Lettre ouverte au Président de la République d’un citoyen choqué et inquiet

Une lettre comme une bouteille à la mer. Je sais naturellement qu’elle n’aura aucun résultat tangible mais au moment où nous sommes tentés de remettre à plus tard les questions politiques avec la parenthèse olympique et nos activités estivales, je ne savais pas rester silencieux. Voici donc mon message sans récepteur !

 

Monsieur le Président,

Je me permets de répondre à la lettre que vous m’avez adressée ainsi qu’à tous les Français le 10 juillet dernier. Je m’autorise à vous la faire parvenir publiquement, par simple  parallélisme des formes. J’avais rédigé une première version de cette lettre ouverte quelques jours seulement après votre message dans la PQR.

C’est la répétition presque mot pour mot de ce que vous y disiez, balayant d’un « ce n’est pas le sujet » la proposition bien tardive d’un nom de Premier ministre par le Nouveau Front Populaire qui me conduit à la publier malgré des circonstances personnelles (mon déménagement) et politiques (l’ouverture des jeux olympiques) qui rendent hélas mon exaspération et mon inquiétude presque hors de propos. Je retournerai à mes cartons dès cette missive envoyée et le pays s’oubliera quelques semaines aux jeux olympiques dans le mirage que provoque le calendrier insensé ou diabolique que vous avez provoqué et où vous dissolvez (le temps de cette belle et illusoire communion planétaire) les choix cruciaux de notre pays.

Votre lettre – et sa réaffirmation orale avec la désinvolture qui est désormais votre marque – m’a choqué : je pense qu’elle constitue un grave déni de vos responsabilités. Ce qui me choque, ce n’est pas votre refus un peu mesquin de reconnaitre que le Nouveau Front Populaire est arrivé en tête, vous avez factuellement raison : personne n’a de majorité pour agir. Ce qui est choquant c’est votre apparente magnanimité : vous laissez aux forces politiques républicaines le soin de bâtir des compromis entre elles. Vous ne donnez aucune indication sur la manière de faire hormis cette mention presque méprisante : « avec sérénité et respect de chacun ». En clair, et pardonnez la vulgarité de la formule, c’est « Démerdez-vous et je ne veux pas vous entendre tant que vous ne vous êtes pas mis d’accord ! ».

Bâtir un compromis de cette nature, dans ce contexte où les forces en présence ont rarement été aussi antagonistes est rigoureusement impossible avec cette méthode ou plus exactement cette absence de méthode… et vous le savez. On ne peut pas réussir à bâtir un compromis quand il n’y a pas de base de travail ni personne pour animer la construction du compromis. Si c’est la responsabilité de « toutes les forces politiques », c’est la responsabilité de personne.

Je ne dis pas que le compromis en soi est impossible, je crois même le contraire. Mais réaliser un compromis suppose qu’on s’en donne les moyens. En réalité en imposant cet exercice impossible aux élus de l’Assemblée, ne cherchez-vous pas simplement à montrer qu’ils sont des incapables pour pouvoir reprendre la main avec un gouvernement de techniciens qui, sous couvert de ne pas faire de politique, continuera en fait la même politique néo-libérale que vous menez depuis sept ans ? Plus les uns et les autres multiplient les conclaves et les échanges de tweets, plus ils semblent s’agiter en vain et plus vous apparaîtrez en sauveur.  Mais c’est jouer avec le feu à un moment de notre histoire où les passions s’enflamment vite avec des conséquences qui peuvent mener à l’irréversible. Nous venons d’en avoir la preuve avec la tentative d’assassinat de Donald Trump.

Votre responsabilité est de nommer un Premier ministre. La Constitution est claire au moins sur ce point. C’est au Premier ministre que vous prendrez le risque de choisir qu’il appartiendra ensuite de bâtir une coalition autour des éléments programmatiques qu’il mettra sur la table. Les règles du jeu seront plus simples : il y aura enfin quelqu’un en charge de bâtir le compromis avec la légitimité indispensable pour agir efficacement. Respectez la Constitution et nous sortirons de l’impasse. Le pourrissement de la situation (indolore puisque nous allons avoir la tête ailleurs) auquel votre non-choix conduit est pernicieux. Nous en serons au même point à la rentrée et les Français se réveilleront de leur trêve avec une exigence de solution immédiate  mais il n’y aura personne qui y aura travaillé patiemment et discrètement tout au long de l’été.

Si vous êtes convaincu que LFI est un parti incapable de faire le moindre compromis, vous pouvez très bien nommer un Premier ministre du NFP et le laisser faire la démonstration soit qu’il ne parvient pas à construire un gouvernement, soit que le gouvernement qu’il constitue ne parvient pas à obtenir de majorité (ou à éviter le vote d’une motion de censure). Si vous pensez préférable de passer directement à la phase à laquelle on devrait dans tous les cas parvenir à terme, celle d’une large coalition, choisissez alors celui qui vous semble le plus apte à mener à bien cette lourde tâche. A vous d’estimer quel est le barycentre le plus probable de cette coalition.

Une chose est sûre pour moi : vous n’avez pas le droit moral de faire comme si ce laborieux et indispensable dépassement des désaccords (ou d’une partie d’entre eux) ne vous concernait pas et n’était pas urgent. C’est vous qui êtes à l’origine du problème, et doublement : bien sûr par la dissolution impromptue mais aussi par la disruption originelle de votre « en même temps ».

Monsieur le Président, vous ne pouvez pas faire comme si le choix du gouvernement n’était pas votre affaire. Ce devrait au contraire être votre seule et unique préoccupation quand tant de crises sont à affronter en même temps. Il est effectivement nécessaire d’agir avec « sérénité et respect de chacun » mais cette recommandation, c’est à vous, Monsieur le Président qu’il faut l’adresser ! Il est plus que temps que vous désigniez un Premier ministre ! C’est votre compétence, c’est votre responsabilité, c’est désormais aussi une urgence pour éviter que nous n’entrions dans une crise de régime. Une fois désigné, votre futur Premier ministre pourra prendre plusieurs semaines, jusqu’à la rentrée, pour former son gouvernement et la coalition qui le soutiendra, laissant au premier ministre démissionnaire le soin de gérer les affaires courantes durant l’été. Nous sortirons ainsi de cette ambiance délétère d’impasse politique dans laquelle vous seul nous avez plongé et vous seul pouvez nous sortir. Monsieur Macron devenez enfin pleinement Président et cessez de vouloir gouverner.

Hervé Chaygneaud-Dupuy, citoyen engagé et inquiet

PS. Seule bonne nouvelle, que vous devez pourtant ignorer tant vous n’êtes plus hélas dans le monde commun, plusieurs initiatives sont prises dans la société civile pour imaginer une refonte globale de nos manières de faire de la politique. Un appel à la réunion d’Etats Généraux par Pierre Calame auquel je m’associe mais aussi des prises de position notamment de Loïc Blondiaux ou de David Djaïz.

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

Une réflexion sur « Lettre ouverte au Président de la République d’un citoyen choqué et inquiet »

  1. Superbe message convaincant, finement abordé. Il est conforté par d’autres avis, comme celui de Charles CONSIGNY qui ne se revendique pas de gauche non plus https://www.liberation.fr/idees-et-debats/charles-consigny-emmanuel-macron-doit-nommer-premier-ministre-la-personne-proposee-par-le-nouveau-front-populaire-20240724_3J7JFGQJEZBV5AUZSQHZOVWMIA/?datawallToken=GFT-3cfe7893dde390b56cf5fed48ddb86f1
    et même de VILLEPIN.
    On voit là, un élan bienheureux qui dépasse les clivages, comme tu le souhaitais, Hervé !…
    Suffira-t-il pour faire sortir de sa surdité maladive notre chef d’Etat à cette époque charnière, peut-être la plus décisive pour l’humanité, et à un moment où la France peut remplir un rôle d’exemple important ?… Rien ne permet d’y croire, mais ça n’empêche pas de tout faire en ce sens. Merci !

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