Dans Secrets de fabrication, Martin Hirsch fait l’éloge de l’expérimentation sociale. Si on sait qu’il a commencé le RSA en l’expérimentant dans plusieurs départements avant de lancer sa généralisation, on a moins entendu parler des multiples expérimentations qu’il a initiées en tant que Haut-Commissaire, en dehors peut-être de celle qui a fait des vagues parce qu’elle a été présentée comme une rémunération de la présence à l’école. Avec l’expérimentation, l’idée est de rompre temporairement l’égalité entre français pour tester auprès de certains si une aide a, ou non, les résultats attendus. On compare à l’issue du test si la situation des personnes ayant bénéficié de la mesure expérimentée s’est améliorée par rapport au groupe témoin n’en ayant pas profité. Les protocoles suivis ressemblent aux tests effectués avant la mise en marché d’un médicament. Les expérimentations permettent de tester des démarches diverses, comme le « livret de compétences » pour éviter la seule évaluation par les notes ou la « mallette des parents » pour réintroduire les parents dans le jeu éducatif au collège,…
Cette tendance à tester l’efficacité relative de diverses solutions possibles à un problème social peine à se développer alors même que des économistes comme Esther Duflo en ont souligné tout l’intérêt. Hirsch rappelle ainsi que le « permis à un euro » était censé aider les jeunes dans leur insertion mais qu’il a fait « un flop magistral ». Il conclue que « si le système de prêt avait été expérimenté on aurait pu savoir que les procédures étaient si compliquées que les jeunes ne pouvaient y avoir recours ». On aurait gagné du temps, de l’argent et de la crédibilité. Hirsch écrit à juste titre : « face à des problèmes récurrents, il vaut mieux expérimenter plusieurs solutions pendant deux à trois ans que de voter tous les ans une loi nouvelle, un plan nouveau et de ne jamais savoir pourquoi rien ne change ».
Hirsch pointe trois problèmes : le temps nécessaire à l’expérimentation, le manque de visibilité politique de ces démarches de fond, le coût de ces mesures et du protocole d’évaluation. Il y faudrait des ressources nouvelles impossibles à demander à l’impôt en période de crise et difficiles à obtenir par redéploiement des politiques existantes. Il n’explore par une voie de financement qui me parait pourtant particulièrement indiquée : celle d’un impôt sur la fortune affecté aux expérimentations sociales. Un système hybride entre la culture américaine des fondations et la culture française de l’impôt.
Je suis toujours frappé de constater que les grands patrons français ont su se rapprocher des niveaux de rémunération des patrons anglo-saxons mais qu’ils n’ont pas dans le même temps adopté les mêmes principes éthiques qui « obligent » les Bill Gates, Warren Buffett et consorts à consacrer une part significative de leur fortune à des œuvres d’intérêt social. En France, nos grands patrons se prennent plus volontiers pour des mécènes en constituant des collections d’art contemporain sans bénéfice manifeste pour la société française.
Ne pourrait-on pas imaginer une nouvelle forme de bouclier fiscal ? Au lieu de rendre ces quelques centaines de millions d’euros chaque année, l’Etat ne pourrait-il pas les restituer sous la condition qu’ils soient investis dans des fondations qui mèneraient les expérimentations sociales qu’il peine à financer sur son budget ? On ferait une triple opération positive :
- les expérimentations seraient conduites avec l’appui de fondations à même de mobiliser des talents venant d’univers différents capables d’insuffler aux projets soutenus leur créativité et leur professionnalisme ;
- les détenteurs de grandes fortunes retrouveraient aux yeux des citoyens une légitimité sociale qu’ils ont largement perdue, ils pourraient montrer par leur investissement personnel dans les projets financés qu’ils vivent bien encore dans la même société que leurs contemporains ;
- l’Etat disposerait en permanence d’un laboratoire sociétal dans lequel il pourrait puiser en articulant au mieux le temps long de l’expérimentation qui ne serait pas à sa charge et le temps court de l’action politique qui nécessite réactivité dans la prise de décision et visibilité des mesures prises.
Ne gagnerait-on pas à voir la rivalité entre M. Arnault et M. Pinault s’exprimer au travers de la promotion sur les plateaux de télévision des dernières avancées de leurs fondations d’expérimentation sociale plutôt que par les traces architecturales qu’ils cherchent à laisser ?