Anodin

Anodin n’est pas un mot aussi anodin que vous le pensez sans doute ! Les flacons de l’illustration vous donnent un indice… Vous ne voyez pas ? Prenez deux minutes pour découvrir l’actualité ambigüe du mot !

Anodin
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Anodin est un mot un peu désuet, on en conviendra. On l’entend encore parfois dans la protestation « Ce n’est pas anodin ! » si on estime qu’un fait n’est pas suffisamment pris en considération. Aussi ai-je été interpelé hier soir lorsque j’ai entendu comme un regret dans la formule « Il n’y a plus rien d’anodin ! ». Cette phrase évoquait le fait que sur les réseaux sociaux, tout pouvait être « retenu contre vous ». Vous avez mangé des chips et vous promouvez par ailleurs l’alimentation saine ? vous êtes prise en flagrant délit d’incohérence. Vous parlez encore des Dix petits nègres d’Agatha Christie ? vous ne respectez pas les personnes racisées… La civilisation du clash nous obligerait ainsi à rester toujours sur nos gardes, à faire attention à la moindre expression qui ne pourrait plus jamais être anodine, banale, sans conséquence. Va-t-on être obligé de créer une Ligue de Protection de l’Anodin ? L’Anodin serait comme un Monarque de Fatu Huva, l’oiseau le plus menacé du territoire français comme nous l’apprend la LPO. L’anodin sort ainsi de « l’anodinat » à mesure qu’il est pourchassé comme n’étant que l’habillage de nos turpitudes. Paradoxalement il gagne ainsi en valeur alors qu’il était censé être ordinaire et quelconque. L’anodin raréfié devient une bouffée d’air, un moment privilégié où l’on se sent libre de faire preuve de banalité. Nous allons peut-être devoir ouvrir des espaces où l’on pourra proférer des propos anodins en toute tranquillité. Y parler du temps qu’il fait sans craindre d’être ramené à la crise climatique, donner des nouvelles de ses enfants sans qu’on vous soupçonne de les considérer comme des HPI… Mais bien sûr de tels lieux seraient aussitôt envahis par des personnes ravies de pouvoir prononcer sans risque les propos apparemment les plus banals mais hautement problématiques : complotistes, révisionnistes et autres négationnistes viendraient, l’air de rien, y vendre leurs salades défraichies. Reste à savoir, quand la planète brûle, quand la guerre est à nos portes, quand de nouvelles épidémies nous sont annoncées comme certaines, si on a encore le droit de se complaire dans l’anodin, même en toute bonne foi.

Ce plaisir de la conversation sans enjeu, ce small talk dont des sociologues disent qu’ils sont une ressource essentielle de la socialité devient un plaisir rare à la fois parce qu’il ne faut pas en abuser (trop d’anodin et c’est l’indifférence aux enjeux brûlants) et parce qu’il est étroitement surveillé (trop d’anodin ne serait pas si anodin que ça). Et pourtant chacun a bien conscience qu’il faut des temps pour souffler, pour se laisser (un peu) aller à des paroles sans conséquence. Oui, l’anodin est à préserver, évidemment plus par la bienveillance réciproque que par des ZAD (zones de l’anodin à défendre).

Au-delà de l’ironie anodine, j’ai effectué mon « travail » de lexicophile, toujours avec Alain Rey en soutien. Parfois la pêche étymologique est décevante, sans surprise ou trop technique pour mériter une mention. Mais anodin fait partie des découvertes étonnantes et pleines de sens. Anodin vient du grec anodunon et signifie « qui supprime la douleur ».  Parce qu’il ne traite que la douleur sans s’attaquer au mal, l’anodin a basculé progressivement vers l’inefficace puis l’inoffensif ou le fade. Ce mot n’a décidément pas de chance : il commence comme analgésique et finit dans l’insignifiance. Et si notre époque nous amenait à faire évoluer à nouveau son sens en revenant à l’origine d’anodunon ? Et si l’anodin contemporain était en fait ce qui nous soulage des clashs, nous offre un calme temporaire et fragile mais ô combien nécessaire au milieu de nos tempêtes médiatiques. L’anodin, antalgique[1] de nos polémiques ?

 

[1] en grec ancien, il y a deux mots pour dire la douleur : algos et odune. Ainsi antalgique et anodin devraient être synonymes !

Là où on se parle !

Il est plus que temps de mettre en avant notre capacité à converser dans une société démocratique. Quand tout dialogue semble bloqué, il est urgent d’aller voir la réalité avec d’autres lunettes. Rejoignez Iségoria 2023, pour explorer « là où on se parle » !

Là où on se parle !
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Chacun s’irrite, s’affole ou se désespère de la dégradation du débat public. Le non-débat sur les retraites, les conflits violents sur les usages de l’eau montrent notre incapacité toujours plus grande à construire des compromis. Et les tensions ne peuvent que monter à l’avenir face aux révisions drastiques de nos modes de vie qu’imposeront le dépassement des limites planétaires. Nous commençons seulement à percevoir qu’il va falloir débattre de tout ce qui constitue la trame de nos vies : notre consommation et notre niveau de vie, notre alimentation, notre santé, nos déplacements,… et que nous n’y sommes absolument pas préparés !

Alors, c’est plié ? La guerre civile est notre avenir ? Il n’y a plus qu’à se résigner ? Et si, comme souvent, on ne voyait qu’une part de la réalité, la plus sombre ? Et si, en ne voyant que cet aspect de la réalité on se condamnait à ce qu’il prenne toute la place ? J’aime beaucoup la fable amérindienne des deux loups. Nous avons tous deux loups en nous, un féroce et un paisible. Celui qui gagne à la fin est celui qu’on nourrit. Arrêtons de nourrir notre loup féroce ! Et nourrissons notre loup paisible.

Notre monde semble s’enfermer dans l’incommunicabilité ? Allons voir « là où on se parle » ! Notre société est sans doute beaucoup plus dialogique, conversationnelle, que nous ne le voyons au quotidien. Un exemple tout simple : qui avait entendu parler de la justice restaurative avant que Jeanne Herry ne la mette en lumière dans son film ? Et pourtant elle existait mais nous ne le savions tout simplement pas. Même quand la parole et l’écoute sont difficiles comme entre une victime et un coupable, il existe des lieux et des méthodes pour qu’elles adviennent. Notre monde complexe sait engendrer un peu partout dans la société des lieux et des temps d’intelligence collective pour faire face à cette complexité. Il y a bien sûr les Conventions citoyennes et celle sur la fin de vie a été exemplaire sur un sujet ô combien propice aux conflits de valeurs. Mais plus modestement et à bas bruit, des « dialogue entre parties prenantes » s’instaurent entre l’entreprise et la société en matière de responsabilité sociale, des comités d’éthique se créent dans les hôpitaux donnant la parole aux patients, des copropriétés apprennent à gérer en commun des espaces partagés… C’est la société elle-même qui se démocratise par des pratiques de dialogue jamais simples, jamais pleinement satisfaisantes mais néanmoins constructives. La démocratie, avant d’être un mode de gouvernement est en effet un cadre pour que des paroles puissent s’échanger.

Nous commençons ainsi à comprendre que la complexité du monde à construire demande une approche de la démocratie fondée sur le dialogue dans tous les lieux qui nous permettent de vivre en société. Pourtant cette parole partagée est beaucoup trop peu mise en valeur et promue. On préfère mettre l’accent sur la rhétorique et l’éloquence. L’usage de la parole pour construire un monde commun est encore largement laissée de côté. Et pourtant, là aussi, des initiatives existent ici ou là mais elles manquent considérablement de visibilité. La conversation n’est pas une pratique vraiment définie, les lieux où on s’y entraîne ne sont pas repérés en tant que tels.

Un travail de recensement des formes de conversation qui se pratiquent et des lieux où on s’y entraîne est plus que nécessaire.

C’est dans ce sens que nous lançons avec la Maison de la Conversation  une étude pour voir comment on use de la conversation dans tous les lieux de la société (les entreprises, l’hôpital, la justice, les ehpads, les services publics… ) et comment on pourrait aider à développer localement une « culture de la conversation » : pour que les lieux où l’on se parle partagent leurs savoir-faire, se renforcent mutuellement, se maillent avec des lieux d’éducation populaire pour donner l’envie de converser…

Si vous êtes intéressés, si vous avez des pratiques et des lieux à signaler, n’hésitez pas à prendre contact ! etude@maisondelaconversation.org

 

 

 

 

 

 

Ecouter

Un mot qui m’importe particulièrement ! Je pense que, plus encore que la parole, il est indispensable dans nos démocraties. Malheureusement, si l’on se préoccupe des « sans-voix » on ne prête pas suffisamment attention aux « sans-écoute » !

Ecouter
@ trung-thanh / Unsplash

Ecouter ce n’est pas seulement entendre. Quand on parle d’écoute, on n’évoque pas seulement le sens de l’ouïe. L’écoute est plus qu’une aptitude physique, c’est une disposition, une attitude qui engage toute la personne. Ecouter vient d’auscultare, cette pratique médicale qui donne à comprendre ce que dit le corps au-delà de ce que peuvent exprimer les mots. L’écoute c’est une attention à l’autre, une disponibilité consentie. Cette nuance du consentement est importante, on ne l’avait pas dans l’auscultation. Un consentement qui peut aller jusqu’à l’obéissance : « Écouter sa conscience », « n’écouter que son courage ». A l’interjection « Ecoute ta mère ! », l’enfant sait qu’il ne lui suffira pas d’entendre et qu’il devra s’exécuter même s’il lâchera un « J’ai entendu ! » exaspéré.  Pourtant entendre a eu d’abord pratiquement la même signification qu’écouter (in tendere tendre vers, prêter attention) mais en remplaçant le malcommode ouïr, il est progressivement passé de l’attention à l’audition.

Entre attention et obéissance, écouter n’est pas franchement à la mode. Le sens de l’écoute n’est pas la vertu la plus mise en avant. Savoir s’exprimer, prendre la parole, donner de la voix : voilà les mots d’ordre du jour ! L’apprentissage de la rhétorique revient en force et les concours d’éloquence fleurissent. On oublie que, sans écoute, la parole est vaine. Parler dans le vide n’est sans doute pas très grave sur les réseaux sociaux puisqu’on n’y cherche pas l’échange mais l’affirmation de soi au mépris de l’autre (au sens fort du terme). Mais en revanche ces soliloques hostiles, haineux trop souvent, rendent sourds ! Si je suis un adepte de la conversation ce n’est pas seulement par goût des échanges policés, c’est parce que la conversation se nourrit de l’écoute. Ecouter c’est avoir confiance dans le fait que, dans la parole de l’autre – même si elle est maladroite, peu assurée, redondante – il y aura un moment inattendu où tu seras touché. Dans les Conversations que j’anime depuis quelques mois, ça ne manque jamais, comme cette fois où une vieille dame digne et simple nous a raconté comment, chaque matin, elle faisait le tour de son quartier à pied attentive aux voisins et aux fleurs. C’était là sa source d’énergie et de bonheur. Chacun dans le cercle que nous formions a ressenti intensément cette évocation vraie d’une vie attentive aux petits riens de l’existence. L’écoute c’est l’intelligence sensible. Elle est l’indispensable socle d’une société démocratique.

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