Canicule, un autre rapport AUX temps

Et si le temps qu’il fait (weather) et le temps qu’il est (time) étaient en train de muter, peut-être même de permuter dans notre manière d’appréhender le monde ? Et si la canicule nous conduisait à prendre davantage en compte les degrés Celsius que les minutes ?

Habitant à Lyon, comme beaucoup de Lyonnais sans clim chez eux et au travail, sans jardin ou piscine, j’ai vraiment été affecté par la canicule et même si cette semaine nous n’étions plus officiellement en canicule, la réalité d’appartements surchauffés et l’absence de rafraîchissement nocturne nous a maintenus dans un état physique et mental… atténué ! Nous fonctionnons au ralenti. Des nuits courtes et qui pourtant n’en finissent pas, ponctuées d’aller-retour pour boire, ouvrir les fenêtres vers 2 ou 3 heures du matin, se passer de l’eau sur la figure… Des journées où l’on cherche avant tout à s’économiser en réduisant la lumière (à quelle heure fermer les fenêtres côté est et côté ouest), les déplacements (quel chemin prendre entre la maison et le café pour rester à l’ombre le plus longtemps), le temps passé devant l’ordinateur (quelle note est vraiment urgente, quelle activité faire sans taper sur ce clavier…).

Il existe des exercices où l’on peut, grâce à des lunettes spéciales, découvrir comment on voit le monde en ayant trop bu. J’ai eu l’impression d’avoir fait un exercice du même genre : j’ai découvert le rythme que j’aurai sans doute avec 10 ou 15 ans de plus. Mais désormais ce ralentissement du rythme de vie n’est plus une affaire d’années qui passent mais de températures qui montent.

Et bien sûr je sais que je ne suis pas à plaindre, j’ai pu faire des « pauses » en allant chercher deux nuits de fraîcheur dans un hôtel lyonnais doté de la clim et de grandes piscines extérieure et intérieure, touriste dans ma propre ville. Mais quelle peut être la vie d’un habitant du Rajasthan confronté à des températures de 50° privé d’eau et dans l’attente désespérée de la mousson ? Des milliards d’êtres humains vont désormais vivre sur une Terre à peine habitable.

Nous occidentaux qui mesurons le temps humain à la minute voire à la seconde et sommes si souvent exaspérés quand, dans les pays du Sud, le rapport au temps se fait plus élastique, nous sommes peut-être en train de découvrir que nous allons nous aussi devoir composer entre le temps qui passe et le temps qu’il fait. Il va nous falloir abandonner notre focalisation folle sur les minutes à gagner, le « juste à temps » quelles que soient les circonstances, pour partir à la découverte d’autres critères d’efficacité dans le travail et de satisfaction dans nos vies quotidiennes. L’urgence climatique vient mettre à mal notre vie placée sous le signe de l’urgence temporelle. Oui, nous allons devoir trouver le moyen de sortir de l’accélération. Et nous comprendrons sans doute comme nous l’a fait entrevoir Hartmut Rosa, que le contraire de l’accélération n’est pas le ralentissement mais ce qu’il appelle la résonance, la connexion aux autres, au monde et à soi. Ralentir, ce serait encore garder la vitesse comme critère d’appréciation. Se relier, résonner avec le monde conduit bien sûr à un ralentissement mais un ralentissement qui n’est pas une fin mais une conséquence de l’attention portée à nouveau à ce/ceux qui nous entoure.

Sur la passerelle qui relie la gare de Perrache au métro, un écran affichait la température absolument étouffante qu’il faisait à mon retour de Paris : 51° ! Des gens s’arrêtaient pour prendre l’écran en photo tant ça paraissait incroyable. Si la mesure du temps va devoir être moins prégnante et prescriptive, la mesure des degrés va devoir de plus en plus guider nos vies. Déjà l’urbanisme tente de réduire les îlots de chaleur urbains (cette passerelle est aujourd’hui une aberration avec sa couverture en plexi à peine teinté). Mais ce sont nos vies quotidiennes qui vont être rythmées par le temps qu’il fait. Le droit du travail a intégré la question de la canicule, sans doute faudra-t-il imaginer des modes de vie différenciés entre saison chaude et saison fraîche. L’attention à nos manières d’habiter va être cruciale puisque le recours généralisé à la climatisation serait le type même du faux remède qui aggrave le mal global en apportant un mieux local. On va découvrir les tours éoliennes et les patios des civilisations du Sud qui savaient composer avec la chaleur !

Mais bien sûr cette attention au temps qu’il fait ne sera efficace que si elle s’articule à une moindre préoccupation du temps qui passe. Nous devrons peut-être mettre davantage de thermomètres dans l’espace public que d’horloges !

La canicule, qui tire son nom de l’étoile Sirius, autrefois appelée Canicula (petite chienne), correspondait, à l’époque romaine, à la période des chaleurs les plus intenses de la fin juillet à la fin août – période où Sirius/Canicula, se lève et se couche en même temps que le Soleil. La canicule était donc un repère temporel, inscrit dans la course des astres. Une canicule en juin est donc au sens premier une aberration calendaire. Le dérèglement actuel du climat nous oblige à sortir de l’ordre immémorial des choses pour inventer en une décennie des modes de vie radicalement en rupture avec notre rapport au temps. Plus que jamais il faut croire à la puissance de nos imaginaires[1] pour éviter de sombrer dans la folie ou le fatalisme.

 

 

[1] La première rencontre de l’Imaginarium-s, organisée avec une vingtaine de participants pour tracer les contours de nos premières expéditions a tourné pour une part autour de ces questions du temps. Un signe encourageant de nos alignements en cours. A suivre bientôt sur www.imaginarium-s.fr

Démocratie, une réforme discrète ?

Les propositions d’Emmanuel Macron sur la démocratie s’intéressent aux pratiques réelles pas seulement aux dispositifs institutionnels. C’est moins spectaculaire mais plus prometteur.

Le constitutionnaliste Dominique Rousseau rappelait, dans un très bon article publié par AOC, qu’en 1974, on s’était moqué de la réforme constitutionnelle qui ouvrait la saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires. Ce qui semblait anecdotique à l’époque a été en réalité le point de départ d’un contrôle de constitutionnalité toujours plus étendu. La modernisation de la démocratie passe souvent par des voies discrètes. A contrario, le battage médiatique du passage au quinquennat qui devait a priori nous rapprocher des pratiques des grandes démocraties anglaises ou américaines nous a hélas enfermés dans un présidentialisme sans contrepouvoirs affirmés et à l’horizon trop courtement électoral. Les grandes réformes ne sont pas toujours celles qui occupent le devant de la scène.

Que va-t-il en être des annonces du Président concernant la démocratie en conclusion du grand débat ? Peut-on prendre paradoxalement comme une bonne nouvelle le fait qu’elles n’aient pas suscité beaucoup de réactions ? Je ne suis pas loin de le croire. Continuer la lecture de « Démocratie, une réforme discrète ? »

Après le Grand débat ?

Deux mois de Grand débat, un mois pour tirer les conclusions : la presse trouve le temps long ! Que l’on sorte pour une fois de la précipitation m’a à l’inverse plutôt réjoui ! Saurons-nous en faire un AVANT et pas seulement un APRES ?

Laisser opérer une forme de décantation est sage. On le sait bien, avec des conclusions tirées trop vite, il n’y avait aucune chance de créer une rupture avec les pratiques politiques habituelles. Ce n’est pas la synthèse algorithmique des dizaines de milliers de documents et de contributions diverses qui peut permettre de faire émerger des propositions fortes de ce remue-méninges collectif. Si l’on se précipite sur « les dix mesures plébiscitées par les Français », on restera dans le ressassé et on laissera de côté les milliers d’autres pistes qui avaient tout autant, ou presque, suscité de contributions. Plus fondamentalement, l’idée que des « mesures » puissent changer la donne est une illusion. On a d’ailleurs bien vu que les mesures prises en décembre ont été très vite considérées comme des miettes et presque aussitôt oubliées dans l’attente d’autres mesures, plus spectaculaires, plus radicales. Plus, toujours plus. L’approche par les mesures est une impasse.

L’idéal serait bien sûr l’annonce d’un changement de cap, d’une conversion à l’urgence écologique, d’une prise en compte, autrement qu’en paroles, des désagrégations sociales qui minent notre pays. Mais si nous l’avons espéré avec la remise du rapport Borloo ou à la suite de la démission de Nicolas Hulot, le changement de cap n’est certainement pas à l’ordre du jour.

Faut-il dès lors ne plus rien attendre et s’habituer à vivre la coexistence d’une contestation sociale récurrente, sporadiquement violente, et d’une technocratie continuant vaille que vaille sa « modernisation »… jusqu’à ce qu’un régime populiste les remplace ?

Et s’il restait une voie étroite que nous puissions utilement explorer ? Une voie qui n’obligerait pas le Président à se renier, une voie qui permettrait aux personnes de se sentir prises en compte, qu’elles aient été Gilets jaunes ou Marcheuses pour le climat. Utopique ? Sans doute mais j’avoue préférer chercher inlassablement cette voie étroite qui peut-être pourrait contribuer à éviter la propagation de la violence et de son double, la répression. Continuer la lecture de « Après le Grand débat ? »

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