Anticipation

Le passage d’une année à l’autre nous amène naturellement à regarder vers le futur… Au-delà des échanges de vœux traditionnels, si nous changions notre manière d’envisager l’à-venir ?

Nous ne manquons pas de détecteurs de tendances, d’explorateurs de signaux faibles. Nous sommes nourris de scénarios de tendances avec les indispensables variantes selon qu’on sera plus individualistes ou plus sociaux, que l’on fera le pari des territoires en réseaux ou de l’entreprise étendue… Et pourtant le futur ne nous a jamais paru plus incertain, plus indéchiffrable, et plus menaçant !

Pourquoi ce paradoxe ? Pourquoi cet impossible élan vers demain ?

En réalité nous sommes en panne d’imaginaire ! plus encore nous sommes en panne d’un imaginaire positif qui donne du sens à nos vies. Le futur souhaitable de la prospective est bien souvent un futur sous contrainte du présent. Pas un avenir qui attire. Le futur est un à-venir sans promesse. La fin des idéologies et des religions ne nous a pas laïcisés, il nous a « désenthousiasmé ». On attend le futur avec angoisse alors qu’on pourrait désirer l’avenir avec passion. Le futur nous inquiète, l’avenir pourrait nous émouvoir.

Le futur est un compromis, l’avenir ne peut être qu’un pari. Pour parier il faut avoir entrevu un lendemain que l’on désire vivre.

Peut-on s’enthousiasmer sans retomber dans les errements de la croyance dans des lendemains qui chantent ou des paradis hypothétiques ?

En fait nous n’avons pas renoncé à nous enthousiasmer car nous pouvons difficilement vivre sans projection dans l’avenir mais faute de grands récits politiques ou religieux nous bricolons des succédanés : les uns ont les jeux de hasard et leur rêve de devenir millionnaire, d’autres des proximités fantasmées avec leurs idoles (on l’a bien vu avec le décès de Johnny Halliday). On se crée des communions éphémères mais intenses autour d’événements sportifs (ah la France black, blanc, beur). Ces « vies rêvées » sont les soupapes d’un monde qui ne fait pas rêver mais elles enferment dans l’illusion et ne conduisent à aucune action sur le réel puisque l’enjeu principal est d’y échapper.

Notre question se complique donc encore : peut-on s’enthousiasmer pour l’avenir en gardant les pieds dans le réel ? Comment s’enthousiasmer pour l’avenir sans tomber dans l’illusion ou les visions totalitaires/totalisantes mais en puisant dans l’avenir désiré des ressources pour transformer le présent ?

Deux voies me semblent prometteuses et convergentes même si elles partent d’un point de vue différent. Schématiquement il y a d’un côté la voie « personnelle » qui détecte chez l’individu contemporain autre chose que l’homo economicus, individualiste et épris de compétition qu’on nous décrit à longueur de temps. Cette voie amène à considérer l’humain comme un être doué d’empathie, à même de se lier aux autres, développant son pouvoir d’agir dans la coopération ; d’un autre côté il y a la voie « politique » qui tente de décrire ce que pourrait être une société convivialiste comme s’y emploient Alain Caillé et le groupe d’intellectuels qu’il tente d’unir dans un projet commun dépassant l’œuvre éditoriale de chacun.

Ces deux voies ne sont pas exemptes de limites : la voie personnelle peut conduire aux impasses du « développement personnel » qui amène à se créer une bulle de confort dans un océan de mal-être ; la voie politique ou convivialiste peut se perdre dans les sables de la recherche de solutions programmatiques sans réel écho dans une société très encline à se méfier du politique dans son ensemble. Autrement dit la première voie peut s’enfermer dans une vision riche mais égocentrée de l’avenir désirable, la seconde peut se perdre dans l’aridité et l’abstraction des approches programmatiques.

La manière pour moi de concilier les deux approches est de penser en termes de modes de vie comme y invite par exemple Marc Hunyadi. Qu’est-ce que ça change ? En fait ça permet de personnaliser la vision politique, de la traduire en histoires de vie en montrant comment les personnes vont se saisir des nouveaux contextes créés par les transformations convivialistes… en les imaginant DEJA réalisées.

Nous avons besoin de récits d’anticipation ! D’anticipations qui donnent à voir des modes de vie désirables. Nous sommes saturés d’anticipations négatives, fondées sur l’exploration des catastrophes, qu’elles soient écologiques ou politiques. Elles ont bien sûr leur utilité, au-delà de la fascination morbide qui nous pousse à nous y plonger, en nous amenant à réfléchir à ce qui conduit à de telles apocalypses. Il est néanmoins temps de faire émerger des « anticipations positives ». Nous avons réellement besoin de structurer l’imaginaire d’un monde désirable si nous voulons que ce monde ait une chance de voir le jour. J’ai plus que jamais envie/besoin de participer à l’invention de ces récits.

 

PS 1 – Je reprends deux jours par semaine pour y travailler en dehors de mon activité de consultant. Merci à Didier Livio de me laisser du temps pour cette nouvelle aventure personnelle !

PS 2 – Ce texte fait écho à un papier précédent sur la nécessité de structurer un imaginaire politique renouvelé. Le texte est là.

 

 

 

 

 

Catalogne, Ecosse, Flandre,… et si l’Europe était en train de se reconstruire ?

Beaucoup ont écrit pour pointer les différences entre les mouvements qui remettent en cause les Etats-nations au sein de l’Europe : Catalogne, Ecosse, Flandre,… Ces différences faisaient qu’on ne pouvait pas les comparer. Je trouve à l’inverse que c’est parce qu’ils sont très différents que leur commun rejet de l’Etat dont ils dépendent est significative.

Si l’aspiration à l’indépendance n’était le fait que d’une catégorie homogène de Régions, si le rejet ne concernait que des Etats ayant le même rapport à leurs composantes territoriales, on pourrait se dire que c’est une exception, une particularité anecdotique. Mais que la Catalogne, qui n’a rien à voir avec la Flandre et pas davantage avec l’Ecosse, veuille faire sécession se révèle de ce fait plus intéressant et ne peut plus être balayé du revers de la main. Il y a bien un problème à traiter et ce problème n’est pas celui de l’Espagne, du Royaume-Uni ou de la Belgique, il devient un problème global pour l’Europe, si tant est que l’Europe souhaite rester un ensemble démocratique.

Précaution nécessaire pour bien me faire comprendre. Quand je dis qu’il y a bien un problème de l’Etat-Nation, je ne donne pas pour autant automatiquement raison aux indépendantistes, catalans ou autres. Comme le disait très justement Patrick Viveret dans un texte partagé avec le réseau des Convivialistes,

nous sommes en présence de deux voies également inacceptables : celle d’un étatisme autoritaire se prétendant propriétaire des peuples vivant sur un territoire, et celle d’un nationalisme identitaire se considérant lui-même propriétaire de la Catalogne.

Il fait le lien avec le domaine religieux et la conquête démocratique du droit à l’apostasie (la sortie volontaire d’une religion) : comme nous n’appartenons pas à une religion, nous n’appartenons pas à quelque entité politique que ce soit. Il ne peut y avoir de communauté politique démocratique que librement consentie. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est la possibilité d’une apostasie politique.

Et en France ? La situation française, avec des Régions faibles, peut donner l’illusion d’un Etat fort. Le sujet du démantèlement des Etats-Nation nous parait, à nous Français, quelque eu exotique tant nous semblent loin les velléités indépendantistes que nous avons connues en Bretagne ou au Pays Basque. Plus globalement la décentralisation qui a été la grande affaire du dernier quart du XXème siècle fait face à une recentralisation rampante depuis plus de quinze ans même lorsqu’on prétend renforcer les Régions comme Manuel Valls et François Hollande. Force est de constater que nous avons largement raté notre régionalisation.

Quand j’ai commencé ma vie professionnelle au conseil régional Rhône-Alpes, nous avions tout un discours sur l’Europe des Régions. C’était le début de l’institution régionale comme collectivité territoriale, et l’ambition d’en faire des interlocuteurs directs de l’Europe pour moderniser l’action publique et faciliter le développement était extrêmement motivante. Hélas, on a vu ce que les Régions sont devenues, empêtrées progressivement dans des fonctions de gestion alors qu’elles avaient été conçues pour être des « administrations de mission », ce que nous traduisions par acteurs politiques de premier plan. La création des grandes régions n’y a évidemment rien changé, au contraire : elle focalise les Régions sur leur réorganisation interne pour des années encore au lieu de les pousser à prendre plus d’autonomie à l’égard de l’Etat. Ce sont des géants géographiques mais des nains administratifs qui vont perdre énormément de temps à essayer de faire travailler de Biarrots et des Limougeauds en Nouvelle Aquitaine ou des Troyens et des Strasbourgeois dans le Grand-Est, de façon purement artificielle tant les synergies sont faibles à cette échelle géographique.

Mais la faiblesse actuelle des Régions ne fait pas pour autant la force de l’Etat-Nation. L’impuissance de l’Etat est un temps masquée par le volontarisme du nouveau président mais les questions majeures qui sont à traiter ne pourront l’être efficacement qu’à l’échelle de l’Europe d’un côté (le climat, le modèle économique, la recherche,…) ou à celle des régions et des bassins d’emploi de l’autre (la transition écologique, l’activité et les compétences,…). L’Etat a en réalité très peu de marges de manœuvre puisque ses « outils » traditionnels, le budget, la monnaie et la loi sont très largement DEJA européens. Ce qu’il devrait pouvoir faire de nouveau, il le fait souvent très mal, tant la culture de l’Etat jacobin ne l’y prépare pas : être stratège sans être planificateur, être facilitateur sans être décideur unique. Depuis des années, les rapports se sont multipliés pour décrire cet Etat accompagnateur d’une société en mouvement mais ils n’ont quasiment eu aucune traduction concrète.

Et l’Europe dans tout ça ? Elle prend ostensiblement le parti de Madrid. L’Europe est devenue paradoxalement le meilleur rempart des Etats. Elle n’a plus de vision propre si ce n’est dans un Parlement inaudible. La Commission Juncker pas plus que la Commission Barroso n’apporte la moindre vision d’avenir tant elle s’est enfermée dans son seul rôle de garant du marché libre et non faussé.

Le blocage de l’Europe depuis la création de la monnaie unique et les derniers élargissements est affligeant. J’ai toujours été pro-européen mais exaspéré par la manière dont elle est dirigée depuis le départ de Jacques Delors. Du coup je me suis largement désintéressé du sujet et je crois que je n’ai jamais rien écrit sur l’Europe dans ce blog

Si j’écris aujourd’hui sur ce sujet c’est parce que je pense que la crise catalane est une formidable opportunité de relancer l’Europe. L’Europe peut aider à relativiser l’alternative Catalan ou Espagnol puisque dans les deux options, l’appartenance à l’Europe est revendiquée. Quand une alternative est une impasse, il faut trouver une sortie par le haut : l’Europe est cette sortie par le haut si elle prend enfin l’initiative. La crise pourrait avoir un double effet positif : obliger l’Europe à sortir de sa léthargie face à une menace sérieuse de violences en son sein ; faire baisser la tension parmi les peuples en mal d’autonomie par une perspective de relativisation du rôle des Etats.

Emmanuel Macron disait clairement dans son discours à la Sorbonne que nos Etats n’étaient pas à même de répondre aux enjeux :

Tous les défis qui nous attendent – du réchauffement climatique, à la transition numérique, en passant par les migrations, le terrorisme, tout cela, ce sont des défis mondiaux face auxquels une nation qui se rétrécit sur elle-même ne peut faire que peu de chose. […] Nous ne pouvons pas nous permettre de garder les mêmes habitudes, les mêmes politiques, le même vocabulaire, les mêmes budgets. […] La seule voie qui assure notre avenir, […] c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique. […] L’Europe que nous connaissons est trop faible, trop lente, trop inefficace, mais l’Europe seule peut nous donner une capacité d’action dans le monde, face aux grands défis contemporains.

Dire cela c’est accepter dans le même temps que les Etats perdent une part de leur souveraineté. Si notre communauté politique de référence devient l’Europe alors mécaniquement nous aurons besoin d’ancrages locaux plus forts. Ce ne seront pas les grands Etats-nations qui nous donneront cet ancrage. Il devra se situer plus près de l’action à l’échelle des régions et des bassins de vie (Métropoles et territoires ruraux pilotés par des départements renouvelés). Dire cela n’est pas faire disparaître l’Etat, c’est le recentrer sur les ressorts culturels, sur les combats sociétaux, sur les grandes mobilisations collectives qui nos ferons vibrer en tant que Français. Il y a beaucoup à faire pour accompagner la vitalité de nos sociétés en renforçant la solidarité la créativité et la fierté d’être Français. Pas besoin pour cela de piloter l’économie, laissons ça à l’Europe et aux Régions !

Irréaliste ? Peut-être pas si l’alignement des planètes se poursuit comme amorcé depuis quelques mois : un président français enfin volontariste et audible sur l’Europe avec des pistes intéressantes puisqu’il met clairement la transition écologique au cœur de sa démarche ; l’évolution de l’Allemagne avec le départ de Schauble, le ministre des finances qui bloquait toute évolution ; l’affaiblissement du contre-modèle anglais avec l’impossible Brexit ; la reprise économique qui redonne quelques marges de manœuvre (même si je suis loin de croire que la croissance soit la panacée) …

Pour que l’énergie de réformes ambitieuses soit là, nos sociétés civiles européennes doivent se saisir de la perche tendue par le président Macron lors de son discours du 26 septembre dernier. Il nous invite à participer à des « conventions démocratiques » organisées en 2018 dans tous les pays volontaires. Et si nous sortions de notre apathie ou de notre hostilité à l’égard de l’Europe pour indiquer quelle Europe nous voulons ?

Cet article doit beaucoup à l’impulsion d’une longue conversation avec mon père qui reste un indéfectible européen, comme beaucoup d’hommes et de femmes de sa génération. Sur ce plan, ils sont peut-être restés plus jeunes que les générations qui les suivent.

Et si vous voulez poursuivre la réflexion dans ce sens, lisez l’entretien rafraîchissant accordé au Monde par Robert Menasse. Il se conclut par ces mots

Est en train de naître quelque chose de nouveau. L’unification des provinces par les Etats n’était pas la fin de l’histoire. Un jour, toutes les provinces s’uniront dans une grande fraternité. Ce sera la République européenne.

 

 

 

 

Inventer de nouvelles formes de propriété ?

La Déclaration des Droits de l’Homme a consacré le droit de propriété comme une de nos principales libertés et l’on sait à quel point les Français sont attachés à ce droit. Les évolutions sociales et les modes de vie qui en découlent, les enjeux de développement durable changent la donne… mais difficile d’en tirer les conséquences politiques tant ce droit apparaît intangible. Et pourtant …

Revenant de vacances, mon point d’entrée (très partiel !) dans ce sujet m’est dicté par notre rapport ambigu à la notion de « maison de famille » où des générations de cousins se retrouvaient chaque année à la campagne ou à la mer et se créaient des souvenirs pour la vie. J’ai la chance de bénéficier d’une telle maison sans en être propriétaire. On voit bien à quel point posséder ce genre de maison est devenu un fardeau pour beaucoup (à la fois devoir moral de « continuer », charge financière difficile à assumer, inadaptation aux envies de découverte de nouveaux lieux…). Les maisons secondaires n’ont d’ailleurs plus la cote et beaucoup préfèrent multiplier les courts séjours dans des lieux présumés paradisiaques ou au moins exotiques dont on peut parler ensuite dans les conversations de retour de vacances (ça évite le peu valorisant : « comme d’habitude dans notre maison de famille en Charente »)

Même en ayant le goût des maisons de famille et en ayant vu à quel point ça contribue à structurer l’imaginaire des enfants (ah ! les chasses aux trésors des Grands Moulins !), je ne suis pas sûr que cette forme de propriété ait encore du sens. Les approches du développement durable et de l’économie de fonctionnalité nous incitent à passer d’une logique de propriété à une logique d’usage, on le voit dans de nombreux domaines, du tourisme à l’automobile. Pour les lieux de vie, ça reste encore binaire : ou tu es propriétaire ou tu es locataire. La vogue (limitée) de la multipropriété à la mer ou à la montagne a conduit à bien des désillusions. Alors on en reste là ?

Pour m’abstraire des affres de la propriété paralysante, j’ai souvent imaginé (sans aller jusqu’à tenter de le mettre en œuvre) des dispositifs d’accès à une forme de droit d’usage à négocier avec des propriétaires. Continuer la lecture de « Inventer de nouvelles formes de propriété ? »

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