Gentillesse

J’allais commencer un billet sur « comment on change le monde ? ». Je voulais revenir sur les Débats du DD (à Synergence, nous accompagnons McDonald’s France dans la mise en place de ce colloque avec Le Monde). Le thème de cette année était justement « entreprendre autrement…. Pour changer le monde ! ». Je regardais les vidéos des jeunes entrepreneurs, et je trouvais qu’ils avaient tous un air  de famille, la famille des enthousiastes déterminés. Je repensais à la rencontre organisée par la FING à la  CNDP où Laurence Monnoyer-Smith disait avec véhémence et justesse que les ZADistes en prétendant changer le monde, confortaient les plus conservateurs parce qu’ils ne laissaient aucune place au compromis.

Je commençais à réfléchir à la nécessité d’un pragmatisme radical… et puis j’ai eu envie de dire autre chose. Peut-être le temps de Noël, peut-être parce  que j’ai rappelé récemment ma croyance que la nouvelle promesse démocratique était sans doute : « le bonheur de se relier », peu importe ! En fait j’ai envie de parler de la gentillesse, de l’énergie incroyable qu’elle permet de faire circuler.

J’ai l’impression de la rencontrer souvent en ce moment. Attention, je ne dis pas que les gens que je rencontre sont gentils, je n’en sais rien ! Je dis qu’ils se comportent gentiment, c’est très différent. La gentillesse est une relation, pas un attribut ! On voit souvent aujourd’hui dans la  gentillesse une forme de soumission, de servilité. Moi je préfère y voir ce qu’évoque le terme de « gentilhomme » : une forme de noblesse. La noblesse de l’accueil.

La gentillesse c’est, pour moi, l’accueil de l’autre dans son potentiel. Je ne parle pas de l’accueil de ceux qui en fait n’engagent aucune relation, qui vous reçoivent mais pour parler d’eux et de leurs œuvres ! Pas non plus de ceux qui vous jugent et vous attribuent une place en fonction de ce qu’ils ont immédiatement perçu de vous. Tant mieux si vous êtes naturellement rayonnant et tant pis si vous êtes plus secret, l’accueil qui vous est réservé n’ira pas jusqu’à prendre le temps de vous découvrir ! Je déteste particulièrement ce que j’appellerais l’accueil éteignoir : cette (fausse) bienveillance qui sous prétexte de vous être agréable vous éteint sous le poids d’une démonstration d’amitié qui reste à la surface des choses. Accueillir, c’est s’intéresser au potentiel de l’autre. Pas ce qu’il exprime spontanément, plutôt ce qu’on sent qu’il pourrait exprimer si on prend le temps de le laisser se déployer ! Et c’est très différent. Cela suppose d’accepter une relation vraie et donc incertaine, changeante. Cela suppose d’accepter de suspendre son jugement à une époque médiatique où la première impression est la seule possible puisqu’on n’aura pas le temps d’une deuxième impression.

Je parlais de l’énergie que la gentillesse permet de faire circuler. Ça peut sembler un peu étonnant tant nous sommes habitués à la gentillesse mièvre. La gentillesse accueillante est bien évidemment source d’une énergie incroyable puisqu’elle ouvre de nouveaux horizons, amène de nouvelles rencontres. La gentillesse, c’est ce moment où l’on brûle de dire quelque chose et où on prend pourtant le temps de laisser l’autre s’exprimer car on est confiant à la fois dans l’intérêt de ce que l’on va entendre de la bouche de l’autre et dans la capacité qu’on aura ensuite d’intégrer ce qu’on a accepté de ne pas dire dans la suite de l’échange. Il y a alors une  forme de tension joyeuse, d’appétence pour le moment vécu qui recharge les batteries pour tous les moments (ils sont hélas fréquents) où la communication est bien davantage vécue comme une lutte.

Pour revenir au sujet sur lequel j’imaginais écrire – changer le monde – je crois fermement que la gentillesse est un ferment de transformation beaucoup plus radical que celui de la lutte intransigeante des radicaux autoproclamés. Combien de révolutions se sont ainsi révélées illusoires en ne changeant que les possesseurs du pouvoir et pas les attitudes. La gentillesse est peut-être la « vraie » révolution, simplement parce qu’elle lie étroitement transformation personnelle et transformation sociale. J’ai le sentiment que la génération qui monte est mieux éduquée à la gentillesse ! Dans le même ordre d’idée, Jeremy Rifkin, entraperçu hier dans une émission, disait que les jeunes étaient très nombreux à pratiquer spontanément l’économie collaborative et que ça changeait tout pour l’économie des années à venir.

Allez, un peu d’espoir ! C’est ma contribution à l’esprit de Noël !

PS / entendue ce matin sur France Inter dans la bouche de Dominique Seux, l’éditorialiste économique si souvent platement libéral, une phrase qui le surprenait lui-même puisqu’il trouvait sa chronique « un peu bizarre » :

Ce sont les interactions, les échanges qui font avancer les personnes, on n’avance plus seul… ces vacances de Noël sont l’occasion d’interactions différentes, de découvrir des idées nouvelles d’une belle-sœur, d’un cousin éloigné… alors n’hésitons pas pendant ces fêtes à parler un peu boulot, projet, politique, économie…