Le constitutionnaliste Dominique Rousseau rappelait, dans un très bon article publié par AOC, qu’en 1974, on s’était moqué de la réforme constitutionnelle qui ouvrait la saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires. Ce qui semblait anecdotique à l’époque a été en réalité le point de départ d’un contrôle de constitutionnalité toujours plus étendu. La modernisation de la démocratie passe souvent par des voies discrètes. A contrario, le battage médiatique du passage au quinquennat qui devait a priori nous rapprocher des pratiques des grandes démocraties anglaises ou américaines nous a hélas enfermés dans un présidentialisme sans contrepouvoirs affirmés et à l’horizon trop courtement électoral. Les grandes réformes ne sont pas toujours celles qui occupent le devant de la scène.
Que va-t-il en être des annonces du Président concernant la démocratie en conclusion du grand débat ? Peut-on prendre paradoxalement comme une bonne nouvelle le fait qu’elles n’aient pas suscité beaucoup de réactions ? Je ne suis pas loin de le croire. Rappelons d’abord ce qu’il a annoncé puisque tout cela s’est un peu dissous dans la multiplicité des thèmes de son intervention et que la sensibilité aux questions du pouvoir d’achat et de la fiscalité ont conduit les médias à centrer leurs commentaires sur ces sujets. Deux mesures concernent le Parlement (elles étaient prévues par le projet de réforme constitutionnel mis en stand-by depuis l’été) : l’introduction de 20% (au lieu de 15%) de députés élus à la proportionnelle ; la réduction du nombre de parlementaires. Deux mesures concernent la démocratie locale : l’annonce d’un renforcement de la décentralisation qui permettrait aux collectivités d’adapter les règles à leur situation particulière ; le droit d’initiative locale donné aux citoyens pour faire inscrire à l’ordre du jour des conseils les sujets qui les intéressent. Deux autres mesures ont plus directement retenu l’attention car elles ont été vues comme une réponse indirecte aux attentes de démocratie directe : la simplification du recours au référendum d’initiative partagée créé par Sarkozy mais pratiquement inutilisable en raison des modalités retenues à l’époque ; la mise en place d’un conseil de participation citoyenne avec des citoyens tirés au sort et une première application dès juin sur la transition écologique.
Je ne vais pas m’étendre sur les deux premières qui concernent le fonctionnement des institutions représentatives. Je suis par principe hostile à la réduction du nombre de parlementaires car c’est donner le sentiment que les parlementaires représentent un coût qu’il faudrait réduire ce qui est éminemment populiste. La proportionnelle qui a longtemps été associée à l’ingouvernabilité me parait aujourd’hui un moyen utile pour sortir de la réduction de l’Assemblée à une chambre d’enregistrement ou, à l’inverse, d’obstruction. Obliger un gouvernement à composer avec la pluralité des sensibilités, à réunir des majorités éventuellement différentes selon les sujets me semble un moyen possible de remettre de la politique dans une approche souvent trop technocratique de la loi. Ce n’est pas gagné d’avance car les jeux politiciens peuvent toujours interférer mais je ne crois plus au vieil épouvantail de l’ingouvernabilité.
La question de la démocratie locale m’intéresse davantage. Non pas parce qu’elle s’occuperait de sujets locaux (et limités) mais au contraire parce qu’elle peut s’intéresser à des sujets globaux pris localement. C’est très différent de l’image encore prégnante de la « France des notables » ou pire encore du « millefeuille administratif ». Les deux pistes de réforme sont intéressantes. La première n’est pas encore précise mais l’intention est louable : sortir de l’universalisme abstrait qui commande de traiter tout le monde pareil alors que les situations territoriales peuvent être très différentes. Ira-t-on plus loin cette fois-ci que le droit à l’expérimentation que Raffarin avait pourtant fait introduire dans la Constitution sans pour autant le faire entrer dans nos mœurs ? La décentralisation a été trop souvent mise à mal ces dernières années pour qu’on soit totalement confiant face à cette simple déclaration. Néanmoins la fréquentation assidue et sans complaisance des élus locaux au cours de ces derniers mois a pu réellement ébranler les certitudes jacobines du Président. Il me semble qu’un cap a été franchi depuis l’épisode tellement affligeant du plan Borloo et des « deux mâles blancs ». Je pense qu’il s’est rendu enfin compte que les élus locaux ne sont pas avant tout des notables, mais bien des « activateurs de territoire » inventant, bricolant parfois, des solutions avec les acteurs locaux pour prendre en compte les enjeux globaux auxquels ils sont confrontés : les injustices et le mal-emploi, les transitions agricoles et alimentaires, une urbanisation qui maille mieux les fonctions de la ville, une mobilité moins énergétivore et plus humaine,… Que des « petits » sujets pour des « petits » élus comme on le voit !!
L’autre proposition qui concerne la démocratie locale ne peut que me séduire. J’ai longuement défendu dans Citoyen pour quoi faire l’importance de la « mise à l’agenda » par les citoyens eux-mêmes des sujets à traiter. Je pense que c’est beaucoup plus utile et pertinent que le RIC. Ce qui compte c’est l’initiative. Les citoyens doivent pouvoir dire ce qui importe pour eux, ce qu’ils estiment nécessaire de traiter localement. Il manque la dimension de délibération collective que l’on pourrait avoir grâce à des espaces de discussion entre citoyens. Mais c’est un début et quand les gens sont à l’initiative d’une question à traiter, ils sont ensuite difficiles à ignorer dans l’élaboration des solutions et leur mise en œuvre. Gageons que par ce simple germe de changement qu’est la « mise à l’agenda », on transformera de proche en proche les pratiques démocratiques locales. Ce germe est puissant et discret. Il a donc la possibilité de se développer dans le temps au-delà des intentions de ceux qui le proposent aujourd’hui. C’est typiquement une réforme prometteuse, comme l’a été dans un autre registre la réforme du conseil constitutionnel de 74 sur laquelle j’ouvrais ce papier.
Restent les deux réformes qui impliquent directement les citoyens dans les affaires nationales. On ne peut que saluer le début de simplification du référendum d’initiative partagée. Un million de signataires est sans doute atteignable pour activer le processus référendaire. Reste à savoir si la simplification s’appliquera aussi aux délais de mise en œuvre longs et aléatoires. Mais là n’est pas pour moi l’essentiel. Cela captera sans doute l’essentiel des débats entre pro-RIC et pro-RIP laissant la place pour installer l’autre mesure, beaucoup plus prometteuse, celle de l’assemblée citoyenne tirée au sort.
Ça fait bizarre pour quelqu’un qui s’intéresse depuis plus de 15 ans au tirage au sort d’une assemblée composée de citoyens de voir enfin un début de concrétisation de cette pratique démocratique, pourtant jugée tellement incongrue à l’époque ! Je n’y suis bien sûr pour rien puisque je n’ai jamais voulu être un militant du tirage au sort mais je ne peux m’empêcher d’y voir une consécration de mes idées. Trêve de forfanterie puérile, essayons plutôt de voir le potentiel transformateur de cette réforme. Démocratie Ouverte, je l’ai déjà dit ici, a pris l’initiative, à laquelle je me suis associé, de pousser à la constitution d’une telle assemblée. Aujourd’hui l’équipe qui dirige l’association – Mathilde Imer et Armel Le Coz en premier lieu, mais aussi bien sûr Loïc Blondiaux – associée avec des personnalités comme Cyril Dion ou l’une des initiatrices du mouvement des Gilets jaunes, Priscillia Ludosky, est à la manœuvre auprès de la Présidence et du Gouvernement pour que la préfiguration du conseil de participation citoyenne sur la transition soit bien conduite dans les règles de l’art avec les garanties d’indépendance voulues. J’ai bien sûr l’intention de m’impliquer autant que possible dans cette première !
Beaucoup d’observateurs ont critiqué le fait de confier à une telle instance l’élaboration des mesures devant permettre de réussir enfin la transition énergétique. Pour eux, le grand débat a déjà eu lieu, il s’agit de décider. De toutes façons ces ONG savent ce qu’il faut faire et donc il n’est plus temps de discuter, il faut agir. Beaucoup de commentateurs politiques, beaucoup d’élus aussi sont sur la même ligne. Ils restent dans la pure rationalité de la science et de l’espace public habermassien sans voir que c’est justement cette toute-puissance de la rationalité qui a mis les gilets jaunes dans la rue et sur les ronds-points. Plus de pédagogie n’y aurait rien changé ! Ce n’est pas une question d’acceptabilité mais une question de « composition d’un monde commun » selon l’expression que j’aime reprendre à Bruno Latour. Tant qu’on ne part pas des modes de vie des gens et des solutions concrètes pour conjuguer prise en compte de l’urgence climatique et association des personnes concernées à la résolution des problèmes que ça va leur poser, on n’avance pas. Donner à des citoyens tirés au sort la possibilité de se confronter concrètement à la construction de solutions, en prenant le temps de créer des accords sur les désaccords puis des manières de sortir par le haut des contradictions inhérentes à toute politique n’est donc pas du luxe ni un gaspillage de temps. C’est une négociation indispensable. Le faire directement avec des citoyens, sous le regard de l’opinion est une chance extraordinaire pour avancer réellement. Oui, cent fois oui, c’est la bonne méthode pour sortir des plans d’action qui ne proposent que des demi-mesures pour éviter de fâcher tout le monde et qui pourtant finissent par être abandonnés parce qu’ils ont malgré tout fâché tout le monde. Oui, cent fois oui, il faut perdre du temps pour en gagner et non l’inverse. L’urgence ne demande pas la précipitation. L’urgence commande l’opiniâtreté, la persévérance, la constance, la fortitude !
Que l’on se batte donc dans l’arène médiatique sur le RIP et le RIC pour que pendant ce temps puisse s’installer avec rigueur et enthousiasme une forme renouvelée d’action publique participative. Le cocktail proposé par le Président avec un tiers de Parlementarisme revigoré, un tiers de démocratie locale relancée, un tiers de pratiques démocratiques innovantes est sans doute amendable mais il est aussi utile qu’il n’est pas spectaculaire. J’ai souvent prôné le volontarisme modeste, je plébiscite (sic) les réformes discrètes.
PS: je suis invité par l’association Ecocampus ENS à participer au cycle « vers la grande Transition ? » lundi 13 mai de 20h30 à 22h30 pour évoquer le nouvel imaginaire démocratique nécessaire à la réussite de la transition. Pour s’inscrire, c’est ici … J’espère y voir tous les lecteurs parisiens disponibles pour continuer le dialogue de vive voix 🙂