Le titre de ce billet peut laisser penser que je porte aux nues une réalisation architecturale… Vous comprendrez en lisant le texte qu’il n’en est rien. Hélas, j’utilise l’expression « hors du commun » au premier degré !
Je n’avais pas vu le pavillon France de l’exposition universelle de Milan. Je n’avais entendu que des bribes plutôt positives sur l’agence d’architecture très Développement Durable. Mon a priori était donc plutôt positif… même si je trouve quand même bizarre de consacrer 90 % du budget du pavillon français au contenant et 10 % seulement au contenu. Mais un bâtiment peut faire sens, je ne vais pas dire le contraire, avec une femme qui travaille depuis des années sur le bâtiment public comme média politique !
Donc je n’avais pas vu ce bâtiment quand je suis tombé sur une photo dans l’Obs du 30 avril qui me pousse à écrire ce billet, moi qui n’ai aucune compétence en architecture. Je suis simplement frappé par une évidence : j’ai déjà vu ce bâtiment ! on l’a décrit comme un bâtiment en bois aux panneaux entrecroisés revisitant les principe des halles de Baltard… Ce que je vois est très différent. Je vois une vaste boîte, un parallépipède sans toit ni portes et fenêtres, évidé de quelques trous comme un gros morceau de gruyère – ou plutôt d’emmental puisque le vrai gruyère n’a pas de trous (photo de gauche). Et cette forme, je l’ai vue déjà à plusieurs reprises dans le quartier branché de la Confluence à Lyon. Notamment avec le Cube orange (photo de droite).
Une variante de cette forme est fournie par le conseil régional de Rhône-Alpes dessiné par Portzemparc qu’on connut mieux inspiré, toujours à la Confluence. Là le fromage n’est pas troué, il est simplement évidé et vitré dans sa partie creuse. Le paralépipède est intact. Variante encore, beaucoup plus belle celle là, c’est le « parallépipède emballé »,avec le MuCEM de Marseille, la résille qui le recouvre mettant en scène magnifiquement le paysage de la baie de Marseille.
Que nous dit cette architecture de hangars qui fait rentrer en centre-ville la forme pourtant honnie des grandes surfaces des zones commerciales ? Elle est pour moi d’abord un refus du commun. Pas au sens du sans valeur, du vulgaire, mais au sens politique du partagé par tout un chacun. Que dessinent les enfants spontanément comme maison ? même ceux qui habitent en immeuble, dessinent la plupart du temps une maison avec un toit, des fenêtres et une porte. Souvent cette porte est prolongée par un chemin d’accès qui montre que la maison est reliée au monde, que son accès est visible et important puisqu’on prend la peine de l’ajouter comme faisant partie naturellement de « la maison ». Cette architecture à la mode refuse ce commun-là : pas de toit ni de de porte visibles et accueillants. Les « trous » ne marquent pas les portes, ce ne sont que des accidents dans la façade, des animations. Longtemps, on a animé sur les façades, les portes et les toits, ces symboles essentiels de l’architecture, le toit comme abri, la porte comme seuil.
Beaucoup de critiques ont déjà été faites à l’architecture-star. Je ne suis pas ici sur ce registre. On sait que l’architecture starifiée conduit déjà à de graves dérives : le refus du contexte, l’absolutisation du geste architectural comme celui d’un artiste (cf. le combat que Jean Nouvel a lancé contre la philharmonie de Paris qui ne respecterait pas son œuvre). Je ne relève pas ici la mégalomanie des architectes, elle est ancienne. Je veux pointer leur « désymbolisation » de l’architecture. Le symbole n’est pas quelque chose dont on s’affranchit à la légère. C’est étymologiquement ce qui nous « jette ensemble » (syn bolein) opposé à ce qui nous divise, nous jette en tous sens (dia bolein). Eh oui, l’opposé du symbolique, c’est le diabolique, on l’oublie trop dans nos sociétés sécularisées !
Que nous dit la focalisation actuelle sur les façades, sur « la peau » des bâtiments ? Beaucoup d’archis nous disent que c’est la respiration du dedans et du dehors. C’est vrai que, comme la membrane d’une cellule, la façade protège du dehors et, de plus en plus, grâce aux transparences, aux porosités, communique avec l’extérieur. Symboliquement pourtant cette communication est la plupart du temps à sens unique, de l’intérieur vers l’extérieur et non de l’extérieur vers l’intérieur. Même sans ces horribles verres-miroir qui ont recouvert les tours depuis des décennies, la transparence du verre n’empêche pas les reflets !
Le Conseil Régional Rhône-Alpes qui devait être ouvert sur la ville grâce à ses grandes surfaces vitrées, ne l’est en fait pas vraiment. On voit plus la ville se refléter sur la façade que la rue intérieure du bâtiment. De même, la résille du MuCEM fait un superbe moucharabié de l’intérieur mais ressemble à une cotte de mailles à l’extérieur. L’idéologie du dedans-dehors masque en fait une aggravation de la séparation entre le dedans et le dehors, puisque la transparence et la porosité ne sont en fait qu’au bénéfice de ceux qui sont dedans. Le principe affiché de communication et d’ouverture se traduit par une réalité bien différente, faite de fermeture et d’entre-soi.
J’avais fait il y a quelques années une comparaison entre la burqa et les vitres fumées des voitures, deux signes d’une même privatisation de l’espace public, de refus d’être avec les autres alors même qu’on est de fait avec les autres dehors dans la ville. Je trouve regrettable qu’une certaine mode en architecture contribue aussi à cette séparation, à ce refus de fait du commun.