Avec Jean-Pierre Worms

Quelques mots sur un compagnonnage… qui s’interrompt un peu trop brutalement

Jean-Pierre Worms est mort hier et j’ai de la peine à le croire. J’ai aussi de la peine, tout court. La dernière fois que je l’ai eu au téléphone, j’avais bien senti que la maladie progressait incroyablement vite ; Jean-Pierre pour la première fois laissait transparaître sa fatigue. En raccrochant, alors qu’il venait de me dire qu’il ne remarcherait sans doute pas, je comprenais qu’en fait sa vie allait s’interrompre. Lors de notre dernier déjeuner en avril, juste avant qu’il découvre sa maladie (il n’avait alors qu’un problème de hanche qu’il espérait résoudre par une « simple » intervention chirurgicale), il était comme je le connaissais depuis près de 20 ans : enthousiaste et projeté vers l’avenir. Depuis déjà quelques années, tout ce qu’il entreprenait était placé sous le signe de l’urgence. Les transformations en cours n’allaient pas assez vite et les logiques mortifères de l’hubris risquaient de compromettre l’avenir. Il recherchait toutes les initiatives qui pouvaient accélérer les transformations. Jean-Pierre a été fauché en plein élan, c’est sans doute ce qui est le plus dur. Bien sûr, il allait avoir 85 ans mais il n’était pas en fin de vie, tourné vers un passé qu’il aurait pu regarder avec la satisfaction du devoir accompli, Il était encore et toujours de tous les combats, nous poussant à agir, saluant les avancées, alertant sur les risques. Récemment, il me confiait avoir 10 ans devant lui pour agir, heureux de ne pas avoir trop de soucis de santé et encore assez d’énergie pour accompagner les initiatives qui lui paraissaient aller dans le bon sens.

Ce blog, c’était un peu celui de Jean-Pierre. J’ai découvert en préparant ce billet que je l’ai mentionné 12 fois, que nous avons co-écrit au moins deux textes et que j’ai publié un papier de lui, justement consacré à l’urgence d’agir. Il me disait souvent que j’étais un peu sa plume, lui qui (prétendait-il) avait du mal avec l’écrit. J’avoue en avoir toujours été très fier et j’étais toujours heureux comme un gamin quand il faisait un commentaire élogieux (il n’en était pas avare et bien sûr pas qu’avec moi !). J’y étais d’autant plus sensible que vers la fin des années 90, j’avais lu un article de lui sans le connaître encore dont je m’étais dit que j’aurais pu l’écrire, mot pour mot. Cette sensation, je ne l’ai eue qu’une fois à ce point. Ma première rencontre avec Jean-Pierre a donc été écrite… et puissante. J’ai aussi un souvenir très vif de la manière dont nous nous sommes rencontrés. Didier Livio avec qui je travaille, me hèle à au moins trois ou quatre cases de marelle du bureau où je suis installé (les bureaux de Synergence sont à l’époque installés dans un ancien atelier tout en longueur du passage du cheval blanc à la Bastille ; sur toute la longueur un tapis s’étend devant les verrières et une immense marelle y a été dessinée). « Au fait, il faut que je te parle d’un projet qui devrait t’intéresser, le Laboratoire du futur, c’est Jean-Pierre Worms qui s’en occupe. Tu le connais ? » J’ai évidemment sauté sur l’occasion de voir en vrai ce sociologue dont je me sentais si proche sans le connaître ! Et je l’ai rencontré à une réunion du Labo et les choses se sont enchaînées naturellement. Jean-Pierre a tout de suite cru au projet des Ateliers de la Citoyenneté et l’a accompagné. Nous ne nous sommes plus quittés même quand nous passions plusieurs mois sans nous voir.

Je vous invite à relire ce texte de lui. Son urgence est toujours actuelle et il n’est plus là pour nous pousser à l’action. Nous devons donc prendre le relais.

https://www.persopolitique.fr/993/urgence-de-la-transition-necessite-de-sa-mise-en-oeuvre/

 

 

Deux initiatives pour une sortie de crise à la hauteur de l’enjeu

Deux initiatives dans les réseaux auxquels je participe me semblent importantes et porteuses de solutions plus élaborées et plus justes que celles que le Premier ministre puis le Président de la République ont proposées.

Pourquoi chercher des alternatives aux propositions de l’exécutif ? Celles-ci pourront peut-être éviter l’embrasement mais elles ne donnent pas de réelles perspectives de solidarité dans la durée et de démocratie « permanente » (selon l’expression employée un temps par … Alain Juppé !). J’espère qu’elles seront suffisantes pour éviter les violences mais il serait illusoire de penser qu’elles peuvent, à elles seules, résoudre la crise de notre système social et politique dont le Président n’a, semble-t-il, pas encore compris la nature. L’incapacité qu’il a manifesté à lier dans les solutions qu’il proposait justice sociale et transition écologique est frappante. Exit le dérèglement climatique, renvoyé à des jours meilleurs !

Les deux textes ci-dessous ont l’intérêt de mettre en avant une solidarité entre les plus riches et les plus pauvres plutôt qu’une simple aide temporaire à quelques catégories ciblées de la population (salariés au SMIC et retraités) et surtout de proposer des pratiques démocratiques nouvelles permettant une participation des citoyens allant au-delà du simple vote aux élections, quand nos dirigeants ne proposent qu’un « grand débat » sur une multitude de sujets sans lien entre eux (on doit y parler aussi des questions d’identité nationale !) et sans méthode qui rende possible un débouché concret. Continuer la lecture de « Deux initiatives pour une sortie de crise à la hauteur de l’enjeu »

Beltrame, héros ou saint ?

J’espère que mon papier sera compris. Il me semble important par la distinction qu’il opère et par l’appel qui le conclut.

Comme chacun sans doute, l’hommage rendu au lieutenant-colonel Beltrame m’a ému. Je garderai en tête cette image du cortège semblant flotter sur l’eau, corbillard et motos se reflétant dans le miroir parfait de la chaussée détrempée par une pluie tenace.

Pourtant le malaise qui m’accompagne depuis le début de l’héroïsation du geste de ce gendarme ne m’a pas quitté. Oui cet homme est admirable. Son geste comme le disait Comte-Sponville dans Le Monde est plus encore que courageux, il est la générosité même puisque c’est une vie donnée pour sauver une vie. Ni le geste, ni l’homme qui l’a accompli ne sont en cause dans mon malaise. Mon admiration est totale. Alors quoi ? Pourquoi je ne vibre pas à l’unisson de tous ceux qui célèbrent un « héros français » ? Je ne suis pas antimilitariste comme cet homme qui s’est réjoui de la mort du gendarme. Je ne suis pas gêné que cet homme ait pu agir au nom de sa foi puisque je la partage. Je suis heureux qu’un Français montre des qualités humaines dont on puisse être fier. Mais je ne pense pas pour autant qu’il faille en faire un héros national. C’est pour moi plus un saint qu’un héros. Un saint, c’est celui qui suit l’exemple donné par le Christ en aimant jusqu’au don de sa vie. Pour moi Beltrame n’a pas fait un acte nécessaire à l’ordre public, il a fait preuve d’un exceptionnel altruisme ; il a agi moins en gendarme (tout le monde a reconnu que son acte n’était pas nécessité par sa fonction) qu’en homme et en chrétien solidaire d’une personne qu’il a voulu sauver. Un héros, c’est autre chose pour moi, c’est quelqu’un qui s’inscrit dans la construction d’un projet collectif, national ou non, quelqu’un qui participe d’une œuvre commune.

Je crains que cette héroïsation soit dictée par deux mauvaises raisons et qu’elle risque de renforcer nos fractures en ne solidarisant qu’une partie de la population de notre pays. Pour moi, on a trop appuyé sur le fait qu’il était soldat, français et chrétien comme si on retrouvait enfin le socle national alliant Eglise et Armée dans la même défense d’une identité française menacée. Cette vision obsidionale de la France m’attriste. La France, je l’aime, ouverte, diverse et impertinente. Cette insistance à dire qu’il est bien Français laisse entendre en contrepoint (mais bien sûr sans le dire ouvertement) qu’être blanc, catholique et défenseur de l’ordre public, c’est la France de référence, celle dont on doit être fier (exclusivement ?). 

L’autre élément de cette héroïsation c’est cette « guerre au terrorisme » dont j’ai déjà eu ici l’occasion de me distancier. J’ai relu 3 malaises face à la guerre, je le signe encore aujourd’hui. Faire du lieutenant-colonel Beltrame un héros renforce encore cette idée que nous sommes en guerre et que son geste est un fait d’arme dans un combat guerrier. Qui peut croire sérieusement que ce jeune délinquant abruti était un combattant ? Encore une fois nous créons nous-mêmes nos ennemis en leur donnant autant d’importance. Ils n’existent que par l’écho médiatique qu’ils suscitent. La réalité de leur action concrète relève du fait divers sordide. Ce sont des criminels plus que des terroristes. Il faut évidemment protéger au mieux la population, repérer en amont ceux qui risquent de passer à l’acte mais pas au prix de notre liberté, de notre dignité.

Si donc je pense que Beltrame est plus un saint qu’un héros, qui peuvent être aujourd’hui nos héros ? … car je crois aussi que nous avons besoin de figures qui orientent notre projet national et donnent envie d’y participer. Beltrame, en tant que « saint », nous aide à discerner quelle valeur nous donnons à la vie, et c’est essentiel ; mais qui peut nous aider, par son exemple, à construire une Nation dont nous soyons fiers et surtout que nous aurions envie de contribuer à construire ? (Car une Nation, ce n’est pas seulement un passé qu’on admire et qu’on protège, c’est un futur qu’on prépare par ses propres engagements).

J’aimerais que nous prenions tous la plume pour dire nos « héros d’aujourd’hui », ceux qui nous inspirent et nous font avancer. Allez, je me lance ! Je sais qu’il va trouver le qualificatif lourd à porter mais tant pis, pour moi, Jean-Pierre Worms est un « héros d’aujourd’hui ». Par son combat au service de la justice à l’égard des plus pauvres, des oubliés, par sa capacité à prendre des initiatives qui marquent (France Initiative pour le développement local, le collectif Pouvoir d’agir pour la reconnaissance de l’empowerment,…), par sa capacité à mener ensemble 3 vies, celle de chercheur, d’homme politique et de responsable associatif, par ses qualités humaines de disponibilité, d’enthousiasme, d’entraînement et de modestie. Je pourrais continuer mais je ne fais pas un éloge funèbre ; Jean-Pierre est heureusement bien vivant, étonnant jeune homme qui a dépassé 80 ans !

Et si nous faisions collectivement cet exercice d’admiration ? Une page Facebook des « héros d’aujourd’hui » ? Si vous êtes prêts à l’alimenter, chers lecteurs, je suis prêt à la créer. Chiche ? Christine tu te lances ?