Réfugiés, responsables politiques et société civile

La société civile mais aussi les médias bougent plus vite que les politiques sur la question des réfugiés. Valls, avec ses dernières déclarations, semble l’avoir compris. Encore un effort ! Que nous puissions retrouver notre fierté…

 

Ce matin Thomas Legrand pointait avec justesse le changement de ton des autorités françaises  concernant la question des « migrants ».

Oui, la majorité ose enfin sortir de son mutisme craintif. On sentait les socialistes, jusqu’ici, tétanisés par le conservatisme ambiant et la trouille. Il aura fallu l’horreur des images du camion en Autriche et que leur soient mises sous le nez les déclarations du minimum de bon sens humanitaire d’Angela Merkel pour que le gouvernement prononce les mots qui conviennent aux dirigeants de la France-pays-des-droits-de-l-homme

Il concluait

Ce que le PS a effectué avec la sécurité, certains, notamment à Matignon, pensaient qu’il fallait le réaliser avec les questions migratoires et d’identité. La fermeté, la fin de la culture de l’excuse, fut une mutation de la gauche à l’épreuve du pouvoir, notamment local. La gauche de gouvernement est passée du phantasme à la réalité en matière de sécurité. Mais en matière d’immigration, les chiffres et l’expérience le montrent, la réalité est du côté de l’ouverture et de l’humanisme, et le phantasme du côté du FN et de ses alentours.

Dans l’actualité  désespérante de ces dernières semaines, je trouve réconfortant que TF1 – oui, TF1 ! – ait consacré un numéro de Grands Reportages à la façon dont tout un village s’est mobilisé, à l’initiative  de son maire pour  accueillir des demandeurs d’asile et pour les soutenir  lorsqu’ils étaient déboutés. Voici comment le reportage est présenté :

 A Chambon-le-Château, en Lozère, le maire a eu une idée audacieuse pour lutter contre la désertification rurale. Depuis 2003, le village accueille une cinquantaine de demandeurs d’asile, des étrangers menacés de mort dans leur pays. C’est le cas des Syriens Khaled et Manal, des Albanais Ziya et Gentiana, et de John et sa famille, un Nigérian menacé par Boko Haram. Leurs enfants vont tous à l’école du village avec les petits Chambonnais. Peggy Campel, la directrice, leur apprend à parler français. A Chambon-le-Château, le « vivre ensemble » et la solidarité s’expérimentent au quotidien. En 2008, des habitants se sont même mobilisés pour soutenir une famille du Kosovo qui allait être expulsée. Aujourd’hui, cette famille a obtenu la nationalité française et vit toujours en Lozère.

Certes le reportage n’est pas loin de tomber dans la « belle histoire », celle qui, en étant trop édifiante, empêcherait tout autant de réfléchir que les images-choc  habituelles sur « l’invasion des migrants ». Il l’évite au travers d’une scène étonnante : des jeunes réunis au bar du village qui affirment nettement leur opposition à cette politique d’accueil, avec comme argument massue le fait qu’on paye les réfugiés à ne rien faire. Mais ils sont vite à court d’argument quand la journaliste leur apprend que c’est la loi qui impose aux demandeurs d’asile de ne pas travailler. La journaliste insiste « Vous savez la différence entre réfugiés et immigrés ? ». Le fort en gueule hésite et finit par dire que non, il ne sait pas, et tous baissent la tête, penauds. Ici, la bêtise ignorante s’exprime mais elle n’a  pas le dernier mot ; mieux elle se déconsidère de façon pitoyable et la suite du récit la réduit à ce qu’elle est : une méconnaissance faite de manque de curiosité et d’idées toutes faites. Face à cette bêtise, la journaliste insère le contrepoint d’autres jeunes, au départ tout aussi ignorants, mais qui ont fait le chemin de la découverte de l’autre (ils sont devenus amis avec un des réfugiés) : ils ne blâment plus l’oisiveté qu’ils savent maintenant forcée, ils s’interrogent sur la pertinence de la loi et surtout ils aident leur ami dans sa  nouvelle vie. (On ne dira jamais assez l’idiotie du proverbe « La  curiosité est un vilain défaut », c’est bien l’in-curiosité qui est le vilain défaut qui précipite dans le populisme !!)

 Question de représentation, question de méthode

Revenons au fond du propos, la manière de faire face à l’afflux des réfugiés. Il y a pour moi deux questions : une question de représentation et une question de méthode et bien sûr les deux sont liées.

Je n’insiste pas ici sur le débat sémantique migrants/réfugiés, il a beaucoup occupé les médias, et tant mieux ! On a tous pu comprendre le piège que représente l’usage d’un mot apparemment neutre comme « migrants » qui fait oublier la réalité brutale du « réfugié ». A s’intéresser principalement «aux flux de migrants », on s’enferme dans des solutions qui n’en sont pas. Impossible de stopper par des barbelés des personnes qui ont tout quitté, payé des fortunes, parcouru des milliers de kilomètres, souffert tous les risques et toutes les humiliations pour atteindre le pays de leur rêve. Rien ne les arrêtera. Aux chiffres préférons les récits pour comprendre. Je recommande par exemple Dans la mer, il y a  des crocodiles, l’histoire d’Enayatolah, enfant afghan réfugié en Italie.

Quand je parle de représentations, je veux évoquer les termes de marée, de vague, de flux, de déferlement qu’on utilise sans cesse pour évoquer l’aspect quantitatif de cette migration. Images à l’appui. On voit des groupes de plusieurs dizaines de personnes, de quelques centaines parfois et cela suffit à saturer nos écrans. On rajoute ensuite des nombres avec beaucoup de zéros : des centaines de milliers (00 000). Trop peu sont les médias qui mettent  ces chiffres en rapport avec la population européenne d’environ 500 000 000 d’habitants. Soit environ 1 ou 2 pour mille.  Pas 1%, juste 0,1%. L’effet de masse vient des miroirs grossissants des objectifs de télévision mais bien sûr aussi de la concentration dans le temps et dans l’espace de l’arrivée des réfugiés.

Prisonniers de nos représentations de « masse », nous cherchons des solutions pour faire face à une arrivée « massive ».  Stopper le flux d’abord, créer des lieux d’accueil de masse ensuite. Deux erreurs « massives » !

Pourtant on peut faire autrement. Et on le fait depuis longtemps. La société civile, les autorités locales savent se mobiliser pour apporter des réponses. Le reportage de TF1 sur Chambon le montrait bien. J’avais lu un papier il  y a déjà plusieurs  années  sur une  initiative similaire en Calabre.

Riace comprend alors que sa richesse réside dans l’accueil des étrangers. Le village allait remplir le vide laissé par ses émigrés partis au Canada ou en Australie avec ces immigrés venus, eux aussi, de loin. « Un avenir était possible, avec une nouvelle cohésion sociale. Les gens s’en allaient, l’école avait fermé, les services de base commençaient à manquer. On se demandait à quoi bon programmer encore des travaux publics, et même tenir en vie un bourg qui se vidait petit à petit. Or, avec ces nouveaux arrivés, l’espoir pouvait renaître« , explique le maire.

Il y a quelques mois, toujours dans Le Monde, un article expliquait les réussites du micro-accueil.

Tout commence en 2011, quand le gouvernement doit faire face, comme aujourd’hui, à une situation d’urgence face à l’afflux de migrants. Plus d’une centaine d’entre eux sont alors expédiés dans un hôtel de haute montagne isolé, non loin d’ici. L’expérience est un désastre, avec des migrants qui se morfondent et des autorités qui sont montrées du doigt par une opinion publique qui les accuse de leur payer des vacances aux frais de l’Etat. « C’est à ce moment-là que nous avons pensé à installer les demandeurs d’asile par petits groupes dans les différentes communes de la vallée », raconte Carlo. L’idée s’est révélée payante.

C’est le cas de Tasfir, 19 ans, arrivé du Mali en Sicile en 2014. Après une brève période dans les structures d’accueil surchargées de l’île, il a été transféré à Malegno. Quinze mois au cours desquels sa vie a changé, dit-il. « Vivre à quatre ou cinq, c’est bien et, ici, ont connaît désormais tout le monde… C’est comme vivre chez nous. Tout autre chose que de vivre à cent. Il y avait tous les jours des bagarres. »

On ne peut que partager l’indignation de François Gemenne, chercheur en science politique, spécialiste des flux migratoires quand il accuse l’Europe de trahir son idéal

On a créé un continent de prospérité, de paix et de sécurité réservé à quelques privilégiés et dans lequel les autres n’ont pas le droit d’entrer. C’est une faillite de l’idéal européen!

J’avais cité ici l’étude à laquelle il participait sur la possibilité d’ouvrir les frontières.

Aujourd’hui ce qu’on attend des dirigeants de nos pays européens c’est qu’ils montrent leur confiance dans notre capacité à faire face au besoin d’accueil. Nous ne voulons plus de cette phobocratie qu’a incarnée  Sarkozy. Nous ne voulons pas être protégés, nous voulons  être au contraire encouragés à l’ouverture et à la générosité. L’autre jour, au JT de France2, après avoir rapporté la position ferme de la chancelière  pour maintenir sa politique d’accueil face aux intolérants extrémistes, le journaliste disait que dans la société civile des initiatives se développaient, encouragées par l’attitude digne d’Angela Merkel.

n voici un exemple :

Alors, les trois étudiants berlinois ont décidé de faire quelque chose – en créant une «bourse aux logements pour réfugiés». Non seulement pour loger des réfugiés, mais aussi pour leur faire comprendre que la pègre xénophobe qui fait la «Une», ne représente pas «l‘Allemagne».

L’idée partait d’une situation anodine. Mareike Geiling avait décroché un semestre d’études au Caire et voulait sous-louer sa chambre dans un appartement partagé avec d’autres étudiants. Au lieu de louer cette chambre par les biais habituel, elle s’est mise avec des amis pour créer la plate-forme «Réfugiés bienvenus». Depuis le début de cette opération, cette petite initiative a déjà réussi à loger 74 réfugiés et – plus de 1500 Berlinois ont proposé ce type d’hébergement pour des réfugiés qui en partie, vivent dans la rue en attendant à ce que les administrations tranchent sur leur demande d’asile.

Nous sommes mesquins et pleutres quand tout nous pousse à la mesquinerie et à la  pleutrerie … mais nous savons réagir quand les circonstances nous y poussent. Il y aura toujours des racistes qui râleront mais je suis certain que la majorité des gens sont capables de faire un geste de fraternité, comme les habitants de Chambon, comme les étudiants berlinois.

Je suis  donc  heureux du changement de ton du premier ministre mais je pense qu’il doit aller plus loin. Et s’il évoquait l’esprit du 11 janvier pour nous inciter à passer à l’action. Ça aurait du sens, non ?

La  question des réfugiés peut devenir une belle occasion de sortir du repli qui ne nous rend pas heureux et porte atteinte à l’image que nous nous faisons de la France. J’avais honte en entendant que la France ne recevait que 60 000 demandes d’asile en 2014 quand l’Allemagne en recevait plus de 200 000. Plus honte encore quand j’ai vu que la France avait le plus faible taux d’acceptation des demandes (30%).  Pour qu’on agisse enfin à l’échelle du problème, nous avons besoin d’y être incités. N’est-ce pas le rôle des politiques et des médias ?

Thomas Legrand, vous auriez là un édito encore plus utile que celui de ce matin !

Démocratie, sous le soleil…

Les vacances sont là, ou bientôt là ! Plus de temps pour lire, pour échanger, … pour écrire peut-être ! Je vous le souhaite. je serais en tous cas heureux de poursuivre nos conversations à distance. je commence,…

Premier jour de vacances. Soleil. Chaleur. Cigales. Odeur des pins. Bruit du vent, haut dans les branches… Je suis bien. Je suis dans  mon élément. Ce matin à 7h, j’étais dans la mer, seul. Pas une ride sur l’eau. Une lumière si douce lie mer et ciel dans une continuité de bleus et de jaunes très pales, le soleil à peine émergé des pins, sur les rochers. De minuscules bateaux de pêche rentrent un à un dans le port de Carro jouxtant la crique où je me baigne. Oui, mon élément. La Méditerranée est, plus encore que ma Charente natale, le lieu où je suis immédiatement  bien. Sans  doute les longues vacances d’été au sud de l’Espagne, enfant et adolescent, m’ont acclimaté à cette chaleur immobile. La magie des odeurs et des réminiscences, portée par  un souffle  d’air sous le chêne vert où je suis allongé, m’a amené loin de ce réfugié d’Afghanistan, l’enfant héros de ma première lecture estivale. Et puis, sans doute parce que cette présence, plus  forte que ma lecture, de l’Espagne de  mon enfance, du midi où je suis pour la journée, m’amènent à penser à la Grèce dont je me  sens si proche pour tant de raisons, personnelles et philosophiques, je reviens à ma préoccupation de tous les jours depuis des semaines : le moment très particulier  de notre histoire que nous sommes  en train de vivre avec la  tentative désespérée de Tsipras pour changer  la donne  européenne.

L’image de Tsipras épuisé, à la Une du Monde économie, me hante. Tsipras à la Une du Monde économieQuoi qu’on pense des positions politiques de Syriza, ce combat du gouvernement grec pour chercher une alternative à l’austérité bornée qui leur est imposée me touche. Il me touche d’autant plus qu’il semble se heurter à un mur. L’Europe devient chaque jour davantage une citadelle refermée sur ses certitudes et ses peurs. Refus de donner des  perspectives aux  Grecs, refus de prendre en compte les migrants des rives sud de la Méditerranée,… tout participe de ce complexe obsidional.

Nous évoquions avec l’éditeur et scénariste de bande dessinée Olivier Jouvray cette peur qui saisit aujourd’hui les élites, qui les  tétanise et les rend agressives. On n’est plus dans la  rationalité froide de ceux qui comptent mais dans la défense identitaire d’une croyance tellement ancrée que la réalité est déniée. Celui qui n’est pas d’accord n’est plus seulement un adversaire, c’est un fou dangereux. Regardez comment on a  parlé de Tsipras ! J’ai ainsi entendu le politologue Dominique Reynié, habituellement mesuré, se  déchaîner littéralement contre le choix de Tsipras de recourir  au référendum puis au vote du Parlement. J’avais  lu dans les années 80 un livre qui m’avait beaucoup frappé : la falsification du bien d’Alain Besançon. L’auteur y dénonçait la fermeture  du discours soviétique capable de retourner le moindre argument contraire, de le « falsifier »….. J’ai de plus en plus le sentiment que l’Europe en est arrivée à cette incapacité à se remettre en cause. Le débat continuera, mais ce sera de plus en plus illusoire. Ce qui est  terrible, c’est qu’on pourra justifier longtemps ce théâtre  d’ombre. La démocratie est prise au piège de ce qui a  fait sa puissance de transformation : le « faire  comme si » est en train de devenir un « faire semblant », mais c’est très difficile à rendre évident aux yeux de tous. Je m’explique. Le  « faire comme si », Philippe Dujardin l’explique très justement sur le blog du Laboratoire de  la Transition Démocratique. La démocratie, nous dit-il, suppose de ne pas s’arrêter à la réalité des inégalités, c’est une fiction, une construction, un processus dont on dit qu’il est advenu pour qu’il advienne.

 

L’assemblage des égaux, opère par escamotage, dénégation ou mise en oubli des écarts et distinctions de la condition de ses membres. […] Les égaux sont pensables comme des êtres de « fiction ». Encore faut-il redonner à fiction le sens premier qui est le sien, soit « façonnage », « fabrication ». Le façonnage de la cité, au sens grec et athénien, qui est toujours le nôtre, a pour condition de possibilité, non l’égalité  mais l’égalisation ; l’égalisation ne peut s’accomplir sans le truchement de l’opérateur du « comme si ». C’est sous effet du « comme si » que la voix d’un inexpert de 18 ans vaudra celle du président français du conseil constitutionnel ; c’est sous effet du comme si que, lors d’une assemblée générale de l’ONU, la voix d’Antigua (70 000 hbts), vaudra celle de l’Inde (1 210 193 000 hbts). Il ne faut cesser de nous en étonner !

 

Le problème est qu’aujourd’hui la logique fictionnelle de la démocratie tourne au « faire semblant ». On prend prétexte de l’égalité (la Grèce ne vaut pas plus que chacun des 18 autres membres de l’eurogroupe) pour éviter tout surgissement d’une parole dérangeante. Il ne faut pas oublier l’équation de « Douze hommes en colère ». Par le jeu de l’argumentation celui qui est seul au début à défendre un point de vue peut, par la seule force de l’argumentation, changer le destin qui semblait écrit d’avance. Et si la démocratie était tout entière dans le fait que rien ne soit écrit d’avance ? Que l’histoire s’écrit au fur et à mesure dans le surgissement des paroles contraires et pour tant complémentaires, s’acceptant comme  telles ? C’est ce mouvement qui semble aujourd’hui s’enrayer. La démocratie est vue désormais par trop d’Européens « raisonnables » comme un capital qu’il ne faut pas dilapider dans de folles  gesticulations, alors que la  démocratie véritable accepte de n’être rien qu’un processus toujours en cours et toujours incertain. Logique de flux contre logique de stock !

Deux visions  diamétralement opposées et pourtant née  l’une et l’autre sur le principe que la démocratie est un idéal et non une réalité. Mais  un idéal à préserver dans des symboles intangibles pour les uns, un idéal à construire dans l’acceptation de l’impromptu pour les autres.

 

Je termine ce texte, non plus sous les pins et les chênes verts du midi mais dans la douceur d’un matin charentais. Entretemps je suis passé par Toulouse où nous avons rencontré les parents d’une amie de Claire. La soirée passée avec eux a été riche d’échanges… sur la question démocratique (mais aussi d’un excellent cake à la menthe et à la ricotta et de  pâtes fraiches aux crevettes). Une fois encore, j’ai été frappé de la convergence  de vues possible entre personnes au parcours si différents. L’un et l’autre,enfants d’immigrés italiens, grandis dans la  sidérurgie finissante et sortis du milieu ouvrier par les études (lui chercheur en philosophie, elle enseignante et militante à l’extrême gauche).Moi, issu de cinq générations d’industriels, fondamentalement libéral (au sens politique), même si la plupart de mes interlocuteurs me considèrent de gauche ! Notre discussion sur le tirage au sort des députés a montré  une fois encore  que ce sujet est désormais mûr.

 

Pourquoi mêler ainsi considérations personnelles sur les vacances, les rencontres, et réflexion sur la Grèce et la démocratie ? La présence des cigales ou de la mer n’apportent rien, apparemment, à mon raisonnement sur la démocratie. N’y a-t-il pas, même, une forme d’indécence à lier ainsi plaisir du farniente et drame grec ? Pour moi, c’est et ça a  toujours été une même trame. J’ai toujours écrit ainsi, d’abord dans un cahier vert dès 1982, ensuite dans la lettre des Ateliers, maintenant sur ce blog. Ma réflexion est intimement liée aux émotions de la vie et il me semble naturel d’en tracer la généalogie, au fur et à mesure.

J’en reviens à ce point à ma conversation avec Olivier Jouvray, le scénariste de BD. Il pousse les étudiants d’Emile  Cohl à se mettre en scène dans les récits qu’ils inventent. Partir de leur réel plutôt que faire de la fiction à partir de la fiction des autres, dans une redite des récits qu’ils ont dévoré adolescents. Nous étions donc d’accord sur la nécessité d’un récit de la démocratie qui vient. Pas un simple témoignage sur les initiatives existantes, pas une fiction sur une utopie abstraite. Sans doute un aller et retour entre anticipation et reportage, entre  réflexion et expérience vécue.

Sur ce blog ou avec la Lettre des Ateliers, je n’ai jamais reçu autant de commentaires que lorsque l’émotion rejoignait le questionnement. Le questionnement, pas les affirmations rationnelles et péremptoires. Les  questions sont plus intéressantes que les réponses, souvent !

 

14 juillet, fête démocratique ?

Vous n’avez pas regardé le défilé militaire sur les Champs Elysées ? Moi non plus ! Le 14 juillet pourrait pourtant redevenir un moment-clé de notre imaginaire démocratique… Projetons-nous dans la politique-fiction !

Je rêve depuis des  années de saisir l’opportunité du 14 juillet pour en faire  un événement  démocratique qui vienne  interroger le cérémonial républicain auquel nous sommes tellement habitués… que nous n’en voyons plus la désuétude. Je ne  fais pas partie des antimilitaristes allergiques aux défilés militaires mais malgré tout ne pourrait-on pas repenser  notre fête nationale ? J’ai vu sur le  site de l’Elysée que le 14 juillet a été retenu en 1880 comme date de célébration de la République renaissante  mais encore fragile à l’époque. Il est intéressant de voir que parmi les dates possibles pour une fête nationale, on a retenu le 14 juillet parce que c’était l’intervention directe du peuple face à un symbole  de l’Ancien Régime (ni le Serment du jeu de Paume, ni la nuit du 4 août, ni Valmy, pourtant des événements porteurs d’avancées plus tangibles, n’étaient d’origine populaire). Si le choix de la date garde donc tout son sens, les éléments du cérémonial gagneraient à être revus.

Réfléchissant au tirage au sort des députés, j’avais naturellement imaginé qu’il aurait lieu le 14 juillet ! Voici ce que j’écrivais dans la politique-fiction que j’ai consacré au sujet. Je trouve que c’est une piste utile, même sans tirage au sort, pour redonner de la force à notre imaginaire démocratique ! Pour ceux qui veulent revenir sur cette idée du tirage  au sort des députés, j’avais résumé mon approche dans  une lettre-fiction.

Quel que soit l’intérêt technique du tirage au sort, pour avoir une chance de réussir, il doit s’inscrire dans notre imaginaire politique. Même si les campagnes et les soirées électorales ont perdu de leur attrait, elles demeurent un temps fort de notre vie démocratique. Quel cérémonial républicain inventer pour le tirage au sort des députés ? Le vote s’est appuyé sur des pratiques de l’ancien régime pour entrer dans nos mœurs. Sur quels éléments existant dans notre culture s’appuyer ?

Tirage au sort et télévision

Notre culture contemporaine est largement dominée par les médias, principalement par la télévision. Il y a longtemps que la politique l’a compris et qu’elle a remplacé les préaux des écoles par les plateaux télévisés. On ne peut imaginer d’installer le tirage au sort comme mode de désignation des députés sans chercher à voir comment impliquer les télés dans le processus.

Il ne faut pas voir cette alliance comme une abdication du politique face au médiatique mais comme une reconnaissance de la réalité de l’époque, qui peut être temporaire. Les membres de la Constituante de 1790 ont su construire le vote à partir de l’existant ; ils n’imaginaient pas que leur système électoral transiterait largement, deux siècles plus tard, par des médias tout puissants. 

La même aventure peut se reproduire et le tirage au sort vivra peut-être un jour avec des médias qui n’auront plus rien à voir avec nos mass médias, tout comme le suffrage universel a survécu au passage des régimes d’assemblées d’autrefois à la démocratie d’opinion d’aujourd’hui.

Alors quel type d’alliance imaginer entre le tirage au sort et la télévision ?

J’en propose une ici, simplement pour illustrer le propos. Bien d’autres configurations sont certainement imaginables.

 

14 juillet et téléthon

Qu’on puisse inventer une « fête républicaine » qui soit un mélange réussi de 14 juillet et de Téléthon serait sans doute un grand service à rendre à la chose publique !

Imaginons donc. On est dimanche matin, la fête commence. Le président de la république nouvellement élu ouvre officiellement la journée en direct de l’Elysée, devant les caméras de toutes les chaînes de télé. Chaque chaîne à sa manière fait ensuite le tour des régions pour connaître les programmes des festivités. On en profite pour donner à voir à cette occasion les grandes ou les petites avancées de la vie collective. A Lyon, le cours de Verdun est noir de monde, chacun voulant découvrir pour la première fois l’espace libéré par l’autoroute qui ne passe plus sous Fourvière. A Angoulême, une gigantesque exposition est consacrée aux héros de la BD politique. A Paris est organisé un concours de rhétorique ouvert à tous… en prévision des futures joutes à la tribune de l’Assemblée auxquelles bon nombre d’habitants espèrent bien demain participer.

Toute la journée les animations se succèdent à travers toute la France, relayées par les antennes de télévision.

Les inscriptions comme volontaire pour le tirage au sort se multiplient. Le nombre des inscrits est décuplé en quelques heures, alors que le registre informatique était ouvert depuis un mois. A la clôture, 6,8 millions de volontaires sont recensés, soit 2 millions de plus que l’an dernier, deuxième année de la mise en œuvre du tirage au sort. A 18 heures, les tirages au sort par « pays » et agglomérations commencent, relayés par les antennes régionales de France 3.

Dès que les premiers noms apparaissent sur les écrans, les reporters filent vers les domiciles des nouveaux députés pour recueillir leurs premières réactions. L’émotion et la dignité des propos font les plus belles images de télé-réalité qu’on puisse imaginer. Une règle déontologique concernant cette phase de notre nouvelle vie démocratique  a été mise en place pour l’ensemble des médias afin que cette première rencontre avec la vie publique ne se transforme pas en piège. Chacun doit avoir le temps de s’approprier cette fonction dans la dignité. Pourquoi les médias ne sont-ils pas tentés de chercher à révéler les opinions extrêmes ou revendicatives ? Tout simplement parce qu’on sait qu’elles sont forcément représentées par le jeu des grands nombres, il n’y a donc pas de révélation à faire.

Depuis les débuts du tirage au sort, on a appris à mieux comprendre la dynamique induite par ce nouveau mode de représentation. Lors des premiers tirages, on s’était inquiété des raisons qui poussaient à s’inscrire sur les listes des volontaires. L’un de ceux dont les médias s’étaient méfiés était soupçonné d’avoir voulu devenir député parce qu’il était militant d’une cause jusqu’à en devenir monomaniaque, connu au plan local pour être un procédurier redoutable, bloquant tous les grands projets de sa ville par des recours incessants devant les tribunaux. On l’imaginait déjà en imprécateur à la tribune de l’assemblée ; en fait, hors de ses combats locaux, il s’était vite révélé comme un juriste fort utile pour développer de nouvelles règles de concertation¹. Progressivement on s’est aperçu que sur des dossiers nationaux, peu de députés avaient des intérêts directs à défendre contrairement à ce qui se passait habituellement dans les conseils de quartier ou même dans les conseils de développement des grandes agglomérations. Plus généralement les députés, par l’effet du nombre et de l’importance de leur mission apprenaient vite à dépasser leurs a priori initiaux. Le travail délibératif, contrairement aux sondages qui fixent les opinions, aidait à nuancer les opinions les plus tranchées. Ainsi donc, forts de ce constat issu de l’expérience, les médias avaient mis au point cette « trêve de l’inquisition » pour laisser aux tirés au sort le temps de prendre la mesure de leur fonction.

A 20 heures, les télés nationales prennent le relais des télés régionales et présentent la composition de la nouvelle assemblée. Pour la première année, 25 jeunes de moins de 30 ans seront à l’Assemblée dont 15 issus de l’immigration. La parité ne sera pas encore atteinte cette année mais 40 % de femmes seront sur les travées du Palais Bourbon dès mardi, pour la séance inaugurale. Elles n’étaient que 10 % en 2002 et 18% en 2007.

Les membres du gouvernement invités sur les plateaux rappellent les priorités du président et les grands débats qui devront avoir lieu dans les prochaines semaines. Les politologues supputent les chances du président de faire passer ses projets compte tenu de la composition sociologique de l’Assemblée. Le renforcement de la présence des femmes devrait aussi faciliter le projet des « bureaux des temps », mais en ira-t-il de même pour la réforme de l’enseignement ? Les clubs politiques, qui se sont naturellement renforcés, nourrissent les débats en faisant état des dernières innovations citoyennes avec lesquelles les nouveaux acteurs politiques devront compter.

Le feu d’artifice et le bal populaire concluent la soirée, les traditions ont du bon, naturellement !!

 

Voir aussi sur le site du Laboratoire  de la Transition Démocratique la fiction en cours d’écriture où l’on reparle de tirage au sort. Trois chapitres vous attendent, le premier est

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¹ : Jacques Ion dit quelque chose de tout à fait similaire lorsqu’il parle  du NIMBY (not in my back yard) comme une des formes  d’engagement qui peut être « source de politisation ».

 

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