Délibérer

une courte navigation parmi les mots de la démocratie, pour les voir sous des angles nouveaux… et ouvrir nos esprits à des pratiques profondément renouvelées.

Paradoxalement pour un amateur d’étymologie, je ne m’étais jamais intéressé à l’origine du verbe délibérer, alors que les lecteurs de ce blog savent à quel point je reviens régulièrement à ce mot. Au moins à cinq reprises dans Persopolitique et pas moins de 18 occurrences sur le site des Ateliers (merci les moteurs de recherche !)

Si je m’y intéresse aujourd’hui c’est après avoir lu la chronique de Didier Pourquery dans Le Monde sur le mot « délivrer » dont l’origine latine est identique : deliberare. J’aime bien que délivrer et délibérer forment un doublet (comme frêle et fragile, mûr et mature…). La délibération est bien aussi une forme de délivrance, à la fois pour la liberté retrouvée et pour l’accouchement que cela représente. C’est curieux qu’une étymologie aussi transparente ne me soit jamais venue à l’esprit, surtout en raison de l’association qu’elle amène à faire entre la délibération et la liberté !

 

Je profite de ce texte très court sur ce mot qui caractérise la pratique pour moi la plus importante de la démocratie pour signaler un excellent entretien croisé entre Jacques Rancière et Pierre Rosanvallon dans Le Monde daté du 7 mai, évidemment sur le thème de la démocratie ! L’un et l’autre insistent sur les pratiques démocratiques qui ne peuvent se réduire à la seule désignation de représentants sous peine de dégénérescence de la démocratie. Jacques Rancière le dit fortement : « La démocratie, ce n’est pas le choix des offres, c’est un pouvoir d’agir. C’est le pouvoir de n’importe qui, de ceux qui n’ont pas de titre qui les qualifie pour exercer le pouvoir ».

Nicolas Truong du Monde leur demande alors ce qu’ils pensent du tirage au sort. Jacques Rancière n’hésite pas : « Le tirage au sort est une technique pertinente pour choisir des gens qui incarnent non pas une capacité spécifique mais la capacité commune. Il faut renouer avec l’idée – longtemps considérée juste et normale – de mettre au pouvoir des gens qui n’ont pas le désir du pouvoir et d’intérêt personnel à son exercice ».Rosanvallon lui-même reconnait qu’à côté de la repolitisation des élections, il est nécessaire « de donner davantage de place au mécanisme de production du quelconque [le tirage au sort] en matière de délibération, de contrôle de jugement ».

Enfin Pierre Rosanvallon me semble très proche de ce que j’écrivais dans le papier qui a suscité des craintes et des incompréhensions de la part de quelques proches. Il dit ainsi qu’il faut dépenser trop d’énergie dans le système partisan pour arriver à un résultat et que de ce fait il « préfère dépenser autrement [son] énergie ». Oui, il est possible de faire véritablement de la politique sans entrer dans la compétition électorale ! Pascale Puéchavy avec qui j’ai travaillé aux Ateliers de la Citoyenneté le disait bien à sa manière quand parlant à des amis de son activité, elle leur affirmait : « je travaille avec un homme politique! ». J’avais été surpris par cette épithète mais, au fond, je la trouvais assez juste…

 

PS – J’ai pratiquement terminé une nouvelle mouture du texte que j’avais rédigé il y a 10 ans sur le tirage au sort des députés. Je vais publier – en avant-première ! – dans le prochain post de ce blog l’avant-propos de ce livre court que je vais faire éditer si possible avant l’été. Il s’agit d’une lettre écrite en 2063 (oui, oui, 2063) par un des initiateurs (apocryphe en 2013) de la mise en place du tirage au sort en France autour de 2050.

 

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

Une réflexion sur « Délibérer »

  1. N’oublions quand même pas que « deliberare » exprime, fondamentalement, en latin, une clôture, celle de l’espace public, limité aux citoyens, et une exclusion, celle des esclaves, des étrangers, des femmes et de tous ceux à qui le droit de cité n’était pas reconnu. Le débat était réservé aux citoyens qui, en le mettant en œuvre, manifestait leur statut d’hommes libres, de citoyens. Amicalement. B. L.

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