Aznavour, un universel… particulier !

Ce papier m’a été inspiré par le télescopage à quelques minutes d’intervalle de deux hommages à Aznavour que je trouvais également vrais et apparemment contradictoires. S’en sont suivis des rapprochements hasardeux…

Rebecca Manzoni sur France Inter est sans doute la seule personne que j’aime écouter parler chanson à l’heure du petit déjeuner, alors que le sujet ne me passionne pas. Ce matin-là, bien sûr elle parle d’Aznavour, en commençant par une anecdote familiale pour bien ancrer son propos dans la vie, la vie du quotidien, celle des engueulades en voiture sur la route des vacances à propos des paroles d’une chanson d’Aznavour. Elle enchaîne en parlant d’une chanson de 1956 que je ne connaissais pas :

« Après l’amour », dont le début flamboyant laissait penser que la scène se déroulait dans une arène. Mais plus le morceau avançait, plus la pièce se rétrécissait jusqu’à zoomer sur un lit. […] Pourtant, Aznavour ne chante rien d’extraordinaire : des draps froissés, des corps lourds. Que du concret. Et c’était précisément ça, la révolution : parler de nos vies sans circonvolutions.

Ça fait déjà une journée entière que l’on déverse le flot de paroles convenues que l’on se croit obligé de proférer à chaque décès de célébrité mais là, je trouve que ça sonne juste. Alors, quand je déplie Le Monde au moment de partir prendre mon café et que je tombe sur l’appel de Une pour les pages d’hommage au chanteur, je suis d’abord agacé : « Charles Aznavour, l’universel ». Rien que ça ! Ils font dans le grandiloquent au Monde. Mais je chemine avec ça, en direction du café où j’ai mes habitudes : Aznavour entre quotidien et universel, me disant que ce n’est peut-être pas mal vu… si l’on joue avec l’oxymore de l’universel particulier. Continuer la lecture de « Aznavour, un universel… particulier ! »

Ce qui reste

Ce qui subsiste de nos œuvres, nous l’imaginons volontiers intangible à travers le temps. De l’art roman à Bardot, balade dans la réinterprétation permanente de « ce qui compte vraiment ». Loin des assignations identitaires…

Michel Pastoureau, l’historien de la couleur et médiéviste, note dans un livre consacré aux tympans des plus belles églises romanes (Conques, Aulnay, Autun, Vézelay,…) que les sculpteurs de ces œuvres qui ont traversé le temps étaient moins payés que les peintres qui les mettaient en couleur ! Avec notre regard d’humains du XXIème siècle cela nous semble incroyable. Ceux qui ont sculpté des jugements derniers aussi expressifs, qui ont imaginé ces bestiaires faits de sirènes, de dragons et de sagittaires, qui ont montré des chasseurs rôtis à la broche par des lapins, des moines montrant leur derrière, … avaient moins de valeur aux yeux de leurs commanditaires que ceux qui « se contentaient » de badigeonner l’ensemble de couleurs criardes ! Parce que c’est bien ça, « ce qui reste » 800 ans après : une valorisation de la sculpture romane et une méfiance à l’égard des couleurs qui seraient forcément l’équivalent de la colorisation des films en noir et blanc du début du XXème siècle. D’ailleurs les tentatives de reconstitution faites au XIXème siècle, par Viollet-le-Duc particulièrement, ont bien souvent été vues comme une Disneyisation avant l’heure.

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Irma, un autre récit est-il possible ?

Je ne veux pas sembler insensible au malheur mais on a besoin d’un autre récit de la catastrophe que celui ressassé en boucle. Un discours de résilience ancré dans la culture des îles.

Hier matin dans son billet, le 9 15, que je lis toujours avec intérêt (et aussi parfois un peu d’agacement !), Daniel Schneiderman parlait d’impossible récit à propos du cyclone Irma et de la situation qu’il laissait dans son sillage :

Deux récits de la situation s’opposent irréductiblement. Celui des envoyés spéciaux des medias institutionnels : l’ordre règne. Les autorités font face. Des centaines de milliers de bouteilles d’eau ont été distribuées. La gendarmerie patrouille. Entre les habitants eux-mêmes, la solidarité s’organise. […]

Et à l’inverse, colportés par les réseaux sociaux, des témoignages de l’enfer : magasins et domiciles pillés ; des milices de surveillance et d’autodéfense ; des centaines de morts, la traditionnelle peinture post-apocalyptique.

Même si la plupart des commentateurs ne parlent plus de catastrophe (seulement) naturelle et évoquent justement notre responsabilité collective dans le désastre (concentration des populations en zones littorales, artificialisation des sols pour le développement touristique,…), dans tous les cas on en reste à une lecture purement apocalyptique du cyclone. Continuer la lecture de « Irma, un autre récit est-il possible ? »