Sortie de campagne…

On a fait beaucoup de reproches à cette campagne électorale :
–    Sa longueur, avec les primaires et surtout la manie des médias de commencer la « course de petits chevaux à peine l’élection précédente finie.
–    Son manque d’intérêt : on n’y a peu parlé des « vrais » sujets, l’Europe, l’école, les pauvres, le logement, la santé, les banlieues… avec à chaque fois très peu d’idées neuves
–    Son dévoiement vers des questions vainement polémiques ou indignes du débat national : le hallal, le changement de date de versement des retraites,…
En revanche deux points qui inquiétaient les commentateurs me rassuraient plutôt
–    Le relatif désinvestissement des citoyens à l’égard d’une élection pourtant tellement mise en avant dans le jeu politico-médiatique alors qu’elle n’est bien évidemment pas aussi décisive qu’on le dit
–    Le manque de vision de candidats soi-disant « obligés au réalisme » par la crise car l’ambition telle qu’elle est habituellement définie ne correspond plus au besoin de notre pays : la grandeur, la place de la France sont des vieilles lunes et l’ambition industrielle, la recherche de la croissance à tout prix sont dangereuses (voir Arrêtons de faire les papillons)

Pour moi le plus inquiétant était ailleurs
–    Pas d’interrogation sur ce qui redonnerait de la crédibilité à la politique, sur ce qu’on attend des citoyens et de la société civile
–    Pas de prise en compte de la réalité de la société et de ce qui la transforme. Michel Serres l’avait bien vu en parlant d’une « campagne de vieux pépés » !
L’élection de 2007 avait été plutôt positive sur ces thèmes avec la recherche de nouvelles façons de faire de la politique (volontarisme pour Sarkozy, démocratie participative pour Royal) mais les enthousiasmes suscités alors ont fait long feu.

On avait pourtant une chance historique, bien que paradoxale, de réinventer la politique en 2012 : l’absence de marge budgétaire. Malheureusement, la  rigueur budgétaire qui s’est imposée à tous dès le début de la campagne a conduit, à l’exception notable de Mélenchon, à conclure qu’il n’y avait plus de marge d’action pour ré-enchanter la politique. Et si c’était l’inverse ? Et si l’absence d’argent nous obligeait à refaire de la politique ? De la vraie politique, avec les gens eux-mêmes, pas avec des subventions ou des réductions d’impôt ? Et si nous prenions au pied de la lettre l’idée que la politique c’est le « vivre ensemble » ? parce qu’on en parle souvent dans les discours du « vivre ensemble », mais  qu’en faisons-nous concrètement ?
Regardons les objectifs politiques que nous nous fixons collectivement et sur lesquels nous sommes sans doute presque tous d’accord. Nous préférerions développer la prévention en matière de santé plutôt que de traiter, à grands frais, les maladies qui surviennent parce que nous ne prenons pas soin de nous. Nous voudrions renforcer la sécurité sans pour autant avoir des policiers en armes à chaque coin de rue. Nous souhaitons réduire notre empreinte environnementale sans renoncer au confort  mais les nouvelles pratiques en termes de déplacement, de consommation ou de logement nous semblent souvent hors de portée. Bref nous voyons bien ce qu’il y aurait à faire dans l’absolu… mais nous n’avons pas de temps à y consacrer et, quand bien même nous en aurions, nous ne nous sentons pas en mesure d’y faire face seuls.  Pour cela nous continuons d’attendre des responsables politiques qu’ils agissent en notre nom… puisque nous les élisons pour ça. Mais sur tous ces sujets et sur bien d’autres, nous sommes de plus en plus conscients que l’Etat peut nous inciter à faire mais qu’il ne peut pas se substituer à nous. Bien souvent, nous en restons à ces constats désabusés, sans imaginer que nous pourrions repenser radicalement nos modes de faire collectifs, notre fameux « vivre ensemble ».

Nous avons oublié la ressource majeure de la démocratie, le pouvoir d’agir des citoyens. C’est quoi le pouvoir d’agir ? c’est la capacité de chacun de trouver des solutions créatives aux questions qui le concernent s’il sort de l’isolement qui le rend incapable d’agir. Pour cela il faut plusieurs ingrédients indispensables :
–    Des espaces de débat où on ne se contente pas de râler contre le système mais où l’on recherche collectivement des pistes de solution. Ces espaces de débat, pour être efficaces doivent être très locaux, non partisans, positifs, permettant de mêler des expériences et des points de vue divers.
–    L’organisation d’un droit de tirage sur l’expertise publique pour donner corps aux solutions explorées dans les débats.
–    La mobilisation de ressources extra-budgétaires, notamment via les fondations, pour mener à bien les expérimentations, faciliter leur déploiement,…
–    La mise en place d’un volontariat tout au long de la vie pour dégager du temps et des compétences au service de cette nouvelle action collective

Il est paradoxal que les représentants officiels de la vie associative ne soient pas davantage sensibles à ces approches qui renforceraient naturellement le fait associatif sous toutes ses formes, du simple collectif d’habitant jusqu’à l’émergence de mouvement associatifs nouveaux à l’échelle du pays (comme a pu le devenir Lire et faire lire en quelques années par exemple). Très souvent ces militants de la vie associative craignent que ce soit le moyen pour l’Etat de se défausser de ses responsabilités. Ils confondent en cela le rôle de garant de l’égalité que doit toujours assumer l’Etat et la manière dont les services doivent être rendus. Sans doute une raison de leur frilosité est plus matérielle : la plupart des associations ne le sont plus, au sens premier du terme, elles sont bien davantage des entreprises de services collectifs employant des professionnels et financées par des fonds publics. Beaucoup ne sauraient pas animer un vaste mouvement  d’implication des citoyens. Les bénévoles d’aujourd’hui ne sont en effet pas dans leur très grande majorité des initiateurs de projets mais des ressources humaines employées à des tâches prescrites.

Quelques signes sont encourageants malgré tout. J’en citerai quatre – rapidement – mais leur convergence est indéniable.
–    Le plus récent est la parution du dernier rapport du think tank Terra Nova sur les banlieues qui prône (enfin !) les pratiques de développement communautaire, à l’instar de ce qui se pratique depuis des années dans les quartiers défavorisés de Chicago et d’ailleurs. C’est l’espoir d’une refonte de la politique de la Ville sur les bases de l’empowerment plutôt que sur la seule rénovation urbaine. Merci Jacques Donzelot de votre persévérance !
–   L’Institut de la concertation propose une journée de réflexion très intéressante le 14 mai autour de la place de la participation dans les programmes politiques, il invite notamment les membres de son réseau, professionnels de la concertation et chercheurs, à co-élaborer ce que pourrait être une participation des citoyens aux grands choix nationaux au travers d’un exemple concret : un débat national sur l’énergie.
–    Autour de l’empowerment et du pouvoir d’agir, les initiatives se multiplient : le colloque organisé mi-mars à l’ENTPE à l’initiative d’une jeune doctorante, Hélène Balazard, a été un réel succès ; notre groupe de travail sur l’empowerment lancé avec Philippe Bernoux en septembre a fidélisé une trentaine de participants ; le Collectif Pouvoir d’agir créé à l’initiative de Jean-Pierre Worms devient un pôle de référence sur la question.
–    Dernier signe, et sans doute le plus riche de perspectives, l’installation du volontariat dans notre culture de l’engagement grâce au Service civique qui touche maintenant près de 15 000 jeunes par an.
Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, il serait bon que le président nouvellement élu découvre ces signes encore ténus et le potentiel de renouveau de la politique qu’ils représentent.

Si, nous sommes responsables ! …et nous pouvons agir

Voilà ce qu’a dit le Président de la République sur un ton qui n’admettait ni réplique ni contestation : « Ces crimes sont ceux « d’un monstre » et pas d’un fou qui serait irresponsable. Lui chercher la plus petite excuse serait une faute morale impardonnable. Mettre en cause la société, montrer du doigt la France, la politique, les institutions, c’est indigne ».  Je crains fort de tomber dans l’indignité selon Sarkozy mais, pour moi, le ton même du propos, sa violence, sa certitude aveugle à toute autre vision de la réalité sont indignes de la fonction qu’il occupe.
Alors notre société n’aurait aucune part à la dérive de ses membres les plus fragiles ? Mohamed Mehra serait donc un tueur-né, génétiquement programmé ? Toute la faute est sur lui et la société est blanche comme neige ? Absurde évidemment, comme serait absurde également l’idée d’incriminer la société et de blanchir le tueur.

Peut-on accepter de regarder dans cet « entre deux », ni tout blanc ni tout noir, où la personne humaine est bien responsable de ses actes et où la société doit néanmoins se poser des questions sur la manière dont elle laisse dériver certains de ses membres ?
Arrêtons de confondre culpabilité et responsabilité : il y a bien un coupable identifié mais aussi des responsabilités multiples quant au contexte qui permet l’émergence de tels faits.

Peut-on rappeler une vérité d’évidence mais trop occultée car dérangeante ? Comme pour toute relation, l’intégration suppose deux interlocuteurs, celui qui s’intègre et ceux qui l’accueillent. Depuis des années nous nous focalisons sur ceux qui doivent s’intégrer mais que faisons-nous pour nous rendre plus accueillants ? A quoi peut bien servir un parcours universitaire brillant si la suite est constituée de petits boulots mal payés, précaires et sans rapports avec la formation suivie ? Comment donner envie aux jeunes de suivre l’exemple de ceux qui font l’effort de se former malgré des conditions d’études difficiles s’ils voient les galères que les diplômes n’évitent pas ?

Lors de la crise des banlieues de 2005, nous avions déjà écrit en ce sens. Peut-être que les entreprises que nous interpellions aux Ateliers de la Citoyenneté sont aujourd’hui plus prêtes à s’engager sur ces sujets . Les efforts faits en matière de RSE ou de Développement Durable sont plutôt encourageants. Relançons la bouteille à la mer … !

Des salariés d’entreprise dans les carnets d’adresse des jeunes des banlieues ?
On sait que ce qui permet de trouver un emploi, c’est bien sûr les compétences sanctionnées par des diplômes, mais c’est aussi le capital relationnel des personnes. Or chacun convient qu’un jeune habitant en banlieue dispose d’un capital relationnel très réduit. Ses interlocuteurs adultes sont essentiellement des professionnels du travail social qu’il ne rencontre que dans une posture d’aide ou d’assistance.

Ne pourrait-on pas envisager un vaste programme de volontariat ouvert à des salariés d’entreprises pour qu’ils puissent participer AVEC des jeunes habitant les banlieues à des programmes d’intérêt général de tous ordres ? Dans le cadre des activités proposées, des relations se noueraient avec des adultes socialement intégrés, qui pourraient faire bénéficier les jeunes de leur carnet d’adresse. On ne serait pas là dans une logique d’aide directe mais dans le registre de ce que les Québécois appellent le « mentorat », une relation choisie née d’une rencontre à l’occasion d’une activité faite ensemble. Puisque ces rencontres ne se font pas spontanément, il faut les susciter. On pourrait s’appuyer sur des initiatives réussies de brassage social comme la préparation du défilé de la Biennale de la Danse à Lyon. Ce qu’il faut, c’est rendre ce programme attractif, en y impliquant des personnalités charismatiques, en le médiatisant  mais aussi, tout simplement, en l’appuyant sur des activités créatives et valorisantes.
Les entreprises qui participeraient à un tel programme en libérant leurs salariés quelques heures par mois en mécénat de compétence, seraient doublement gagnantes : elles permettraient à leurs salariés de s’investir dans une aventure humaine dont bien des enseignements pourraient être réinvestis dans l’entreprise, elles bénéficieraient de contacts préalables entre des jeunes et des salariés facilitant ensuite les recrutements et surtout l’intégration professionnelle.

Qu’on me comprenne bien : je ne prétends pas que l’on évitera des crimes comme celui de Mohamed Mehra par un programme de volontariat, même d’ampleur nationale… Pour autant il y a bien une chose dont je suis sûr : il ne faut pas laisser s’enfler la double vague de rejet d’un côté et de rage d’être rejeté de l’autre. Essayons chacun d’y contribuer, loin des dénonciations en indignité.

5 x 20 ?

Difficile, sous la cinquième République, d’échapper à la bipolarisation. L’éventualité d’une répartition des voix en parts équivalentes entre Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, reste improbable. Et pourtant ! On voit bien que contrairement aux prédictions de début d’année la logique du « vote utile » ne semble pas prendre. Plusieurs étapes ont déjà marqué cette campagne, chacune favorable à l’un des trois challengers. On a eu d’abord l’instant Marine Le Pen avec des sondages qui la mettaient au coude à coude avec un Nicolas Sarkozy non encore candidat. Il y a eu ensuite le moment Bayrou en janvier quand il a dépassé les 10%. Nous voyons maintenant Mélenchon suivre le même chemin dans les sondages avec l’avantage de la nouveauté et de la capacité à rassembler des foules aujourd’hui à la Bastille mais peut-être aussi demain à Marseille ou à Toulouse. Même si les tendances à la hausse des deux premiers ont trouvé leur limite lorsque les médias ont installé le duel Hollande-Sarkozy, aucun des challengers n’est retombé à moins de 10% et on peut imaginer qu’à eux trois, ils ne feront pas moins de 40 ou 45 % des voix.

Quels que soient les niveaux réellement atteints le soir du premier tour, on sera sans doute obligé de constater qu’il y a en France non pas une gauche et une droite mais cinq forces plus ou moins équivalentes. Non pas une extrême gauche et une extrême droite marginales et un centre inexistant mais deux gauches et deux droites et un centre qui ne se retrouve dans aucun des deux camps.

Deux droites, car je pense qu’il faut renoncer à la diabolisation de  Marine Le Pen, celle du père n’a en rien permis d’éviter qu’il maintienne son parti dans la vie politique depuis 30 ans. Le Front National n’est pas un parti antirépublicain, il ne prône pas l’abandon des règles démocratiques. Il est, comme beaucoup de partis populistes  européens, xénophobe et nationaliste. La montée en puissance de ces partis est inquiétante quant à notre capacité, en Europe,  à continuer d’accepter l’altérité mais elle ne menace pas à ce stade notre régime politique. Les alliances avec les conservateurs conduisent à des choix contestables mais jusqu’ici rien d’irréversible n’a été accompli. Raccrocher les droites nationalistes à l’exercice du pouvoir me semble moins dangereux que de les laisser en marge du système comme un recours fantasmé face à une démocratie excluant « le peuple ».

Deux gauches, car là aussi – et  plus encore – le   terme d’extrême gauche ne me paraît pas pertinent. La gauche socialiste n’est aujourd’hui  qu’un centre gauche guère différent dans son évolution de ce qu’était le parti radical à la fin de la 3ème République. Cela laisse la place à une gauche radicale et tribunicienne, une gauche à la Jaurès, bien loin du trotskysme.  Il faut donc moins regarder l’irréalisme des promesses sociales (retraites, SMIC, …)  du Front de Gauche que la force de l’argumentation de Mélenchon sur la nécessaire sortie de l’économie financiarisée.  La faiblesse du projet tient plus à la croyance trop exclusive dans la capacité de l’Etat à tout décider. Il manque une réflexion sur la capacité de la société à se saisir des enjeux de transformation, le concept de planification écologique n’étant pas le plus heureux pour signifier l’accord nécessaire de toutes les parties prenantes pour réussir la mutation écologique de l’économie.

Enfin n’oublions pas non plus, malgré la regrettable absence de renouvellement de l’offre de Bayrou que le centre existe toujours dans son refus de l’enfermement dans les logiques partisanes et dans sa volonté de reconstruire la politique sur les ressources de la société civile. Hélas, Bayrou n’a guère exploré cette voie dans les cinq ans de traversée du désert qu’il s’est imposé. Je l’avais croisé dans un train juste après la séquence électorale de 2007 et j’avais essayé de le convaincre d’aller dans ce sens… en vain malgré un accueil plutôt bienveillant. N’aurait-il pas été plus audible s’il avait pu dire aux français qu’au terme de cinq ans d’exploration en profondeur des initiatives locales, il était en mesure de proposer des plans d’action mobilisateurs, s’appuyant sur ces initiatives et proposant des voies de déploiement ?  Sur l’éducation, la santé, le logement et bien d’autres sujets, nous disposons de formidables ressources d’énergie citoyenne si mal utilisées.
Certains lecteurs se demanderont peut-être ce que je fais de la famille écologiste qui ne disparaitra pas en raison d’une erreur de casting. Pour moi les écologistes, quand ils ne se fourvoient pas dans une campagne qui les marginalise, quand ils font confiance à Cohn-Bendit ou Hulot, participent de ce centre qui n’est réductible à un aucun parti. Encore une fois je pense que ce qui caractérise le centre moderne, c’est la capacité à faire coopérer la société à la résolution des problèmes communs.

Peu importe finalement le score que feront ces différentes composantes de notre paysage politique. Elles ne feront pas 5×20 mais nous devrons apprendre à mieux les considérer. Nous devrons arrêter de penser que ces challengers de la bipolarisation ne sont que des accidents. Il nous faudra « faire avec », notamment en introduisant la proportionnelle aux législatives mais aussi la proportionnelle dans notre débat public. La « diversité » est enfin devenue une question sociale pour la reconnaissance des droits de minorités. Il est sans doute nécessaire de penser une « diversité politique », avec une reconnaissance du droit aux cinq familles de s’exprimer sans être sans cesse contraintes à se situer par rapport à la norme du camp de gauche ou du camp de droite. Aujourd’hui, on peut vivre sa différence en tant qu’homosexuel sans être obligé de légitimer son orientation sexuelle par rapport à la norme. Quand donc pourra-t-on se sentir aussi libre de son orientation politique sans être ramené au choix bipolaire ?

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