Notre-Dame

Nous n’avons pas vu s’écrouler un bâtiment religieux, pas même un monument ni une pièce majeure de notre patrimoine. Nous avons été bouleversés et nous avons retenu notre souffle pour Notre-Dame de Paris. L’émotion planétaire instantanée n’a jusqu’ici concerné que le décès de stars de la chanson comme Mickael Jackson ou les victimes des attentats les plus symboliques. Imaginons un instant que Saint-Pierre de Rome ait été la proie des flammes. Les journaux auraient mis l’info à la Une mais je suis certain que l’émotion aurait été moins vive. On l’a entendu sur tous les plateaux de télé, Notre-Dame n’est pas seulement une cathédrale, c’est un personnage de notre imaginaire commun grâce à Victor Hugo et à Viollet-le-Duc mais aussi à Walt Disney ou à Luc Plamandon. Et, je crois, aussi grâce à son nom : Notre-Dame, et non Sainte-Marie. La distinction due aux saints passe ici pour les chrétiens par le terme de Dame, le mot employé au Moyen-Age pour marquer la noblesse d’une femme. Gente Dame. Mais cette noblesse n’est pas une mise à distance, elle est associée au possessif Notre qui marque un attachement affectif partagé, une familiarité. Noble et familière, telle resurgit Notre-Dame, personnage immémorial de Paris qu’on laissait la plupart du temps aux touristes mais vers laquelle immanquablement on tournait le regard dès qu’on traversait la Seine. Elle était là et ça nous suffisait. Nous rassurait. Cette fonction pacifiante, tellement précieuse, nous la perdons pour longtemps. Nos regards se tourneront toujours vers elle mais notre cœur se serrera en la voyant défigurée. Il faudra aller chercher la paix plus profondément, elle ne sera plus offerte à tous comme une évidence. Cette perte-là, nous n’en voyons pas encore toute la portée mais dans une ville aussi stressante que Paris, elle est sans doute durable.

Avec l’incendie de Notre-Dame, nous comprenons encore mieux comment, nous humains, nous vivons avec des êtres de chair et de sang mais aussi avec des êtres de souvenirs et de récits tout aussi réels les uns que les autres. Nous savons depuis toujours que nous sommes une « espèce fabulatrice » comme le dit Nancy Huston. Nous le comprenons toujours mieux, jusqu’à renoncer à parler de virtuel pour tout ce qui est numérique et ô combien réel. Nous intégrons à la famille humaine, par des familiarités qui n’ont plus rien à voir avec les limites de nos proximités physiques, des stars que nous ne fréquentons que par leur musique ou les pixels de nos écrans, des « personnifications» comme Notre-Dame, … Ce brouillage des frontières, ces familiarités fictives nous apparaissent souvent ridicules et exaspérantes mais, parfois, bouleversantes et vraies.  Les larmes de désespoir pour un chanteur mort, les millions promis pour un monument détruit peuvent sembler hors de toute mesure, contraster avec notre indifférence ordinaire aux besoins de nos semblables, mais elles sont aussi le signe de notre humanité, humanité à la recherche (parfois erratique) de ce qui à la fois la dépasse et lui est en même temps extrêmement, intimement personnelle.

Critiquer rationnellement cette débauche d’émotion, cette « synchronisation fictive » est vain. En revanche nous pouvons une fois de plus tenter d’œuvrer pour que cette communion forcément éphémère nous ouvre de nouvelles perspectives de solidarité. Il me semble que contrairement à 2015, l’année des attentats, nous avons aujourd’hui des combats amorcés vers lesquels reverser notre soif de fraternité. Une part non négligeable de la jeunesse qui a eu la chance de faire des études longues est aujourd’hui en mouvement. Des projets enthousiasmants voient le jour, je l’évoquais dans un précédent papier.

 

Centre

Du centre-ville au centre commercial en passant par l’hypercentre, un petit tour autour du centre !

Une notation entre parenthèse dans un texte de Christian Bobin[1] à propos d’un pont du Creusot censé mener au « centre-ville » : il n’y a pas plus de centre ici que dans tout l’univers. Je pense immédiatement à ces panneaux « centre-ville » que l’on suivait dans le monde d’avant le GPS. Il y a toujours un moment où ces panneaux disparaissent sans qu’il y ait eu une indication formelle du fait qu’on était arrivé au centre-ville. Celui-ci est censé se reconnaitre spontanément. Le centre est ainsi plus une destination recherchée qu’un lieu affirmé. Parfois le centre-ville  d’une banlieue pouvait se dépasser sans qu’on y prenne garde et on trouvait de nouveaux panneaux indiquant toujours « centre-ville » mais cette fois dirigés vers le centre de la ville centre. Il n’est pas étonnant que le flou de la notion de « centre » ou son caractère extensif ait conduit les urbanistes à parler d’hypercentre, notion pour le moins incongrue pour la géométrie !

Il y a quelques temps, en allant à un « centre des congrès », je trouvais cette notion de centre bien démodée pour désigner un lieu censé rayonner. Tous les « centres » qui me venaient alors en tête fleuraient bon les années 60 ou 70 : le centre culturel, le centre social, le centre aéré. Le centre postal ou le centre des impôts ont perdu de leur superbe. Le centre commercial n’est plus que l’ombre de ce qu’il représentait au temps de la consommation insouciante. Le centre hospitalier résiste mais réduit à ses initiales dans CHU ou CHS.

Notre imaginaire du « centre » est en train de péricliter et j’avoue trouver ça plutôt réjouissant. Le centre redeviendrait ainsi ce qu’il était pour les romains une simple branche de compas (le centrum) utile pour tracer un cercle ou encore l’aiguillon ou l’objet pointu (kentron) des grecs. Aux divers « centres », nous préférons aujourd’hui les lieux décentrés et informels comme les tiers-lieux, les friches, les halles réaffectées. Même les places, nous tentons d’en faire des lieux moins centrés, moins solennels, plus vivants, plus démocratiques comme les décrit Joëlle Zask[2]. Et si nous avions moins besoin de centralité que de convivialité, « n’importe où dans l’univers », comme dit Bobin ?

 

 

[1] paru dans le numéro 01 de Zadig ,la nouvelle revue d’Eric Fottorino

[2] Joëlle Zask – Quand la place devient publique, éditions Le bord de l’eau 2018 déjà évoqué dans persopolitique 

Après le Grand débat ?

Deux mois de Grand débat, un mois pour tirer les conclusions : la presse trouve le temps long ! Que l’on sorte pour une fois de la précipitation m’a à l’inverse plutôt réjoui ! Saurons-nous en faire un AVANT et pas seulement un APRES ?

Laisser opérer une forme de décantation est sage. On le sait bien, avec des conclusions tirées trop vite, il n’y avait aucune chance de créer une rupture avec les pratiques politiques habituelles. Ce n’est pas la synthèse algorithmique des dizaines de milliers de documents et de contributions diverses qui peut permettre de faire émerger des propositions fortes de ce remue-méninges collectif. Si l’on se précipite sur « les dix mesures plébiscitées par les Français », on restera dans le ressassé et on laissera de côté les milliers d’autres pistes qui avaient tout autant, ou presque, suscité de contributions. Plus fondamentalement, l’idée que des « mesures » puissent changer la donne est une illusion. On a d’ailleurs bien vu que les mesures prises en décembre ont été très vite considérées comme des miettes et presque aussitôt oubliées dans l’attente d’autres mesures, plus spectaculaires, plus radicales. Plus, toujours plus. L’approche par les mesures est une impasse.

L’idéal serait bien sûr l’annonce d’un changement de cap, d’une conversion à l’urgence écologique, d’une prise en compte, autrement qu’en paroles, des désagrégations sociales qui minent notre pays. Mais si nous l’avons espéré avec la remise du rapport Borloo ou à la suite de la démission de Nicolas Hulot, le changement de cap n’est certainement pas à l’ordre du jour.

Faut-il dès lors ne plus rien attendre et s’habituer à vivre la coexistence d’une contestation sociale récurrente, sporadiquement violente, et d’une technocratie continuant vaille que vaille sa « modernisation »… jusqu’à ce qu’un régime populiste les remplace ?

Et s’il restait une voie étroite que nous puissions utilement explorer ? Une voie qui n’obligerait pas le Président à se renier, une voie qui permettrait aux personnes de se sentir prises en compte, qu’elles aient été Gilets jaunes ou Marcheuses pour le climat. Utopique ? Sans doute mais j’avoue préférer chercher inlassablement cette voie étroite qui peut-être pourrait contribuer à éviter la propagation de la violence et de son double, la répression. Continuer la lecture de « Après le Grand débat ? »

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