Parler encore du Covid ?!

Si tout le monde s’interroge sur la guerre à l’occasion de l’anniversaire de l’offensive russe en Ukraine, le troisième anniversaire du confinement de mars 2020 risque d’être vite zappé. Il nous appartient de faire preuve de mémoire et d’anticipation.

© Jacek Poblocki / Unsplash

Loin, loin en arrière, il fut un temps où l’on parlait de « guerre » en évoquant un virus inconnu. On lui avait donné un nom bizarre, constitué d’un acronyme anglosaxon et d’un millésime. Ce virus a monopolisé notre actualité, et chaque soir on comptait les morts, ici et ailleurs. Nous avons tous été touchés d’une manière ou d’une autre mais progressivement, nous nous sommes habitués. On n’a plus compté les morts, ni les hospitalisations en soin intensif. Nous avons d’abord suivi avec angoisse l’arrivée de nouveaux variants (alpha, delta…) jusqu’à la lettre omicron. Et puis on s’est arrêté là. On a laissé l’épidémie poursuivre sa vie sans plus s’occuper d’elle, sans même savoir dire si elle était finie ou non. Qui s’est intéressé aux innombrables petit frères, petits-cousins d’Omicron ? J’avais découvert à la fin de l’année sur un blog du Monde un tableau entier avec la désignation des sous-variants qu’on avait renoncé à mémoriser moi le premier (BA.4, BA.5, XBB.1.5…). Les scientifiques s’étaient « amusés » à leur donner le nom de créatures mythologiques : Sphynx, Python, Cerbère, Chiron,… Après avoir révisé l’alphabet grec, nous n’avons pas révisé la mythologie !

Je suis allé récemment à l’hôpital pour un rendez-vous médical et je me maudissais en entrant d’avoir oublié de prendre un masque, voyant les gens sortir avec le rectangle bleu pâle sur le nez. La personne à l’accueil, auprès de qui je m’excusais platement, m’a annoncé comme une évidence que « le masque n’est plus obligatoire pour les patients ». Information manifestement pas partagée puisque tout le monde autour de moi portait le masque et regardait mon visage nu comme une obscénité. Rare survivance d’une pression sociale qui n’a jamais réussi à revenir cet hiver dans les wagons pourtant bondés de nos transports en commun.

Fini, pas fini ? Obligatoire, facultatif ? Plus rien n’est clair. Et finalement tout le monde s’en moque. On a même fini par oublier le nombre des victimes qui est devenu une statistique, une parmi d’autres.

Nous sommes subrepticement passés à autre chose avec une actualité lourde de crises nouvelles ou récurrentes. Se rappelle-t-on encore notre dernière frayeur quand la Chine a décidé de laisser le virus se répandre ? Nous avons craint une vague immense, la diffusion de nouveaux variants et un nouveau cycle de pandémie mondiale. Même si la Chine n’a pas joué la transparence, on peut penser que la saturation des hôpitaux et des morgues n’a pas duré. Ce matin j’entendais un reportage sur France Inter qui présentait la ruée des Chinois vers les vacances au soleil après trois ans de confinements sans un mot sur la manière dont on était passé de la situation d’urgence épidémique de la fin décembre à l’euphorie de février. Le COrona Virus  Disease s’est évaporé.

L’OMS vient d’annoncer la fin d’une épidémie. Mais ce n’est pas celle du coronavirus. Il s’agit d’une épidémie d’Ebola en Ouganda. Une épidémie localisée qui a été bien maîtrisée malgré les craintes de la fin 2022. Rien de tel pour le virus qui nous a tant obsédé. L’OMS avait annoncé fin 2021 que l’épidémie de Covid-19 se terminerait en quelques mois et pourtant 2022 a vu se succéder plusieurs vagues moins létales mais persistantes. A l’automne 2022, l’OMS ne donnait plus de date tout en se voulant prudemment optimiste. Il faut sans doute s’attendre à ce que la fin officielle de l’épidémie soit déclarée alors que nous serons déjà tous passés à autre chose.

L’absence de fin officielle n’est évidemment pas un problème, ce qui pose question, c’est notre incapacité à faire le bilan. Nous avons tourné la page, sans la lire jusqu’au bout. Bien sûr, il y aura des commissions, des rapports et des évaluations mais je crains que nous ne sachions pas collectivement tirer des leçons politiques pour savoir faire mieux face à une menace que nous savons récurrente.

En juillet dernier, le philosophe Abdenour Bidar se disait « éberlué et indigné de ce passage du catastrophique à l’inexistant, du catastrophisme au circulez, il n’y a plus rien à voir ». Il appelait à un grand débat pour « nous soigner collectivement de tous les traumatismes qui nous ont été imposés, pour retisser les liens déchirés et réparer les injustices subies, pour être particulièrement attentifs aussi aux risques futurs de la suspension certes provisoire mais inquiétante de nos libertés pendant la crise ».

Que faisons-nous aussi des alertes de l’anthropologue Frédéric Keck qui nous appelait à réfléchir à la fois en « pasteurs » et en « chasseurs ». Il nous disait : les virologues sont des « chasseurs » de microbes ou de virus, capables de prendre le point de vue des oiseaux, des chauves-souris, des singes en examinant finement l’incertitude des relations aux animaux. Le « pasteur », lui, est dans la maîtrise, avec son troupeau, il peut décider quels sont les animaux qu’il faut soigner et ceux qu’il faut abattre ou sacrifier pour protéger le reste du troupeau. Les épidémiologistes, les autorités sanitaires, sont du côté des pasteurs. Il nous invitait à nous situer dans l’espace intermédiaire, entre cynégétique et pastoral. « Entre préparation et prévention, c’est la précaution ». Quelle stratégie de précaution sommes-nous capables d’inventer ? Quels compromis devons-nous construire pour éviter les décisions couperets quand plus aucune autre solution n’est possible faute d’anticipation (l’abattage de tout un cheptel, le confinement de toute une population) ? Il faut impérativement anticiper pour mener une politique de précaution ! Et en débattre, car il n’y a pas de solution évidente (scientifique), il n’y a que des choix et des priorités (politiques) à établir collectivement.

Que ce soit pour les raisons morales et politiques de Bidar ou pour celles scientifiques et politiques de Keck, nous devons revenir au Covid même si nous n’en avons plus envie. Nous le devons pour éviter des souffrances futures et des risques majeurs. Nous le devons et pourtant nous ne serons pas invités à le faire. Médias et politiques sont passés à d’autres défis, d’autres drames.

Nous avons le terrible inconfort de subir des crises qui s’enchaînent : la guerre en Ukraine et ses multiples conséquences ont remplacé le Covid à la Une de l’actualité. Mais les crises ne se substituent pas les unes aux autres, elles s’additionnent et se complexifient mutuellement. La crise climatique n’a pas disparu, on le sait bien. Les causes profondes des pandémies non plus. Les dérèglements se suivent, en réalité ils se cumulent. Nous pouvons baisser les bras et nous laisser submerger par le syndrome de l’anticipation anxieuse. Nous pouvons apprendre à vivre avec l’inconfort. C’est ça pour moi la grande nouveauté du temps qui vient. Une rupture radicale avec soixante-dix ans de montée progressive du confort, et de l’indifférence qui en est hélas le corollaire. Cynthia Fleury dans un entretien aux Echos week-end constatait : « Nous n’avons plus l’habitude de résister à autant de chocs (pandémie, risque nucléaire, guerre, inflation, crise énergétique, etc.), cela demande beaucoup d’énergie physique et psychique pour encaisser, et génère logiquement de la fatigue tant physique que psychologique. […] Nos ancêtres avaient les ressources collectives pour vivre en « mode dégradé ». Nous sommes plus démunis. »

Pour ma part, je ne vois qu’une seule manière de faire face à cette pression, c’est de disposer d’espaces de parole et d’échange. Seul, on ne peut pas faire face et le déni devient la seule « solution ». Et si, à la montée du confort dans l’isolement (mon pavillon, mon SUV, ma piscine…), succédait une gestion de l’inconfort à plusieurs ? Je dis « à plusieurs » parce que je ne crois pas aux collectifs imposés. Il faut partir de ce que nous sommes devenus, une société d’individus, avec ses aspects positifs et négatifs, et voir comment ces individus peuvent se relier de proche en proche pour aborder de façon pragmatique les questions communes. Une des premières questions communes à traiter, j’y insiste, c’est celle des suites du Covid. C’est donc à nous d’exiger ce débat partout où nous le pouvons, auprès de nos gouvernants, de nos mairies, de nos mutuelles, de nos associations, … C’est à nous de prendre l’initiative même si, nous aussi, nous sommes accablés par les nouvelles étapes du dérèglement du monde. Des conversations, des échanges entre pairs, des débats locaux, des forums plus larges, jusqu’à ce que des synthèses puissent être faites et des lignes d’action proposées.

J’ai regroupé autour de l’étiquette covid tous les textes que j’ai publié sur le sujet en 3 ans. La relecture cursive des ces textes constitue un journal de bord qui donne à voir toutes les émotions par lesquelles nous sommes passés et les tentatives d’analyse chemin faisant pour ne pas se laisser submerger.

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

4 réflexions sur « Parler encore du Covid ?! »

  1. Merci Hervé pour ce billet très inspirant qui fait écho à mon actualité professionnelle.

    Je dirige un Centre de santé depuis un an et nous rencontrons pas mal de patients à la fois inquiets (de toutes les informations que l’actualité leur renvoie) et épuisés (d’avoir à se mobiliser pour lutter contre tant de menaces diverses et qui se renouvellent en permanence).

    Nous avons créé à leur intention un groupe « Expression & Pouvoir d’Agir » qui permet de partager tout cela collectivement. Au-delà des situations individuelles des patients échangées dans le groupe, ce qui est frappant c’est de constater combien cet espace de parole permet de nommer un phénomène qui nous affecte tous et que peu de socialisations permettent de « médiatiser » (dans le double sens de « rendre public » et « mettre à distance »).

    Très étonnant de (re)découvrir le plaisir simple de la conversation et l’universalité de nos préoccupations.

    Et la surprise aussi de nous découvrir, entre patients et soignants, « sans masque », au sens propre comme au figuré !

  2. Bonjour Guillaume,
    Merci de votre témoignage. Très intéressant ! A son tour, il fait écho à une initiative que nous prenons avec la Maison de la Conversation (Paris 20ème ). Nous voulons lancer une étude sur les lieux et les méthodes qui donnent place à des conversations. Le champ de la santé est un de ceux que nous souhaitons plus particulièrement observer. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur votre initiative (par mail svp), notamment sur l’endroit où elle se situe ?

  3. Oui ! Et surtout, il y a eu tant de dégâts pour rien ! Tant de malades non soignés par interdiction officielle ! Tant de professionnels consciencieux et avertis « suspendus » encore aujourd’hui, sans aucun revenu ! Tant de jeunes traumatisés, culpabilisés, désorientés par tant de malveillance et maltraitance généralisée ! Tant de dénis, de suicides et de crimes impunis ! Tant de procès en cours ! Souhaitons que le discernement et l’humain ne se noient pas définitivement dans la corruption, la violence institutionnelle, le transhumanisme et l’obéissance servile ! L’urgence est à l’optimisme et la foi en l’humain et en la nature, si résiliante !

  4. Fin d’état d’urgence Covid décrété par l’OMS
    Voilà la conclusion que tu regrettais qu’elle n’arrive pas. La voici, selon la matinale de Fr Cu hier 17/05/23 : la fin de l’état d’urgence Covid est décrété par l’OMS.
    Au sujet de la pandémie, nous avons constaté que contrairement à l’habitude, nous étions toi et moi, de sensibilités tellement contraire, qu’elle a rendu impossible la discussion. Ça a aggravé mon désarroi face à cet événement invraisemblable qui me convainc que notre démocratie n’a plus rien à envier à la désinformation soviétique. J’ai apprécié que tu aborde sur ton blog cette question de « non conclusion », pensant pour ma part, que cette carence officielle que tu dénonçais à juste titre ; démontrait la vacuité du déchainement politico médiatique. Je n’ai pas su trouver les mots pour y apporter contribution.
    Dans la Q posée sur Fr Cu à Karine LACOMBE : Quelles erreurs aurait-il été nécessaire de corriger si on pouvait revenir à mars 2020 ?
    La réponse qui n’a jamais été effleurée et qui -de mon point de vue, est la plus fondamentale – n’est elle pas : « l’absence de débat public » censurée par le fameux qualificatif « complotiste » opportunément inventé pour se débarrasser de ceux qui cherchent à débattre pour comprendre ?…
    Au regard d’un seul des faits suivants (à bien distinguer des opinions) ; elle aurait pourtant trouvé selon moi, toute son importance pour décider et justifier auprès de l’opinion publique de l’intérêt du confinement, port masque, vaccination forcée avec Produit sans AMM, … :
    1. Matraquage médiatique univoque en France et dans tous pays occidentaux, sous l’égide de la peur,
    2. Erosion des lits hôpitaux poursuivie durant la pandémie,
    3. Publi mensongère « Lancet gate » sur laquelle l’OMS et l’Etat français ont interdit Hydroxychloroquine, malgré retrait de cette publi 8 jours plus tard,
    4. absence de données publiques publiées par la presse, pour justifier ttes ces mesures,
    5. Impossibilité des députés d’accéder aux bases scientifiques qui ont présidé aux décisions sanitaires par le Conseil scientifique,
    6. Achats de vaccins en quantités et prix exorbitants par la Présidente Commission UE Ursula VON DER LAYEN auprès de PFEISER en dehors de ses attributions, justifiant une enquête déclenchée par le Parlement UE parce qu’elle refuse de livrer les SMS de sa tractation commerciale avec le labo, mais dont aucun média officiel ne nous informe,
    7. jugement par la chambre disciplinaire de L’ordre des médecins du Pr Raoult aboutit uniquement à un avertissement pour sa brutalité de paroles à l’égard d’un de ses confrères, mais aucunement pour avoir prescrit HCQ + Azitromycine (contrairement aux déclarations de la presse).
    8. la chambre disciplinaire de L’ordre des médecins reconnait que Perronne : « n’avait pas fait d’erreurs, et qu’il était de son devoir de se poser en porteur d’alerte en tant qu’expert reconnu. Elle ne l’a pas condamné. »
    9. Selon Perronne :
    a. augmentations myocardites chez les jeunes vaccinés, thromboses, AVC, cancers, infécondités, et pb règles … en explosion avec déclanchements campagne vaccination Covid.
    b. mortalité accrues avec campagnes vaccinations vérifié dans tous les pays du monde
    10. Statisques Johns Hopkins University révélant accroissement mortalités dans tous les pays du monde, à partir des campagnes vaccinations.
    Je suis profondément bouleversé par ces faits dont chacun ajoute à ma conviction de déviance antidémocratique de la France et d’embrigadement de nos Etats occidentaux. Pourquoi cet arbitraire bâillon « complotiste » m’empêchant de dénouer l’énigme indispensable afin de se comprendre, méprisant tous les traités internationaux y compris l’accord de Nuremberg / obligation de médicaments non homologués ? Comment expliquer de telles oppositions de points de vue impossibles à dénouer entre gens de bonne intelligence ?… Je suis disposé à tous les efforts permettant de mesurer et comprendre mon erreur de personnelle de jugement. Mais il me faut des preuves par les faits.
    Amitiés,

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