Les mots de la démocratie

Après l’arrêt du Laboratoire de la Transition Démocratique, je souhaite continuer sous d’autres formes la réflexion engagée sur l’imaginaire démocratique. Je propose ici une piste. Merci de me dire si ça vous intéresse de vous y associer !

Quelques mots d’abord pour expliquer pourquoi j’ai proposé d’arrêter le projet de Laboratoire de la Transition Démocratique, dont j’ai parlé ici à plusieurs reprises.

Le projet, après deux ans d’amorçage, n’a pas trouvé vraiment sa place : trop ambitieux, trop abstrait, pas assez de liens avec les acteurs de cette transition en cours, mais aussi pas assez de convergence entre les attentes des différents initiateurs et en conséquence pas assez de temps disponible pour aborder au fond le sujet. Nous nous sommes un peu enfermés dans notre propre organisation…

Le projet DE Laboratoire n’est donc pas poursuivi, en revanche le projet DU Laboratoire perdure, au-delà de l’échec de la forme que nous lui avions donné. Sur le fond en effet chacun reconnait la nécessité de travailler sur ce qu’est cette démocratie émergente, au-delà des initiatives de chacun dans son réseau, son collectif, son association. Notre intuition de travailler d’abord sur le nouvel imaginaire démocratique est toujours plus d’actualité.

Il y a quinze jours, j’étais à une rencontre à l’école d’archi de Lyon organisée dans le cadre du Temps des communs. Un participant dans la salle affirmait clairement sa crainte que les initiatives en cours autour de l’économie collaborative ne soient pas plus concluantes que celles du socialisme utopique de Proudhon à la fin du XIXème siècle. Il en appelait à un « nouvel imaginaire » qui puisse donner de la force aux initiatives existantes sans pour cela en appeler à la fédération de tous dans un projet commun. Christian Laval, l’un des  auteurs de Commun partageait ce propos en rappelant que le XIXème avait su faire émerger deux imaginaires puissants qui ont façonné le XXème siècle : la bourgeoisie a su sacraliser la propriété et le monde ouvrier a misé sur le fait associatif. Pour lui le « commun » est peut-être l’amorce d’un imaginaire propre au siècle actuel.

Même si le Labo ne perdure pas, des initiatives multiples autour de l’imaginaire vont se poursuivre :

  • Colette Desbois et moi continuons à rassembler des textes pour donner une première expression à cette recherche sous la forme d’une  revue.
  • Julie Maurel, Elisabeth Martini, Pascal Dreyer, Lise Sauvée réunissent des contributions sur un thème qui nous a beaucoup mobilisé : la place du religieux dans la démocratie
  • Philippe Cazeneuve, Jean-Pierre Reinmann, Pascale Puechavy et Christine Zanetto proposent des ateliers d’écriture pour dire la démocratie sous forme de fictions.
  • Armel Le Coz poursuit l’élaboration d’une fiction à auteurs multiples qui entend raconter l’émergence d’une nouvelle démocratie.
  • Les contacts noués à l’occasion des différentes rencontres que nous avons organisées continuent à vivre leur vie propre, comme la collaboration d’Hugues Bazin au projet de la Chimère citoyenne porté par Elisabeth Senegas à Grenoble.
  • Même s’il n’a pas vu le jour cette fois-ci, un dispositif de Democracy Remix a été envisagé par Emile Hooge en prolongement au City Remix lancé à la gare Saint-Paul de Lyon au printemps dernier et aux réflexions menées dans la cadre du Labo.

Après discussions avec Armel Le Coz, au moment où Démocratie Ouverte, l’association qu’il préside, revoit sa gouvernance en proposant de créer des cercles par projet, j’ai envie de proposer un cercle qui puisse être un des prolongements du Labo. Pas pour « reprendre » en l’état le projet du Labo, mais plutôt pour mener un chantier de recherche participative sur les mots de la démocratie.

Voici en quelques mots l’idée que je soumets à discussion afin de voir si des membres de Démocratie Ouverte et/ou des lecteurs de persopolitique.fr ont envie de s’en saisir avec moi.

Nouvel imaginaire démocratique, les mots pour le  dire

Même dévalués, les mots pour décrire la démocratie parlent (encore !) à tous : Suffrage universel, droits de l’Homme, vote, Parlement, République,… L’imaginaire perdure même quand les pratiques réelles laissent de plus en plus à désirer. Même les abstentionnistes, les déçus de la démocratie représentative ne peuvent tout simplement pas concevoir sa disparition.

Il n’y a en effet pas d’imaginaire sans mots communs. Des mots émotionnellement chargés pour chacun, qui racontent notre histoire, qui nous saisissent et nous dépassent. Des mots qui en amènent d’autres à l’esprit, spontanément, et qui, de la partie, font le tout : le simple mot de « vote » permet d’évoquer la République tout entière, ses différentes élections, son mode de décision où chaque voix compte,…

L’enjeu est donc majeur : comment faire en sorte que des mots nouveaux remplacent/complètent les mots anciens pour constituer un nouvel imaginaire ?

Certains diront à quoi bon ? Les imaginaires se construisent d’eux-mêmes par lente sélection et sédimentation. Personne ne peut prétendre « construire » un imaginaire. Evidemment ! Néanmoins on peut travailler à accélérer la cristallisation, face à la dégradation rapide du modèle précédent.

Ces mots nouveaux existent déjà mais ils n’ont pas la puissance d’évocation des mots de l’imaginaire ancien. On voit bien que certains mots sortent de l’oubli et de la confidentialité. Je le disais récemment pour COMMUN.

Voici une première tentative de lister ces mots, anciens et nouveaux, dans un joyeux désordre de concepts, de pratiques, de symboles… Pour moi l’idée n’est pas de classer rationnellement mais d’assembler sensiblement !

Voici donc ce que je propose de faire (ce n’est qu’une base de discussion) :

  1. On met ces listes de mot sur internet et on invite chacun à valider, enrichir ou modifier cette liste
  2. Ceux qui le souhaitent se saisissent d’un mot et proposent une fiction anticipant une pratique démocratique concernant ce mot (je l’avais fait par exemple sur le tirage au sort)
  3. Ces fictions sont mises en ligne en illustration des mots de la liste (il peut y avoir plusieurs fictions sur le même mot)
  4. L’idéal serait qu’on trouve ensuite un moyen de visualiser les liens que les fictions permettent de faire entre les mots et d’aboutir ainsi à une cartographie de l’imaginaire démocratique, où l’on verrait les mots intensément soutenus et/ou racontés en fiction, les mots bien reliés et les mots isolés,…

Que ceux qui sont intéressés n’hésitent pas à laisser un commentaire, si possible avant l’AG de Démocratie Ouverte du 30 octobre prochain.

Démocratie, sous le soleil…

Les vacances sont là, ou bientôt là ! Plus de temps pour lire, pour échanger, … pour écrire peut-être ! Je vous le souhaite. je serais en tous cas heureux de poursuivre nos conversations à distance. je commence,…

Premier jour de vacances. Soleil. Chaleur. Cigales. Odeur des pins. Bruit du vent, haut dans les branches… Je suis bien. Je suis dans  mon élément. Ce matin à 7h, j’étais dans la mer, seul. Pas une ride sur l’eau. Une lumière si douce lie mer et ciel dans une continuité de bleus et de jaunes très pales, le soleil à peine émergé des pins, sur les rochers. De minuscules bateaux de pêche rentrent un à un dans le port de Carro jouxtant la crique où je me baigne. Oui, mon élément. La Méditerranée est, plus encore que ma Charente natale, le lieu où je suis immédiatement  bien. Sans  doute les longues vacances d’été au sud de l’Espagne, enfant et adolescent, m’ont acclimaté à cette chaleur immobile. La magie des odeurs et des réminiscences, portée par  un souffle  d’air sous le chêne vert où je suis allongé, m’a amené loin de ce réfugié d’Afghanistan, l’enfant héros de ma première lecture estivale. Et puis, sans doute parce que cette présence, plus  forte que ma lecture, de l’Espagne de  mon enfance, du midi où je suis pour la journée, m’amènent à penser à la Grèce dont je me  sens si proche pour tant de raisons, personnelles et philosophiques, je reviens à ma préoccupation de tous les jours depuis des semaines : le moment très particulier  de notre histoire que nous sommes  en train de vivre avec la  tentative désespérée de Tsipras pour changer  la donne  européenne.

L’image de Tsipras épuisé, à la Une du Monde économie, me hante. Tsipras à la Une du Monde économieQuoi qu’on pense des positions politiques de Syriza, ce combat du gouvernement grec pour chercher une alternative à l’austérité bornée qui leur est imposée me touche. Il me touche d’autant plus qu’il semble se heurter à un mur. L’Europe devient chaque jour davantage une citadelle refermée sur ses certitudes et ses peurs. Refus de donner des  perspectives aux  Grecs, refus de prendre en compte les migrants des rives sud de la Méditerranée,… tout participe de ce complexe obsidional.

Nous évoquions avec l’éditeur et scénariste de bande dessinée Olivier Jouvray cette peur qui saisit aujourd’hui les élites, qui les  tétanise et les rend agressives. On n’est plus dans la  rationalité froide de ceux qui comptent mais dans la défense identitaire d’une croyance tellement ancrée que la réalité est déniée. Celui qui n’est pas d’accord n’est plus seulement un adversaire, c’est un fou dangereux. Regardez comment on a  parlé de Tsipras ! J’ai ainsi entendu le politologue Dominique Reynié, habituellement mesuré, se  déchaîner littéralement contre le choix de Tsipras de recourir  au référendum puis au vote du Parlement. J’avais  lu dans les années 80 un livre qui m’avait beaucoup frappé : la falsification du bien d’Alain Besançon. L’auteur y dénonçait la fermeture  du discours soviétique capable de retourner le moindre argument contraire, de le « falsifier »….. J’ai de plus en plus le sentiment que l’Europe en est arrivée à cette incapacité à se remettre en cause. Le débat continuera, mais ce sera de plus en plus illusoire. Ce qui est  terrible, c’est qu’on pourra justifier longtemps ce théâtre  d’ombre. La démocratie est prise au piège de ce qui a  fait sa puissance de transformation : le « faire  comme si » est en train de devenir un « faire semblant », mais c’est très difficile à rendre évident aux yeux de tous. Je m’explique. Le  « faire comme si », Philippe Dujardin l’explique très justement sur le blog du Laboratoire de  la Transition Démocratique. La démocratie, nous dit-il, suppose de ne pas s’arrêter à la réalité des inégalités, c’est une fiction, une construction, un processus dont on dit qu’il est advenu pour qu’il advienne.

 

L’assemblage des égaux, opère par escamotage, dénégation ou mise en oubli des écarts et distinctions de la condition de ses membres. […] Les égaux sont pensables comme des êtres de « fiction ». Encore faut-il redonner à fiction le sens premier qui est le sien, soit « façonnage », « fabrication ». Le façonnage de la cité, au sens grec et athénien, qui est toujours le nôtre, a pour condition de possibilité, non l’égalité  mais l’égalisation ; l’égalisation ne peut s’accomplir sans le truchement de l’opérateur du « comme si ». C’est sous effet du « comme si » que la voix d’un inexpert de 18 ans vaudra celle du président français du conseil constitutionnel ; c’est sous effet du comme si que, lors d’une assemblée générale de l’ONU, la voix d’Antigua (70 000 hbts), vaudra celle de l’Inde (1 210 193 000 hbts). Il ne faut cesser de nous en étonner !

 

Le problème est qu’aujourd’hui la logique fictionnelle de la démocratie tourne au « faire semblant ». On prend prétexte de l’égalité (la Grèce ne vaut pas plus que chacun des 18 autres membres de l’eurogroupe) pour éviter tout surgissement d’une parole dérangeante. Il ne faut pas oublier l’équation de « Douze hommes en colère ». Par le jeu de l’argumentation celui qui est seul au début à défendre un point de vue peut, par la seule force de l’argumentation, changer le destin qui semblait écrit d’avance. Et si la démocratie était tout entière dans le fait que rien ne soit écrit d’avance ? Que l’histoire s’écrit au fur et à mesure dans le surgissement des paroles contraires et pour tant complémentaires, s’acceptant comme  telles ? C’est ce mouvement qui semble aujourd’hui s’enrayer. La démocratie est vue désormais par trop d’Européens « raisonnables » comme un capital qu’il ne faut pas dilapider dans de folles  gesticulations, alors que la  démocratie véritable accepte de n’être rien qu’un processus toujours en cours et toujours incertain. Logique de flux contre logique de stock !

Deux visions  diamétralement opposées et pourtant née  l’une et l’autre sur le principe que la démocratie est un idéal et non une réalité. Mais  un idéal à préserver dans des symboles intangibles pour les uns, un idéal à construire dans l’acceptation de l’impromptu pour les autres.

 

Je termine ce texte, non plus sous les pins et les chênes verts du midi mais dans la douceur d’un matin charentais. Entretemps je suis passé par Toulouse où nous avons rencontré les parents d’une amie de Claire. La soirée passée avec eux a été riche d’échanges… sur la question démocratique (mais aussi d’un excellent cake à la menthe et à la ricotta et de  pâtes fraiches aux crevettes). Une fois encore, j’ai été frappé de la convergence  de vues possible entre personnes au parcours si différents. L’un et l’autre,enfants d’immigrés italiens, grandis dans la  sidérurgie finissante et sortis du milieu ouvrier par les études (lui chercheur en philosophie, elle enseignante et militante à l’extrême gauche).Moi, issu de cinq générations d’industriels, fondamentalement libéral (au sens politique), même si la plupart de mes interlocuteurs me considèrent de gauche ! Notre discussion sur le tirage au sort des députés a montré  une fois encore  que ce sujet est désormais mûr.

 

Pourquoi mêler ainsi considérations personnelles sur les vacances, les rencontres, et réflexion sur la Grèce et la démocratie ? La présence des cigales ou de la mer n’apportent rien, apparemment, à mon raisonnement sur la démocratie. N’y a-t-il pas, même, une forme d’indécence à lier ainsi plaisir du farniente et drame grec ? Pour moi, c’est et ça a  toujours été une même trame. J’ai toujours écrit ainsi, d’abord dans un cahier vert dès 1982, ensuite dans la lettre des Ateliers, maintenant sur ce blog. Ma réflexion est intimement liée aux émotions de la vie et il me semble naturel d’en tracer la généalogie, au fur et à mesure.

J’en reviens à ce point à ma conversation avec Olivier Jouvray, le scénariste de BD. Il pousse les étudiants d’Emile  Cohl à se mettre en scène dans les récits qu’ils inventent. Partir de leur réel plutôt que faire de la fiction à partir de la fiction des autres, dans une redite des récits qu’ils ont dévoré adolescents. Nous étions donc d’accord sur la nécessité d’un récit de la démocratie qui vient. Pas un simple témoignage sur les initiatives existantes, pas une fiction sur une utopie abstraite. Sans doute un aller et retour entre anticipation et reportage, entre  réflexion et expérience vécue.

Sur ce blog ou avec la Lettre des Ateliers, je n’ai jamais reçu autant de commentaires que lorsque l’émotion rejoignait le questionnement. Le questionnement, pas les affirmations rationnelles et péremptoires. Les  questions sont plus intéressantes que les réponses, souvent !

 

14 juillet, fête démocratique ?

Vous n’avez pas regardé le défilé militaire sur les Champs Elysées ? Moi non plus ! Le 14 juillet pourrait pourtant redevenir un moment-clé de notre imaginaire démocratique… Projetons-nous dans la politique-fiction !

Je rêve depuis des  années de saisir l’opportunité du 14 juillet pour en faire  un événement  démocratique qui vienne  interroger le cérémonial républicain auquel nous sommes tellement habitués… que nous n’en voyons plus la désuétude. Je ne  fais pas partie des antimilitaristes allergiques aux défilés militaires mais malgré tout ne pourrait-on pas repenser  notre fête nationale ? J’ai vu sur le  site de l’Elysée que le 14 juillet a été retenu en 1880 comme date de célébration de la République renaissante  mais encore fragile à l’époque. Il est intéressant de voir que parmi les dates possibles pour une fête nationale, on a retenu le 14 juillet parce que c’était l’intervention directe du peuple face à un symbole  de l’Ancien Régime (ni le Serment du jeu de Paume, ni la nuit du 4 août, ni Valmy, pourtant des événements porteurs d’avancées plus tangibles, n’étaient d’origine populaire). Si le choix de la date garde donc tout son sens, les éléments du cérémonial gagneraient à être revus.

Réfléchissant au tirage au sort des députés, j’avais naturellement imaginé qu’il aurait lieu le 14 juillet ! Voici ce que j’écrivais dans la politique-fiction que j’ai consacré au sujet. Je trouve que c’est une piste utile, même sans tirage au sort, pour redonner de la force à notre imaginaire démocratique ! Pour ceux qui veulent revenir sur cette idée du tirage  au sort des députés, j’avais résumé mon approche dans  une lettre-fiction.

Quel que soit l’intérêt technique du tirage au sort, pour avoir une chance de réussir, il doit s’inscrire dans notre imaginaire politique. Même si les campagnes et les soirées électorales ont perdu de leur attrait, elles demeurent un temps fort de notre vie démocratique. Quel cérémonial républicain inventer pour le tirage au sort des députés ? Le vote s’est appuyé sur des pratiques de l’ancien régime pour entrer dans nos mœurs. Sur quels éléments existant dans notre culture s’appuyer ?

Tirage au sort et télévision

Notre culture contemporaine est largement dominée par les médias, principalement par la télévision. Il y a longtemps que la politique l’a compris et qu’elle a remplacé les préaux des écoles par les plateaux télévisés. On ne peut imaginer d’installer le tirage au sort comme mode de désignation des députés sans chercher à voir comment impliquer les télés dans le processus.

Il ne faut pas voir cette alliance comme une abdication du politique face au médiatique mais comme une reconnaissance de la réalité de l’époque, qui peut être temporaire. Les membres de la Constituante de 1790 ont su construire le vote à partir de l’existant ; ils n’imaginaient pas que leur système électoral transiterait largement, deux siècles plus tard, par des médias tout puissants. 

La même aventure peut se reproduire et le tirage au sort vivra peut-être un jour avec des médias qui n’auront plus rien à voir avec nos mass médias, tout comme le suffrage universel a survécu au passage des régimes d’assemblées d’autrefois à la démocratie d’opinion d’aujourd’hui.

Alors quel type d’alliance imaginer entre le tirage au sort et la télévision ?

J’en propose une ici, simplement pour illustrer le propos. Bien d’autres configurations sont certainement imaginables.

 

14 juillet et téléthon

Qu’on puisse inventer une « fête républicaine » qui soit un mélange réussi de 14 juillet et de Téléthon serait sans doute un grand service à rendre à la chose publique !

Imaginons donc. On est dimanche matin, la fête commence. Le président de la république nouvellement élu ouvre officiellement la journée en direct de l’Elysée, devant les caméras de toutes les chaînes de télé. Chaque chaîne à sa manière fait ensuite le tour des régions pour connaître les programmes des festivités. On en profite pour donner à voir à cette occasion les grandes ou les petites avancées de la vie collective. A Lyon, le cours de Verdun est noir de monde, chacun voulant découvrir pour la première fois l’espace libéré par l’autoroute qui ne passe plus sous Fourvière. A Angoulême, une gigantesque exposition est consacrée aux héros de la BD politique. A Paris est organisé un concours de rhétorique ouvert à tous… en prévision des futures joutes à la tribune de l’Assemblée auxquelles bon nombre d’habitants espèrent bien demain participer.

Toute la journée les animations se succèdent à travers toute la France, relayées par les antennes de télévision.

Les inscriptions comme volontaire pour le tirage au sort se multiplient. Le nombre des inscrits est décuplé en quelques heures, alors que le registre informatique était ouvert depuis un mois. A la clôture, 6,8 millions de volontaires sont recensés, soit 2 millions de plus que l’an dernier, deuxième année de la mise en œuvre du tirage au sort. A 18 heures, les tirages au sort par « pays » et agglomérations commencent, relayés par les antennes régionales de France 3.

Dès que les premiers noms apparaissent sur les écrans, les reporters filent vers les domiciles des nouveaux députés pour recueillir leurs premières réactions. L’émotion et la dignité des propos font les plus belles images de télé-réalité qu’on puisse imaginer. Une règle déontologique concernant cette phase de notre nouvelle vie démocratique  a été mise en place pour l’ensemble des médias afin que cette première rencontre avec la vie publique ne se transforme pas en piège. Chacun doit avoir le temps de s’approprier cette fonction dans la dignité. Pourquoi les médias ne sont-ils pas tentés de chercher à révéler les opinions extrêmes ou revendicatives ? Tout simplement parce qu’on sait qu’elles sont forcément représentées par le jeu des grands nombres, il n’y a donc pas de révélation à faire.

Depuis les débuts du tirage au sort, on a appris à mieux comprendre la dynamique induite par ce nouveau mode de représentation. Lors des premiers tirages, on s’était inquiété des raisons qui poussaient à s’inscrire sur les listes des volontaires. L’un de ceux dont les médias s’étaient méfiés était soupçonné d’avoir voulu devenir député parce qu’il était militant d’une cause jusqu’à en devenir monomaniaque, connu au plan local pour être un procédurier redoutable, bloquant tous les grands projets de sa ville par des recours incessants devant les tribunaux. On l’imaginait déjà en imprécateur à la tribune de l’assemblée ; en fait, hors de ses combats locaux, il s’était vite révélé comme un juriste fort utile pour développer de nouvelles règles de concertation¹. Progressivement on s’est aperçu que sur des dossiers nationaux, peu de députés avaient des intérêts directs à défendre contrairement à ce qui se passait habituellement dans les conseils de quartier ou même dans les conseils de développement des grandes agglomérations. Plus généralement les députés, par l’effet du nombre et de l’importance de leur mission apprenaient vite à dépasser leurs a priori initiaux. Le travail délibératif, contrairement aux sondages qui fixent les opinions, aidait à nuancer les opinions les plus tranchées. Ainsi donc, forts de ce constat issu de l’expérience, les médias avaient mis au point cette « trêve de l’inquisition » pour laisser aux tirés au sort le temps de prendre la mesure de leur fonction.

A 20 heures, les télés nationales prennent le relais des télés régionales et présentent la composition de la nouvelle assemblée. Pour la première année, 25 jeunes de moins de 30 ans seront à l’Assemblée dont 15 issus de l’immigration. La parité ne sera pas encore atteinte cette année mais 40 % de femmes seront sur les travées du Palais Bourbon dès mardi, pour la séance inaugurale. Elles n’étaient que 10 % en 2002 et 18% en 2007.

Les membres du gouvernement invités sur les plateaux rappellent les priorités du président et les grands débats qui devront avoir lieu dans les prochaines semaines. Les politologues supputent les chances du président de faire passer ses projets compte tenu de la composition sociologique de l’Assemblée. Le renforcement de la présence des femmes devrait aussi faciliter le projet des « bureaux des temps », mais en ira-t-il de même pour la réforme de l’enseignement ? Les clubs politiques, qui se sont naturellement renforcés, nourrissent les débats en faisant état des dernières innovations citoyennes avec lesquelles les nouveaux acteurs politiques devront compter.

Le feu d’artifice et le bal populaire concluent la soirée, les traditions ont du bon, naturellement !!

 

Voir aussi sur le site du Laboratoire  de la Transition Démocratique la fiction en cours d’écriture où l’on reparle de tirage au sort. Trois chapitres vous attendent, le premier est

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¹ : Jacques Ion dit quelque chose de tout à fait similaire lorsqu’il parle  du NIMBY (not in my back yard) comme une des formes  d’engagement qui peut être « source de politisation ».

 

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