Redémarrer

Les jours rallongent et nous imaginons déjà le printemps. L’hiver a été rude pour beaucoup et je n’ai pas été épargné. Nous avons plus que jamais besoin d’être convaincus de nos capacités à maitriser notre destin. Je relance Persopolitique très égoïstement pour lutter contre la facilité du « à quoi bon » qui me guette… en espérant que ça n’aidera pas que moi !

Redémarrer
@ Noah Fetz / Unsplash

Quel mot choisir pour traduire la relance de persopolitique ? Recommencer me venait le plus spontanément à l’esprit mais on recommence à zéro le plus souvent. Redémarrer est plus juste puisqu’on s’imagine au volant en train d’enclencher la première après un arrêt de courte durée. Mais le démarrage semble bien plus prosaïque que le commencement. « Au commencement était le Verbe… » est quand même plus évocateur que le « démarrage (en côte) » ! En recherchant les différentes étymologies des mots qui désignent l’origine de l’action (commencement, début, démarrage), on découvre des univers très disparates et assez éloignés de cette idée d’origine, de point de départ. Commencer vient de cum initiare. Même si on s’est habitué à utiliser « initier » au sens de prendre l’initiative, commencer veut d’abord dire introduire aux mystères dans l’Antiquité latine ! Le commencement est une initiation. Avec débuter, le registre est radicalement différent : le « but » de « débuter » est la cible que l’on vise dans un jeu. Débuter signifie d’abord déplacer cette cible. Ce n’est que plus tard que le début est devenu le premier coup du jeu. Rien à voir entre les mystères auxquels on est initié et le jeu de quille dont on déplace la cible ! Et démarrer ? Là encore la surprise est grande quand on comprend la parenté avec amarrer ! Démarrer, c’est larguer les amarres ! Logique en fait, et bien plus évident que les deux mots précédents mais le lien avec la navigation s’est totalement perdu. Le prosaïque démarrer retrouve de l’élan et de l’allure quand on voit le navire quitter le port et hisser la grand-voile !

Persopolitique a donc fait escale. L’embarcation numérique a pris le temps de repeindre sa coque avec une nouvelle apparence visuelle (merci à Thierry P. pour la création et à Michel S. pour la transposition sur WordPress) ; elle a aussi mis de l’ordre dans la soute bien chargée en créant quatre grandes catégories de textes pour des modes de lecture différents.

  • mots – Les mots sont souvent maniés comme des armes. Ici des mots, courants ou plus rares, deviennent matière à réflexion par leur étymologie et l’évolution de leur usage. Ainsi dépliés ils aident à voir autrement nos réalités quotidiennes.
  • émotions – L’actualité souvent nous sidère et nous anéantit. Ici une prise de recul pour montrer qu’on peut avoir prise sur ce qui nous arrive et transformer nos émotions en réflexion politique. Des textes rapides à lire, écrits dans l’urgence du moment.
  • imagination – L’avenir est souvent vu comme apocalyptique et sans alternative crédible. Ici des récits d’anticipation laissent imaginer d’autres avenirs possibles, grâce aux ressources de créativité présentes dans la société. Des ET SI… porteurs d’espoir.
  • composition – Pas le temps de se poser pour prendre en compte la complexité. Ici, des fils sont tirés pour ne pas en rester à l’événement et croiser les points de vue. Des textes plus longs, désormais découpés en chapitres pour une lecture facilitée

Progressivement je vais tenter d’accueillir à bord des invités qui partageront leurs explorations des futurs désirés. Déjà trois auteurs/trices ont donné leur accord pour écrire dans persopolitique. J’en suis heureux et j’espère que leur participation donnera l’envie à d’autres de les rejoindre. Avis aux amateurs, vous pouvez participer à ce redémarrage ! N’hésitez pas à prendre contact.

Bruno Latour

J’ai cheminé avec la pensée de Bruno Latour. Son nom est apparu plus de vingt fois dans ce blog. Pour réagir aux crises à venir, nous devrons faire sans ses réactions mais pas sans sa parole. Nous serons nombreux à nous y référer. Sans révérence, pour éviter l’esprit de chapelle qu’il n’aimait pas.

Ma fille aînée m’a envoyé ses condoléances quand elle a appris la mort de Bruno Latour. Il faisait effectivement partie de ma vie, même si je ne l’ai pas directement connu. « As-tu écouté Latour ce matin ? », « As-tu vu son papier sur la pandémie et son appel à réviser nos attachements ? », « Tu te rappelles son texte sur le film de Cameron à propos du principe de précaution ? » … Mes discussions avec mes proches étaient souvent ponctuées de ces interrogations. Adolescente, ma fille cadette était très fière de me dire qu’elle avait réussi à parler de Latour dans une dissert de philo !

Pourquoi un auteur prend-il tant d’importance dans une vie au point d’être pratiquement considéré comme un membre de la famille ? Pourquoi être autant affecté par la mort d’une personne que l’on a croisé trois fois dans sa vie sans réellement réussir à engager la conversation ? Il y a les fans, les groupies des chanteurs populaires qui crient leur prénom à la porte de leur hôtel. Ça m’a toujours paru fou. « Brunoooooo !!!!! » Et pourquoi pas, après tout ! L’attraction intellectuelle n’est pas qu’une affaire cérébrale, il y a bien sûr des émotions et des affects. On peut avoir le cœur qui bat un peu plus vite en découvrant que son auteur favori a publié une nouvelle tribune dans le quotidien du soir.

Et si, chez Bruno Latour, je trouvais l’exact mélange de pensée hors des clous, de connexion au réel, de distance goguenarde, de joie enfantine et de foi en l’homme que je recherche chez mes semblables ? Cet homme avait le mérite premier – pour moi – d’être rigoureusement inclassable : philosophe ? sociologue des sciences ? anthropologue ? révolutionnaire ? conservateur ? iconoclaste ? croyant ? Il était bien sûr tout ça à la fois tout en devenant au fil des ans un des penseurs majeurs de l’écologie sans échapper à la méfiance de bien des écologistes qui avaient du mal avec cette pensée non-alignée. Il savait revisiter les auteurs oubliés et/ou mal compris comme le sociologue français Gabriel Tarde ou le columnist américain Walter Lippmann. Grâce à la lecture de ses relectures, j’ai apprécié davantage le verbe avoir que le verbe être, j’ai mieux compris ce qu’on pouvait demander à la participation citoyenne. Il disait ainsi : On ne peut obtenir de société et même tout simplement d’action organisée qu’à la seule condition que chacun « se mêle de tout » mais « sous des formes extrêmement variées ». C’est pour cela qu’il préférait le pluriel cogitamus au cogito cartésien. On ne pense vraiment qu’en participant à des collectifs et en évitant de séparer ce qui relève du politique et ce qui relève du scientifique, puisqu’il faut composer un monde commun.

Dans mon dernier papier encore, je me référais à l’expression qui est devenu un incontournable pour toutes celles qui réfléchissent à la question écologique : l’atterrissage. Bruno Latour a eu la particularité rare d’intervenir sur trois registres à la fois pour nous faciliter l’atterrissage :

  • renouveler notre manière de regarder la réalité avec des concepts décalés et imagés
  • proposer des méthodes très concrètes pour nous engager à agir (cf. les cahiers de doléance, les territoires de subsistance, …)
  • créer des dispositifs de sensibilisation recourant à l’art du théâtre (je me souviens de la conférence sur Gaïa à Lyon où il avait mis en scène une interpellation dans la salle qui venait troubler le jeu convenu entre la parole savante et la parole profane)

A une époque où il devient courant de dénoncer le silence des intellectuels, Bruno Latour savait parler fort, juste et avec humour. Comme ce ne serait pas être fidèle à sa manière d’être au monde que de se plaindre de son absence, je préfère espérer une prompte relève.

La profondeur du temps

Un documentaire sur Souchon – mais oui ! – m’a irrésistiblement ramené à ce blog que j’ai pourtant décidé de laisser de côté. Comme si avoir annoncé son arrêt me donnait l’envie d’y revenir… à l’occasion. Ici, pour parler du temps qui passe (ou pas) et de l’implication que j’y vois sur nos vies en transition.

J’ai éprouvé le besoin de m’asseoir à mon ordinateur. Et d’écrire. Le besoin de mettre en mots une émotion vague, une tristesse heureuse. C’est bizarre mais j’ai éprouvé pratiquement le même sentiment à chaque fois que j’ai regardé (souvent par désœuvrement mais avec ensuite l’impossibilité de décrocher) le récit de la carrière d’un chanteur : Montand, Reggiani, Berger, Gall, Hardy… Je ne suis pas fan de chanson pourtant, je n’écoute pratiquement pas les paroles, je n’ai pas de playliste et le silence ne me fait pas peur. En fait la chanson est pour moi le temps qui passe, les refrains d’une époque. Par exemple, mon service militaire, c’était Thriller de Mickael Jackson parce qu’à la cafet’ où se débouchaient les « Kros » de fin de journée, le tube passait en boucle. En réalité pour moi c’est même l’inverse : Thriller n’est rien qu’une grande salle carrelée éclairée au néon dans une caserne de Mourmelon-le -Grand !

Et quand un documentaire reprend toute la chronologie d’un chanteur que j’ai connu depuis ma jeunesse, c’est en fait une succession, plutôt un empilement d’émotions simples : des tranches de vie qui s’empilent. Comme je me projette plutôt dans l’avenir, le potentiel et l’anticipation par choix politique et existentiel, je n’ai pas tellement d’occasions de ressasser le passé. Le « à mon époque » ou pire encore le « c’était mieux avant » ne m’ont pas encore atteint malgré l’âge qui avance. En fait la plongée dans les chansons par ordre chronologique donne l’occasion de mesurer la profondeur du temps. La profondeur plus que la durée puisque toutes ces couches de temps sont bien là aujourd’hui simultanément. En 120 minutes à peu près, la vie ne défile pas comme dans un film, elle se creuse, se fore… d’où sans doute à la fin ce léger vertige, cette presque nausée.

J’ai ressenti ça aussi avec les cérémonies liées à la mort d’Elizabeth II. Cette sensation de plongée dans le temps. Beaucoup de commentateurs ont parlé d’un personnage « historique » qui symbolisait tout le XXème siècle. Mais ce n’est pas vrai, la reine n’était pas un personnage historique. Elle n’a pas fait l’histoire de son pays. Elle n’est pour rien dans le Thatchérisme, le Blairisme ou le Brexit. La reine n’est pas prise dans le temps événementiel, celui qui passe et dont on tente de mesurer les traces pour l’Histoire. Elle est l’Histoire déjà là, le temps qui ne passe pas, un condensé du temps. La monarchie anglaise a la capacité de faire ressurgir au cœur du XXIème siècle une profondeur de temps qui remonte au moins au Moyen-âge. Hallebardes, costumes de la Tour de Londres, trompettes, voutes en ogive… Nous comprenions que le temps ne passe pas mais qu’il s’accumule. Pour des contemporains, condamnés à l’immédiateté des réseaux sociaux et des chaînes info, c’est forcément perturbant ce temps qui ne passe pas. Il n’y avait que dans les interstices des minutes de silence, des chants grégoriens ou des marches militaires qu’on le percevait, quand la logorrhée des commentaires se taisait un instant, prise malgré elle dans l’épaisseur d’un temps qui s’abstrait de l’accélération.

Je suis né dans une famille qui, a connu une forme de dilatation du temps qui sans doute me rend sensible au fait que le temps ne passe pas. Mes trois vieilles tantes, non mariées, ont vécu ensemble la seconde moitié du XXème siècle dans un monde encore largement rattaché au XIXème siècle : bourgeoisie provinciale avec l’usine comme repère et comme ressource commune, des tableaux de famille, des cahiers où l’on conserve la mémoire familiale depuis la fin du XVIIIème siècle, des jeux d’autrefois (croquet et jacquet), des qualités surannées : discrétion, distinction et autarcie… Jusqu’à la vente de la maison familiale à la mort de ma dernière tante en 2020, j’ai passé mes étés dans cette atmosphère hors du … J’allais utiliser l’expression convenue « hors du temps » mais elle est absurde. C’était l’inverse : la vie à Bragette n’était pas hors du temps, elle était au contraire plongée dans le temps, dans une pluralité de temps qui cohabitaient.

C’est notre monde contemporain qui est aussi follement « hors du temps » qu’il est « hors sol » au sens que lui a donné Bruno Latour. Atterrir, comme il le demande, c’est aussi se souvenir, renouer avec la richesse des temps multiples. Pas de transition possible sans mémoire vive. Face aux pénuries d’eau, face à l’énergie chère, nous allons devoir convoquer les ressources de temps qu’on croyait à tort balayés par le progrès : les toilettes de chat, les cuissons à feu doux dans des marmites en fonte, les vêtement reprisés (ou upcyclés pour faire moderne)… Drame d’’une rupture avec l’insouciance ou réincorporation dans nos vies de l’attention aux choses ? Souchon, et c’est sans doute ce qui m’a tant ému hier soir, a capté tant d’airs du temps – sur cinq décennies déjà – sans jamais être ni ringard ni à la mode ! Sa nostalgie, sa capacité à faire vivre des temps apparemment passés, je la vois plutôt aujourd’hui comme une alerte face à nos oublis et nos inconséquences. Il nous appelle à ne plus balancer nos petits moments magiques !

 

Tous ces petits moments magiques

De notre existence

Qu’on met dans des sacs plastique

Et puis qu’on balance

Tout ce gaspi de nos cœurs qui battent

Tous ces morceaux de nous qui partent

Merci à tous ceux qui m’ont envoyé un mot à la parution du texte sur la « fin de persopolitique », ça m’a touché. Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Peut-être que j’avais juste besoin d’exprimer la frustration de mon ego… On verra si l’envie d’écrire ici revient comme avant. Et pourquoi pas après tout ?! 

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