter, aux dispositifs éducatifs portés par l’institution scolaire ou les collectivités. La Charte rédigée à cette occasion insiste : « Les complémentarités parents-professionnels, nécessaires à l’éducation partagée des enfants et des jeunes, sont à rechercher inlassablement. »

Partout la société s’outille pour faire face aux problèmes que les politiques seuls ne peuvent pas résoudre. Ce n’est plus de l’action associative locale, ce sont des mouvements reproductibles sur tout le territoire dans une logique d’alliance.

Yannick Blanc, le président de la Fonda, propose de son côté une manière de systématiser cette capacité d’intervention de la société civile dans un appel lancé après les attentats de novembre :

Nous pouvons créer, partout où il y aura des volontaires pour le faire, des communautés d’action en s’appuyant sur la méthode de l’impact collectif. Une communauté d’action est un groupe de dirigeants et de responsables issus des trois secteurs (entreprise, secteur public, ESS) qui mettent en commun leurs ressources et leur capacité d’agir pour mener à bien une stratégie d’intérêt général sur un territoire donné. Ils définissent un ensemble limité d’objectifs, mesurables par des indicateurs compréhensibles par tous (par exemple : réduction du nombre de décrocheurs, augmentation du nombre d’entrées en formation qualifiante, nombre de retour à l’emploi de jeunes chômeurs) et ils se donnent une feuille de route permettant à chacun, dans son domaine d’activité et avec ses ressources propres, de contribuer à atteindre l’objectif.

Pour ma part, en février prochain, je publierai (enfin !) chez Chronique sociale le livre que j’ai en gestation sur cette question depuis de nombreuses années. Son titre se veut explicite : Citoyen pour quoi faire ? construire une démocratie sociétale. La société civile sait se mobiliser avec les bonnes méthodes et sur à peu près tous les sujets, il lui manque le « passage à l’échelle » et elle ne peut l’obtenir que par un contrat clair avec les pouvoirs publics, les entreprises et les médias. C’est seulement par une alliance de ce type que la massification de l’engagement de « citoyens entreprenants » pourra être obtenue. Des entreprises, la société civile peut attendre un co-investissement via leur RSE ; avec les médias, elle doit apprendre à négocier une meilleure prise en compte des enjeux de société dans les programmes ; avec les pouvoirs publics enfin elle doit sortir de la domination. L’échéance de 2017 est à cet égard cruciale.

2017

Trop souvent le mouvement associatif, en voulant peser sur la présidentielle a cherché à anticiper l’échéance en interpellant les candidats sur leurs combats en leur demandant de se positionner, de signer des chartes, … Mais ce faisant on maintenait intacte la suprématie du mandat présidentiel, on se positionnait comme des sujets d’Ancien Régime avec des cahiers de doléance !

On a vu que la société civile était en mesure de prendre l’initiative au travers de campagnes bien pensées à défaut d’avoir encore le retentissement suffisant. Il faut maintenant construire le nouveau rapport au politique qui permettra d’aller plus loin. Les grecs et les espagnols explorent la voie de la rénovation via des partis citoyens. En France cette voie ne fonctionne ni à gauche (Nouvelle donne) ni à droite (Nous citoyens). Il faut donc inventer hors de la logique des partis. J’ai déjà ici évoqué l’initiative intéressante de Ma voix, portée par Quitterie de Villepin. D’autres sont en cours de montage. Rappelons pour mémoire le projet de G1000 qui n’a pas malheureusement réussi à se structurer.

Ces projets ont des ingrédients communs qu’il faut souligner : un recours au tirage au sort pour sortir des seules logiques électives ; une volonté de faire l’agenda politique sans attendre qu’il soit établi par les partis ou les institutions ; une volonté de dialogue avec les pouvoirs sans exclusive, une confiance dans la capacité délibérative des citoyens. Il y a actuellement un foisonnement d’initiatives en ce sens et c’est passionnant de les  voir émerger. J’en rendrai compte autant que possible.

Je veux rester ce soir sur cette approche positive. Certains la considéreront irénique. Je ne mésestime pas les forces antagonistes : ni la résistance, l’incompréhension ou l’incrédulité de trop de responsables politiques, ni l’atonie de nombreux citoyens plus préoccupés de s’en sortir individuellement que de construire collectivement. Des voies nouvelles peuvent être explorées pour faire face à la défiance et à l’indifférence. J’y reviendrai.

 

 

[1] Le front républicain a bien fonctionné et montre que dans un suffrage où deux candidats peuvent se maintenir au second tour (comme ce sera automatiquement le cas à la présidentielle), la prime habituelle au vainqueur du premier tour ne joue pas avec le FN. Même dans les triangulaires où les scores droite/gauche sont dans un mouchoir, le FN s’est fait (légèrement) distancer contrairement à ce que je craignais.

Encore

Je n’ai appris les attentats que ce matin. Le dispositif médiatique était déjà déployé comme jamais et j’ai été atterré de ce que j’entendais. Il n’était question que de guerre, d’état d’urgence. Laurent Wauquiez voulait interner tous les radicalisés fichés par la police… J’ai éteint radio et télévision. Dès que j’avais entendu le mot guerre à la radio, vers 7h30 je m’étais énervé et ma femme s’était inquiétée : « Tu ne vas pas réagir à chaud sur ton blog ? Laisse passer le temps de l’émotion ! » Malheureusement ont très vite été amalgamées dans un même pathos émotion légitime face aux morts et réactions sécuritaires pavloviennes. …Et je me suis mis devant mon clavier !
Même si ce n’est qu’avec quelques centaines de personnes, j’aurai partagé mon envie d’un autre regard sur l’événement, d’autres réactions pour faire face à la sanglante provocation terroriste.

Imaginons un instant ce qui se passera au prochain attentat, plus meurtrier encore ou encore plus spectaculaire (une émission radio border line prise en route m’avait laissé croire il y a quelques mois que des attentats simultanés avaient tué plusieurs journalistes et animateurs très en vue ; avant de comprendre que c’était un canular, j’étais resté médusé). Jusqu’où irons-nous dans la réaction ? Serons-nous capables de faire face à des vagues successives d’attentats sans remettre en cause notre pacte démocratique ? Sincèrement, dans l’état actuel de fébrilité et de montée aux extrêmes, j’en doute. Nous ne gagnerons pas contre le terrorisme en réduisant le risque d’attentat à zéro, nous gagnerons en restant debout. Nous avons résisté à la vague anarchiste à la fin du XIXe, l’Allemagne et l’Italie sont aussi sorties des années de plomb des brigades rouges et de la bande à Baader… Vaincre le terrorisme prend du temps et les mesures immédiates et spectaculaires sont sans doute largement contreproductives.

J’avais lu un papier excellent (hélas pas retrouvé ce matin) qui évoquait la nécessité d’une société civile forte pour faire face au terrorisme. On l’a vu avec l’attentat évité du Thalys (même si ceux qui se sont interposés avec succès avaient l’entraînement de militaires).

Je veux insister une nouvelle fois sur la nécessité de distinguer guerre et police (et Alain Bauer le faisait, bien seul face à la marée guerrière, sur l’antenne d’Inter ce matin). J’écrivais il y a quelques semaines :

L’idée de guerre suppose un ennemi avec des buts de guerre comme la conquête d’un territoire. Les personnes qui pratiquent le terrorisme en France relèvent bien de la police. Ils mènent des entreprises criminelles, pas des actes de guerre. […]
En disant cela, je ne cherche pas à banaliser le terrorisme ni à la justifier, au contraire ! La guerre, on le sait, peut être juste, il y a même une forme de noblesse dans la guerre (et c’est ce qui la rend si dangereusement séduisante !). Avec le terrorisme, on ne trouve que pratiques criminelles et lâcheté. Ceux qui s’y livrent sont des hors-la-loi pas des combattants ! Confondre les deux risque de renforcer paradoxalement l’image des terroristes, assimilés à des guerriers et non à des criminels. Parler de police, ce serait aussi parler de la « polis », de la Cité. La police n’est pas que répression du crime, elle est aussi prévention (on l’oublie trop depuis que Sarkozy avait nié l’utilité de la police de proximité). On voit qu’en passant de « police » à « guerre », on se trompe de diagnostic et on se prive de moyens d’action.

La juriste Mireille Delmas-Marty dans un excellent entretien sur les risques des législations sécuritaires nous appelait à vivre avec la peur, en suivant l’appel d’Edouard Glissant :

Finalement, protéger la démocratie, c’est peut-être apprendre à rebondir sur les ambivalences d’un monde où la peur, quand elle ne favorise pas la haine et l’exclusion, peut être un facteur de solidarité. Face au terrorisme comme aux autres menaces globales, il faut garder à l’esprit l’appel du poète Edouard Glissant à la « pensée du tremblement », une pensée qui n’est « ni crainte ni faiblesse, mais l’assurance qu’il est possible d’approcher ces chaos, de durer et de grandir dans cet imprévisible ».

J’ai été très frappé par les  réactions de mes filles. L’une et l’autre, chacune à sa manière, ont su se mettre à distance de l’émotion morbide des télés et  des radios. c’est aujourd’hui, hélas, une nécessité pour ne pas se laisser happer par la vague.

« Le vent se lève…, il faut tenter de vivre  ! » disait Valéry dans le  Cimetière marin.

Encore. Et encore.

 

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