Arrêter les embrassades ?!

Un détail bien sûr par rapport à toutes les questions que posent l’épidémie, par rapport à la douleur de certains et aux efforts de beaucoup, et pourtant sans doute significatif d’un manque d’empathie

Je n’en peux plus d’entendre cette consigne, entre les saluts sans serrage de mains et les mouchoirs à usage unique. J’aimerais connaître le communicant qui a produit ces messages d’alerte au coronavirus ! comment a-t-on pu choisir cette expression : arrêter les embrassades ! D’autant plus que cette consigne vient tout de suite après un évident et neutre : saluer sans se serrer la main. Pour éviter les bisous contagieux, on aurait pu préciser : saluer sans contact physique ou saluer sans se serrer la main ou s’embrasser. Quelqu’un a jugé bon de rajouter cet arrêt des embrassades qui sonne bizarre à nos oreilles. Ça ne fait pas consigne médicale. Quand j’entends : arrêter les embrassades, je me remémore le plaintif et exaspéré « je vous demande de vous arrêter ! » de Balladur après son échec électoral. « Arrêêêteeeeeuhh », c’est aussi la supplication enfantine du gamin qui n’en peux plus d’être chatouillé. Mais c’est surtout une attente morale qu’on ne retrouve pas dans les consignes précédentes. Celles-ci sont exprimées en positif : éternuer, tousser, saluer dans la merveilleuse langue administrative qui fait d’un verbe à l’infinitif un impératif catégorique ! Continuer la lecture de « Arrêter les embrassades ?! »

Sortir du dilemme du prisonnier

Retour, à froid, sur la crise de confiance entre politique et société, que traduit la démission d’Hulot… et sur la manière d’en sortir !

La démission de Nicolas Hulot nous a fait voir le gâchis incroyable de temps et d’énergie qu’entraîne la crise de confiance entre politique et société. Le dilemme du prisonnier, on le sait, caractérise une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre eux, chacun choisira de trahir l’autre comme un moindre mal. Nous en sommes là. La société et les politiques ont intérêt à coopérer pour faire face au péril écologique mais chacun, pensant que l’autre n’a pas pris la mesure de l’enjeu, choisit d’agir seul sans « l’autre camp » en annihilant ce faisant toute chance de réussite.

Les responsables politiques, ne se fiant qu’aux sondages qui ne reflètent pas la réalité d’une société en mouvement mais une opinion figée à un instant t, n’osent pas entreprendre de réformes AVEC la société. L’exemple emblématique est la question agricole et alimentaire. Tout était réuni pour engager à l’issue des états généraux la transition vers l’agroécologie mais le gouvernement a reculé par crainte de mécontenter les agriculteurs et les chimistes alors que c’était le moyen de les réconcilier avec la société en essaimant en 5 ans les  solutions déjà construites ou proches de l’être chez les industriels, chez les agriculteurs, les distributeurs, les ONG et les consommateurs.

A l’inverse on assiste à un mouvement sympathique dans la société pour « prendre le relais » de Nicolas Hulot. Puisque le politique démissionne, « missionnons-nous », faisons sans le politique. Ce mouvement a un certain écho : des pétitions et des tribunes circulent, des manifestations s’organisent et pourraient s’installer dans la durée… Depuis plusieurs années déjà une kyrielle d’initiatives de toute nature voit le jour. Dans le domaine déjà évoqué de l’agriculture et de l’alimentation, celle ayant eu sans doute le plus d’écho en moins de dix ans est celle des AMAP introduisant un rapport direct entre consommateurs et agriculteurs en popularisant les circuits courts qui s’est développée hors de toute politique publique.

Politique des petits pas sans mobilisation des acteurs sociaux d’un côté, initiatives sociales isolées et s’enfermant de plus en plus dans la défiance ou l’indifférence à l’égard des politiques semblent aux « joueurs » la seule solution réaliste et pourtant, selon la théorie des jeux, ils sont en train de perdre l’un et l’autre. Continuer la lecture de « Sortir du dilemme du prisonnier »

une architecture hors du commun

Le titre de ce billet peut laisser penser que je porte aux nues une réalisation architecturale… Vous comprendrez en lisant le texte qu’il n’en est rien. Hélas, j’utilise l’expression « hors du commun » au premier degré !

Je n’avais pas vu le pavillon France de l’exposition universelle de Milan. Je n’avais entendu que des bribes plutôt positives sur l’agence d’architecture très Développement Durable. Mon a priori était donc plutôt positif… même si je trouve quand même bizarre de consacrer 90 % du budget du pavillon français au contenant et 10 % seulement au contenu. Mais un bâtiment peut faire sens, je ne vais pas dire  le contraire, avec une femme qui travaille depuis des années sur le  bâtiment public comme média politique !

pavillon-france-expo-universelle-milan-2015Le-Cube-orange-a-la-ConfluenceDonc je n’avais pas vu ce bâtiment  quand je suis tombé sur une  photo dans l’Obs du 30 avril qui me pousse à écrire ce billet, moi qui n’ai aucune compétence en architecture. Je suis simplement  frappé par une évidence : j’ai déjà vu ce bâtiment ! on l’a décrit comme un bâtiment en bois  aux panneaux entrecroisés revisitant les principe des halles de Baltard… Ce  que je  vois est très différent. Je vois une vaste boîte, un  parallépipède sans toit ni portes et fenêtres, évidé de quelques trous comme un gros morceau de gruyère – ou plutôt d’emmental puisque le vrai gruyère n’a  pas de trous (photo de  gauche). Et cette forme, je l’ai vue déjà à plusieurs reprises dans le quartier branché de la Confluence à  Lyon. Notamment avec le Cube orange (photo de droite).

 

Bâtiment_Confluence_Conseil_Régional_LyonUne variante de cette forme est fournie par le conseil régional de Rhône-Alpes dessiné par Portzemparc  qu’on connut mieux inspiré, toujours à la Confluence.  Là le fromage n’est pas troué, il est simplement évidé et vitré dans sa partie creuse. Le paralépipède  est intact. Variante encore, beaucoup plus belle celle là, c’est le « parallépipède emballé »,avec  le MuCEM de Marseille, la résille qui le recouvre mettant en scène  magnifiquement le paysage de la baie de Marseille.

Que nous dit cette architecture de hangars qui fait rentrer en centre-ville la forme pourtant honnie des grandes surfaces des zones commerciales ? Elle  est pour moi d’abord un refus du commun. Pas au sens du sans valeur, du vulgaire, mais au sens politique du partagé par tout un chacun. ??????????????????????????????????????????????????????????????????????Que dessinent les  enfants spontanément comme maison ? même  ceux qui habitent en immeuble, dessinent la plupart du temps une maison avec un toit, des fenêtres et une porte. Souvent cette porte est prolongée par un chemin d’accès qui montre que la maison est reliée au monde, que son accès est visible et important puisqu’on prend la peine de l’ajouter comme faisant partie naturellement de « la maison ». Cette architecture à la mode refuse ce commun-là : pas  de toit ni de de porte visibles et accueillants. Les « trous » ne marquent pas les portes, ce ne sont que des accidents dans la façade, des animations. Longtemps, on a animé sur les façades, les portes  et les toits, ces symboles essentiels de l’architecture, le toit comme abri, la porte comme seuil.

Beaucoup de critiques ont déjà été faites à l’architecture-star. Je ne suis pas ici sur ce registre. On sait que l’architecture starifiée conduit déjà à de graves dérives : le refus du contexte, l’absolutisation du geste architectural comme celui d’un artiste (cf. le combat que Jean Nouvel a lancé  contre la philharmonie de Paris qui ne respecterait  pas son œuvre). Je ne relève pas ici la  mégalomanie des architectes, elle est ancienne. Je veux pointer leur « désymbolisation » de l’architecture. Le symbole n’est pas  quelque chose dont on s’affranchit à la légère. C’est étymologiquement ce qui nous « jette ensemble » (syn bolein) opposé à ce qui nous divise, nous jette en tous sens (dia bolein). Eh oui, l’opposé du symbolique, c’est le diabolique, on l’oublie trop dans nos sociétés sécularisées !

Que nous dit la focalisation actuelle sur les façades, sur « la peau » des bâtiments ? Beaucoup d’archis nous disent que c’est la respiration du dedans et du dehors. C’est vrai que, comme la membrane d’une cellule, la façade protège du dehors et, de plus en plus, grâce aux transparences, aux porosités, communique avec l’extérieur. Symboliquement pourtant cette communication est la plupart du temps à sens unique, de l’intérieur vers l’extérieur et non de l’extérieur vers l’intérieur. Même sans ces horribles verres-miroir qui ont recouvert les  tours depuis  des décennies, la transparence du verre n’empêche pas les reflets !

Le Conseil Régional Rhône-Alpes  qui devait être ouvert sur la ville  grâce à ses grandes surfaces vitrées, ne l’est en fait pas vraiment. On voit plus la ville se refléter sur la façade que la rue intérieure du bâtiment. De même, la résille du MuCEM fait un superbe moucharabié de l’intérieur mais ressemble à une cotte de mailles à l’extérieur. L’idéologie du dedans-dehors masque en fait une aggravation de la séparation entre le dedans et le dehors, puisque la transparence et la porosité ne  sont en fait qu’au bénéfice de ceux qui sont dedans. Le principe affiché de communication et d’ouverture se traduit par une réalité bien différente, faite de fermeture et d’entre-soi.

J’avais fait il y a quelques années une comparaison entre la burqa et les vitres fumées des voitures, deux signes d’une même privatisation de l’espace public, de refus d’être avec les  autres alors même qu’on est de fait avec les autres dehors dans la ville.  Je trouve regrettable qu’une certaine mode en architecture contribue aussi à cette séparation, à ce refus de fait du commun.