J’entendais il y a quelques jours, sur France Inter, la femme d’un maire qui craignait pour la vie de son mari. Cet élu venait encore d’être menacé, cette fois avec une tronçonneuse. « Je ne tolère pas la moindre incivilité » disait-il à son intervieweuse, « Dès qu’il se passe quelque chose, renchérissait son adjointe, il me téléphone : allo Coco, y a ça, j’y vais ». Cette agression est inadmissible mais doit-on la mettre au cœur de l’actualité ? Bien sûr une agression qui touche une personne dévouée au bien commun (ce maire ici, des pompiers ailleurs,…) nous parait de ce fait encore plus insupportable ; mais encore une fois, doit-on se focaliser sur cette question comme on semble commencer à le faire, pris dans le tourbillon médiatique ?
Même en hausse, cette violence reste en effet – et heureusement – assez faible, le reportage n’évoquait que 361 agressions ou incivilités à l’égard des maires l’an dernier sur 35 000 maires d’après une étude du Ministère de l’Intérieur. Avec la focalisation sur la violence, on risque de ne chercher que des réponses sécuritaires qui ne traitent jamais le fond des problèmes. Ce qui est pour moi le plus dérangeant dans cette manière de rendre compte de la réalité, c’est ce qui est dit en creux : le maire victime est héroïsé. Le maire apparait ainsi comme un bon maire parce qu’il incarne l’autorité et parce qu’il est prêt au sacrifice. Il ne compte pas son temps, il peut être appelé jour et nuit, il est toujours sur le coup,… Le Maire, même familier, même proche des gens est et reste « hors du commun », il s’écrit avec une majuscule.
C’est cette sacralisation de l’élu, cette mise à part, qui pose problème et contribue paradoxalement à aggraver le blues des élus dont on parle (un maire sur deux envisage de ne pas se représenter en 2020 selon le Cevipof). Cette vision du rôle du maire rend en effet plus difficile le renouvellement des élus : dans le double sens du terme : renouvellement des équipes et renouvellement de la fonction. La fonction semble de plus en plus écrasante : on peut avoir le goût de la chose publique et ne pas vouloir sacrifier sa vie pour autant ! Difficile dans ces conditions d’attirer des jeunes actifs pour le renouvellement des équipes municipales. En conséquence les modalités d’exercice de la fonction ne se renouvellent pas non plus puisque l’éloignement des jeunes qui ne souscrivent pas à l’approche sacrificielle du rôle de l’élu conduit à conforter le modèle dominant du maire tout puissant, autoritaire et bienveillant.
Bien sûr mon propos est trop général et il y a des maires formidables qui savent réinventer la fonction. J’en ai rencontré ou approché quelques-uns dont Jean-François Caron maire de Loos en Gohelle ou Jo Spiegel maire de Kingersheim. Aujourd’hui c’est le maire de Langouët, Daniel Cueff qui fait parler de lui et c’est tant mieux. Ils ont, chacun dans son style, pratiqué une démocratie d’implication où les solutions pour répondre aux défis lancés par le maire sont coconstruites avec les habitants.
Mais dans notre inconscient collectif, le Maire reste un potentat local sympathique ou irritant suivant qu’on est d’accord ou non avec son orientation. Quand j’évoque parfois l’anomalie que constitue le fait qu’au plan local l’exécutif et le délibératif soient présidés par une seule et même personne, la plupart de mes interlocuteurs n’y trouvent rien à redire alors qu’ils tiqueraient quand même si le président de la République présidait aussi l’Assemblée nationale. Nous devons avoir conscience que notre modèle municipal ne correspond plus à l’état réel de la société. Nous avons pourtant tendance à nous y cramponner car seul Monsieur le Maire tire encore son épingle du jeu dans l’opinion des Français à l’égard de leurs représentants. Tout questionnement sur ce pilier républicain passe dès lors pour une agitation inopportune.
Trois raisons majeures me semblent pourtant conduire à revoir le modèle : le facteur humain que nous avons déjà évoqué, les choix technico-administratifs des dernières années et surtout les enjeux politiques auxquels nous devons faire face.
1- Je ne reviens que d’un mot sur le facteur humain. Comment permettre la relève face au blues des élus si l’on ne prend pas en compte les nouvelles modalités d’engagement de la génération qui vient ? L’équilibre de vie recherché par les jeunes même les plus engagés n’est pas compatible avec le modèle du maire actuel : trop de pression, trop de temps contraint, trop de violence dans la confrontation politique. Le cadre actuel conduit à deux absurdités, à deux gâchis : se priver de talents qui se sont révélé ailleurs (dans une scop, dans un mouvement citoyen, dans l’animation d’un tiers-lieu…) mais ne franchiront pas le pas de la vie politique locale pour incompatibilité avec leurs aspirations ; amener ceux qui acceptent de sauter le pas à se couler à leur corps défendant dans un modèle dépassé.
2- Les fusions de communes et surtout leur regroupement dans des intercommunalités toujours plus vastes rendent aussi, à terme, notre modèle intenable. On dit depuis des années qu’il faudrait élire les présidents d’intercommunalités au suffrage universel mais ce progrès serait sans doute insuffisant si l’on ne rénovait pas dans le même temps l’articulation des niveaux d’administration locale. Il y a aujourd’hui une dévitalisation absurde des communes au profit d’instances éloignées des citoyens, essentiellement gestionnaires. Il faut sans doute réfléchir à la coexistence de deux maires (et de deux conseils !) à deux échelles différentes, l’un en charge du quotidien au plus près des gens, l’autre au niveau du bassin de vie en charge de la préparation de l’avenir. Avec évidemment des instances de dialogue public entre les deux échelles pour maintenir l’équilibre entre ces deux dimensions de la vie et trouver des compromis créatifs et débattus là où aujourd’hui tout se passe en coulisses dans des logiques d’arrangements.
3- Il est enfin temps, pour conduire dans l’urgence une transition écologique sans précédent, de débattre du modèle de gouvernement local dont nous avons besoin (associant la double dimension du quotidien et de la préparation de l’avenir). Quel gouvernement local – j’emploie le terme de gouvernement à dessein pour dire qu’il ne s’agit plus d’administrer des services mais bien de choisir collectivement comment réorienter nos modes de vies – nous permettra de réussir à nous entendre pour engager les transformations majeures que nous avons à conduire (et que les Etats sont incapables de concevoir et de mener) ? Il n’est plus question de programme municipal à « appliquer » ou à « dérouler » comme si les élus et les services étaient là pour faire tout tous seuls. Plus ils feront en sorte que les gens puissent agir directement avec le soutien nécessaire, mieux les transitions seront ancrées dans les réalités de la vie. L’urgence commande à mettre de côté le modèle du maire « bâtisseur » pour passer au maire « entraîneur ». Nous avons tant à faire : transformer nos manières d’habiter, de nous déplacer, de nous alimenter, de nous soigner… Il s’agit à la fois de répondre aux envies d’agir déjà là et d’aller chercher les acteurs locaux qui se détournent de l’action collective ou la réinventent trop isolément : associations, collectifs d’habitants, entreprises, …Et bien sûr, parce qu’on n’a pas su globalement transformer l’énergie brute du mouvement des Gilets jaunes en implication locale, il est indispensable d’aller chercher les sceptiques, les déçus, les indifférents et pour cela de dépasser les pratiques actuelles de démocratie participative en inventant de nouvelles agoras, beaucoup plus inclusives. On sait que le « pouvoir de convocation » des élus est aujourd’hui loin du compte. Dans l’idée de gouvernement local, la question du rapport élus/acteurs du territoire est centrale.
Pour ma part je me suis engagé dans un travail collectif au sein de la coopérative d’entrepreneurs que j’ai rejointe (Oxalis) pour imaginer un parcours d’accompagnement des « élu.e.s du futur ». Je réfléchis aussi à une action citoyenne pour inciter à mettre en place un « contrat de gouvernement » entre citoyens et élus. Donc d’autres billets sur ce sujet crucial en perspective !
Pour conclure ce billet par mon point d’entrée – celui de la violence – je suis profondément convaincu que c’est en inventant ces nouveaux modes de gouvernement local, plus centrés sur les urgences de la transition, plus attentifs à articuler prise en compte du quotidien et préparation de l’avenir, moins focalisés sur le maire qu’on retrouvera de la sérénité. 2020 doit être l’occasion d’une révolution démocratique locale. Je me souviens des élections de 2001 qui avaient vu fleurir les listes citoyennes, sans efficacité réelle. Il ne s’agit pas seulement de remplacer des élus par d’autres, il s’agit d’abord de revoir la relation aux élus. Les citoyens peuvent (doivent ?) être actifs aussi en dehors du cadre électoral ! La question du « bon gouvernement » est notre question à tous.
Bien d’accord avec toi Hervé et c’est la raison pour laquelle je suis très engagée dans la démarche « municipaliste », avec le mouvement Utopia qui a créé un MOOC sur le sujet (« la commune est à nous »). Il y a aussi une autre façon d’agir à l’occasion des élections municipales et métropolitaines, c’est le Pacte pour la Transition, co-créé par 54 mouvements engagés, qui demande à chaque candidat de se positionner sur les 32 mesures de ce Pacte. On fait une réunion publique demain sur le sujet, à la maison de l’écologie à Lyon (19H)
Geneviève
Il existe un outil démocratique local ds 3 villes Paris Lyon et Marseille improprement appelé CI CA qui permet à tout responsable d’une association locale de s’inviter à son Conseil d’arrondissement et de lui présenter toute question proposition ou critique et d’en débattre avec lui hélas cet outil est mal compris par beaucoup d’associations et ainsi instrumentalise par les élus à leur profit démocratique disent ils
Et cet outil existe depuis 38 ans