Confort

Le confort n’est pas un mot anodin ! Il risque de nous enfermer dans un monde insoutenable alors même que son étymologie nous incite à penser qu’il nous « conforte », nous rend plus fort. Et si nous prenions davantage conscience de cette dérive du sens d’un mot qui nous piège ?

Sur un moteur de recherche, les premières images qui apparaissent pour le mot "confort" mettent en avant les canapés ... et les bras croisés derrière la tête !!

Le confort est un mot que nous utilisons quotidiennement, mais dont l’histoire et le sens profond méritent d’être redécouverts pour mieux comprendre pourquoi nous sommes drogués au confort. En vieux français « confort » signifiait à la fois soutien physique et moral, soulagement, consolation. Remontons encore, et nous trouvons le latin « confortare », « rendre très fort », composé de « com- » (ici préfixe intensif) et « fortare », « fortifier », lui-même issu de « fortis », « fort ».

Ainsi, à l’origine, le confort n’est pas tant une notion de facilité ou de luxe, mais plutôt une idée de force, de soutien, de réconfort, de ce qui restaure et consolide. Dans cette perspective, le confort est une ressource pour affronter la vie.

Un changement s’est opéré notamment au XIXe siècle, lorsque le français a réemprunté le terme à l’anglais « comfort » qui désignait un état de bien-être physique et matériel. Cette transformation sémantique s’est accélérée avec l’avènement de l’ère industrielle et l’essor de la société de consommation. Le confort est alors devenu synonyme de conditions de vie agréables et de bien-être matériel. Il s’est peu à peu éloigné de sa dimension morale pour s’ancrer dans le tangible, le palpable. Le « confort moderne » est devenu un symbole de progrès, il ne sert plus seulement à satisfaire nos besoins réels, mais est devenu le cœur d’une logique économique, sociale et psychologique.

Ce qui était considéré hier comme une ressource, puis un luxe, est devenu aujourd’hui une norme, voire une nécessité.

Différentes « figures du confort » ont été esquissées par Olivier Le Goff. Il distingue notamment le « confort-environnement », lié à notre bien-être sensoriel (température, lumière, espace), le « confort-utilisation », qui vise à minimiser l’effort corporel grâce à des objets et services, le « confort-organisation », qui optimise notre efficacité par une organisation rationnelle. Cette typologie nous invite à prendre conscience de la diversité des formes que peut prendre le confort.

Le confort ne se limite pas à l’accumulation d’objets, mais concerne la manière dont nous aménageons et contrôlons notre environnement, tant physique que sensoriel. Il est en cela une des conditions du bien-être et donc de l’épanouissement individuel.

Le confort est en cela profondément relatif et caractéristique d’une société des individus où chacun est invité à construire son propre référentiel. Ce qui est confortable pour l’un peut être inconfortable pour l’autre.

Plus problématique, notre propre confort est souvent obtenu par l’inconfort des autres notamment grâce à l’achat de biens accessibles seulement parce qu’ils sont produits par des personnes qui en sont drastiquement privées. Le « manspreading » est une forme plus anodine mais quotidiennement vécue de ce confort obtenu au détriment des autres, en toute bonne conscience.

On vit dans un monde qui nous pousse souvent à rechercher le confort immédiat, la facilité, la satisfaction instantanée. La publicité, les algorithmes des réseaux sociaux, tout semble conçu pour nous maintenir dans une zone de confort agréable mais potentiellement limitante. Parallèlement, les enjeux sociaux et environnementaux (inégalités, crise climatique, perte de biodiversité…) sont souvent minimisés, voire niés, pour ne pas perturber ce confort ambiant.

Stefano Boni distingue bien le bien-être -l’état d’équilibre et d’harmonie physique, émotionnelle et mentale – et le confort, avec une approche originale du confort, vu comme une mise à distance de notre environnement :

Le confort agit comme un bouclier, isolant nos sens et notre perception corporelle de l’environnement naturel. Au-delà des effets agréables qu’il nous procure, il est essentiel de prendre en compte ses imperfections.

Quelques questions pour éviter que le confort nous  conduise à l’inverse de ce qu’il est censé nous procurer (un surcroît de bien-être) en nous coupant du monde  :

Sommes-nous tous égaux face à notre besoin de confort, face à cette notion si adaptable et fluctuante, façonnée par nos normes sociales et nos imaginaires personnels ? Comment pouvons-nous réconcilier notre désir de confort avec la nécessité de vivre de manière plus soutenable ? Est-il possible de revenir à une conception du confort plus proche de son sens originel, qui nous renforcerait plutôt que de nous affaiblir ?

Ce texte a été rédigé avec Sarah BASTIEN et Emile HOOGE pour un déjeuner de conversations intitulé « Appétit d’imaginaires » que nous organisons dans le cadre d’Imaginarium-s.

 

Quelques lectures :

  • Le Goff, Olivier, L’Invention du confort. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1994. https://doi.org/10.4000/books.pul.9410.
  • Côme, Tony et Pollet, Juliette (sous la direction de), L’idée de confort, une anthologie. Du zazen au tourisme spatial. Éditions B42 – Centre national des arts plastiques, Paris, 2016.
  • Boni, Stefano, Homo Confort, Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, L’échappée, Paris, 2022. Voir aussi l’entretien pour la revue de l’Institut Veolia L’ère du confort, une menace pour la sobriété ? pdf

 

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

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