Arrêtons de faire les papillons !

 

Il est urgentissime de sortir de l’impuissance qui frappe l’action politique si l’on veut éviter le retour aux tentations populistes. Le volontarisme de 2007 incarné par Sarkozy mais aussi par Royal, qui avait un temps redonné confiance dans la politique, n’est plus crédible.

L’impuissance nait, comme souvent, de l’aveuglement : nous sommes comme ces papillons qui butent contre la vitre alors que l’autre battant de la fenêtre est grand ouvert. Le carreau invisible, contre lequel nous nous comportons en papillons affolés, c’est notre conception erronée, pourtant apparemment de bon sens, de la « sortie de crise ».

Il faudrait

–          organiser la relance (avec une variante entre gauche et droite sur le passage préalable par une purge de nos finances publiques),

–          redonner la primauté au politique pour sortir la société de ses errements individualistes,

C’est effectivement, apparemment la direction à prendre : PLUS d’activité économique, PLUS de politique. On voit le ciel bleu… et pourtant on est toujours derrière la vitre.

Le problème vient du fait que nous raisonnons en PLUS et en MOINS sans nous intéresser réellement aux manières de faire. Or tout est dans le comment. Plus de politique ? Oui, je ne cesse de l’écrire mais certainement pas par le volontarisme bonapartiste d’un Sarkozy et sans doute pas non plus par la recherche de compromis socio-libéraux à la Hollande.  Pour l’un comme pour l’autre, la politique est l’affaire de professionnels qui doivent faire face à une société en décomposition.  Nous avons ici beaucoup écrit sur notre vision exactement inverse du rapport société/politique, sur la manière de refaire la politique, non pas contre les individus mais avec eux, en misant sur leur capacité à agir, en facilitant leurs initiatives par des démarches d’empowerment. Nous avons souvent proposé l’oxymore de « volontarisme modeste » pour tenter de donner à voir l’attitude que devrait avoir un président de la République misant sur les ressources de la  société civile. Nous ne développerons pas ce point essentiel et premier. C’est l’objet de mon livre en cours de publication.

Intéressons-nous ici à la deuxième révolution mentale à opérer, celle qui concerne la croissance. Il faut sans doute rechercher des voies similaires : comprendre ce qui ne va pas dans les ambitions apparemment de bon sens et tenter le pas de côté.

Pas un jour sans que les politiques de gauche ou de droite n’évoquent l’indispensable retour de la croissance pour sortir de tous nos maux, à commencer par le chômage. Hors de la croissance, point de salut ! On mène une politique de réduction des déficits qui conduit inéluctablement à la récession ? C’est pour que la croissance reparte sur des bases saines. On se rend compte des dégâts écologiques de notre modèle économique ? On invente le concept fumeux de croissance verte. La croissance est toujours présentée comme l’objectif à atteindre, même si c’est par des chemins détournés. Tous les dogmes peuvent être oubliés sauf celui-ci. Même le concept de « décroissance » semble avoir été inventé pour empêcher de penser autrement qu’en termes de croissance. Décroitre fait irrémédiablement peur au plus grand nombre. L’alternative à la croissance n’est pourtant pas la décroissance mais la non-croissance, ce qui n’a rien à voir. La croissance est une forme de déséquilibre, tout comme la décroissance. L’équilibre, c’est la vie même. La vie n’est pas absence de mouvement, la non-croissance, de même, n’est pas une situation figée à jamais. C’est un monde où on accepte la succession de phases de croissance et de décroissance. Un exemple qui risque de faire bondir certains : j’ai toujours trouvé stupide que les salaires doivent croître tout au long de l’activité professionnelle. Pour moi il serait normal qu’ils croissent jusqu’à une phase de maturité puis déclinent doucement (pour ceux qui ne sont pas aux minimums sociaux) en raison d’une moindre rentabilité  et aussi d’une diminution des besoins. L’emploi des seniors en serait grandement facilité. Autre point, fondamental : dans un monde aux ressources finies, on croît toujours au détriment d’un autre. L’Allemagne ne peut avoir des excédents commerciaux que parce que d’autres ont des déficits. Il est donc idiot de voir l’Allemagne comme vertueuse, quand sa prétendue vertu nécessite l’existence de dispendieuses cigales !

Si la croissance n’est pas un objectif, que doit-on viser ? Recherchons l’équivalent du « volontarisme modeste » que nous évoquions pour la politique. Imaginons une « relance sans croissance ». Pour cela partons de deux questions-clés : quelles sont les activités les plus créatrices de richesses qui se multiplient en se partageant, quelles sont les activités qui nécessitent le moins de ressources non renouvelables ? Plusieurs économistes explorent cette voie que ce soit Jean Gadrey (Adieu à la croissance) en France ou Tim Jackson (Prospérité sans croissance) en Grande-Bretagne. Roger Sue dans son dernier livre (Est-on prêt à changer vraiment ?) décrit aussi cette économie qui intègre le social, non comme un complément à l’économie mais comme une part intrinsèque d’une économie politique. Et sans tomber dans des approches collectives pilotées par la puissance publique ! Le social est affaire d’individus qui se relient et agissent ensemble au travers du lien d’association. On voit dès lors qu’il n’est plus pertinent de traiter d’un côté de politique et de l’autre d’économie. Quand donc les politiques vont-ils comprendre que l’action citoyenne est une richesse économique à part entière et à un triple titre :

–          les activités réalisées sont utiles socialement et écologiquement bénéfique : co-voiturage, formation mutuelle, entraide intergénérationnelle,…

–           les liens qu’elle permet entre les personnes peuvent contribuer à réduire les multiples coûts cachés liés à l’isolement, au stress et à toutes les formes de pathologies sociales que génère notre mode de vie

–          elle développe les « compétences transversales » (autonomie, débrouillardise, créativité,…) dont les entreprises commencent à bien comprendre l’intérêt  au travers des partenariats qu’elle nouent avec les associations,

Vision éthérée, à l’heure où on semble retrouver l’impératif industriel et où chacun entonne de martiaux appels à « produire français » ? Oui si nous devions revenir à l’industrie des trente glorieuses. Mais les industriels, mieux que les politiques, savent que ce rêve de retour est absurde, pas seulement à cause du dumping social des émergents, mais plus encore en raison d’un facteur trop négligé : la raréfaction des ressources, bien au-delà des terres rares (les réserves de fer seront épuisées d’ici 2050). Même l’industrie doit se réinventer, non pas par une course effrénée à l’innovation technique qui pousse au gaspillage (cf. les versions toujours plus rapprochées de nos joujoux technologiques genre smart phones ou tablettes) mais par les approches de l’économie circulaire et de l’économie de la fonctionnalité. Ainsi à Synergence, nous accompagnons un industriel français dans son exploration de nouvelles manières de concevoir son métier, en tant que fournisseur d’accès à un service. Ça l’amène à tout repenser, y compris à imaginer de nouvelles formes de convivialités à développer autour de ces appareils qu’on achète aujourd’hui individuellement et qu’on abandonne au fond de nos placards après seulement quelques usages.

Pour que cette économie sans croissance voie le jour, il lui faut une boussole. Nous devons pour ça apprendre à faire des liens entre des champs aujourd’hui séparés. Il faut compter autrement pour valoriser toutes les activités créatrices de richesse. Revoir notre mesure de la richesse est donc une tâche essentielle, sinon les responsables politiques continueront à nous entraîner dans la mauvaise direction en croyant bien faire. Il est effarant que la crise, au lieu d’accélérer la mise en place des mesures du rapport Stiglitz, ait conduit à son enterrement ! Heureusement, là encore, des entreprises n’attendent pas que les politiques se décident : les initiatives se multiplient pour inventer de nouvelles comptabilités…

 

lettre d’info n°4

Bonjour,
voici la quatrième lettre de Persopolitique. Énervement face à la télé, enthousiasme pour les jurys citoyens ou les « écoles fenêtres »… mais surtout, et à travers tous les articles, une tentative pour sortir de nos représentations convenues de l’apathie citoyenne. Avec des pistes pour activer ce potentiel de citoyenneté. Donc un peu d’optimisme dans cette actualité plus que morose !!

… 6 mois depuis la dernière lettre ! je n’abuse pas de votre boîte aux lettres !! Et sept articles publiés seulement, je n’abuse pas non plus de ma plume !

Avant l’été j’étais revenu sur l’importance de changer notre conception du pouvoir après l’affaire DSK. Pouvoir SUR ou pouvoir DE, il est temps de choisir.

Sollicité par une personne qui a croisé la route des Ateliers, je me suis à nouveau interrogé sur la pertinence du tirage au sort des députés. (je me suis depuis remis au travail sur le sujet et vais essayer de sortir simultanément deux courts essais, l’un sur la citoyenneté entreprenante, l’autre sur le tirage au sort). Je suis revenu sur l’intérêt du tirage au sort en parlant du jury citoyen animé il y a un mois pour Synergence.

Que ce soient dans les médias ou, plus grave, chez les intellectuels, les représentations des gens ordinaires et de la société sont terriblement pessimistes. Nous ne serions que des individualistes indécrottables rendant impossible toute approche renouvelée de l’action publique. Je crois que c’est exactement l’inverse : notre vision de la société est en décalage par rapport aux potentialités dont elle dispose. Résultat nous n’inventons pas les nouvelles approches de l’action publique qui solliciteraient le potentiel créatif des citoyens. Lire là-dessus mon apostrophe à Laurent Delahousse et ma réaction au dialogue entre Philippe Meirieu et Marcel Gauchet. On verra aussi ce que peut concrètement faire la société civile en matière d’éducation avec l’exemple des « écoles fenêtres » des Pays-Bas.

Enfin une question apparemment sans importance pour finir : quand a commencé le XXIème siècle ? Si comme moi vous répondez en 2008 avec la chute de Lehman brothers, plutôt qu’en 1989 (la chute du mur) ou en 2001 (la chute des tours), c’est que nous partageons la conviction que nous ne sommes définitivement plus dans une « crise » dont il faudrait sortir mais dans le douloureux accouchement d’un monde résolument différent. Reste à savoir le visage qu’il aura… ou plutôt que nous lui donnerons.

Bonne lecture-s.

 

 

 

 

 

1989, 2001, 2008 : quand le siècle a-t-il débuté ?

On sait que les historiens considèrent que le XIXème siècle commence en 1815 et que le XXème siècle s’ouvre avec la première guerre mondiale, en 1914. Et le XXIème siècle ? Pour la plupart il a vu le jour avec la chute du Mur qui refermait la période des totalitarismes, pour d’autres c’est le 11 septembre qui serait la date de bascule dans un siècle d’incertitudes et de risques d’autant moins maîtrisables qu’ils viendraient d’organisations non étatiques. Les deux choix ont bien sûr du sens et ces dates resteront symboliquement fortes.

Nous ont-elles pour autant fait basculer dans un autre monde ? Fukuyama le croyait en 1989 en évoquant « la fin de l’histoire » à l’occasion de la disparition du système soviétique. Il n’y avait plus dès lors d’alternative au système libéral occidental qui pouvait donc s’étendre de proche en proche comme il commençait à le faire en Chine. L’histoire et sa dimension tragique s’est pourtant rappelée à nous en 2001 avec le retour de la peur de « l’autre », l’autre n’étant plus le communisme mais l’islamisme. En quelque sorte 2001 annulait l’espoir de 1989. On croyait être sorti de l’histoire mais 2001 nous ramenait au XXème siècle dont on pensait être sorti. Avec la peur de l’autre, cette peur idéologique d’un ennemi de notre civilisation (et pas seulement de tel ou tel Etat comme avant le XXème siècle),  nous n’amorçons donc pas une nouvelle période historique, nous changeons juste de démons. La guerre continue.

2008, c’est la chute de Lehman brothers, une crise mondiale, mais apparemment sous contrôle. Au début on la compare à la crise de 29 mais très vite on se rassure avec la reprise, obtenue pourtant à crédit. Aujourd’hui chacun s’accorde à dire que nous n’avons fait que reporter l’échéance de 3 ans et que nous sommes maintenant devant des ruptures douloureuses. Le XXIème siècle pour moi commence donc dans cet enchaînement 2008/2011 : l’effroi trop vite oublié de 2008 suivi par la résurgence des crises de 2011 qui montre que le « back as usual » n’est désormais plus de mise.

Il n’y a en effet pas de « retour à la normale » possible. Pas de marge monétaire, pas de marge budgétaire. Pas de possibilité de dévaluation compétitive. Pas de possibilité de profiter du dynamisme de pays mieux lotis car la crise va frapper aussi la Chine et les émergents. Les recherches désespérées de points de croissance supplémentaires resteront lettre morte. Ce n’est pas une crise mais le début d’une mutation majeure.

On en voit les premiers effets par la conjonction des « crises ». Leur simultanéité est désormais frappante lorsque dans la même année on assiste à une catastrophe écologique majeure (Fukushima), à une poussée démocratique inattendue (pays arabes), à un ébranlement de la zone euro. Plus encore que cette simultanéité, ce qui frappe, ce sont les interactions qui apparaissent au grand jour : la crise économique en Europe commence à se transformer en crise démocratique avec les « indignés » d’abord et maintenant avec les crises grecque et italienne débouchant sur des gouvernements d’experts préférés à d’explosifs referendums. Autre illustration de cette convergence des crises sur laquelle nous n’avons pas fini de nous écharper en France : la question nucléaire. Cette dernière est en effet l’expression achevée du monde que l’on cherche à quitter : croyance absolue dans la technoscience, fétichisme de la croissance alimentée par une énergie abondante, indifférence aux conséquences à long terme des « sous-produits » de cette industrie que sont les déchets nucléaires, gouvernance d’experts sans intervention des citoyens dans les décisions.

Nous ne pouvons plus traiter les crises comme des questions séparées. Il est ainsi effarant que les gouvernants de tous bords continuent à attendre le retour de la croissance comme seul moyen de sortir de la crise économique tout en reconnaissant par ailleurs que la crise écologique doit nous amener à revoir notre modèle de développement. Où est la cohérence ?

Le XXIème siècle a peut-être commencé mais nous souffrons d’un manque cruel de vision de ce qu’il peut être. Il me semble que la première des choses à faire serait d’arrêter de rafistoler le monde d’hier. Ainsi après les multiples plans de sauvetage des retraites, nous entrons dans la série des plans d’austérité budgétaires. En voulant préserver le modèle social français par coups de rabot successifs, nous ne sauverons pas le « modèle » et, plus grave, nous ne consacrerons pas les ressources nécessaires à l’invention du modèle d’après.

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