Démocratie, sous le soleil…

Les vacances sont là, ou bientôt là ! Plus de temps pour lire, pour échanger, … pour écrire peut-être ! Je vous le souhaite. je serais en tous cas heureux de poursuivre nos conversations à distance. je commence,…

Premier jour de vacances. Soleil. Chaleur. Cigales. Odeur des pins. Bruit du vent, haut dans les branches… Je suis bien. Je suis dans  mon élément. Ce matin à 7h, j’étais dans la mer, seul. Pas une ride sur l’eau. Une lumière si douce lie mer et ciel dans une continuité de bleus et de jaunes très pales, le soleil à peine émergé des pins, sur les rochers. De minuscules bateaux de pêche rentrent un à un dans le port de Carro jouxtant la crique où je me baigne. Oui, mon élément. La Méditerranée est, plus encore que ma Charente natale, le lieu où je suis immédiatement  bien. Sans  doute les longues vacances d’été au sud de l’Espagne, enfant et adolescent, m’ont acclimaté à cette chaleur immobile. La magie des odeurs et des réminiscences, portée par  un souffle  d’air sous le chêne vert où je suis allongé, m’a amené loin de ce réfugié d’Afghanistan, l’enfant héros de ma première lecture estivale. Et puis, sans doute parce que cette présence, plus  forte que ma lecture, de l’Espagne de  mon enfance, du midi où je suis pour la journée, m’amènent à penser à la Grèce dont je me  sens si proche pour tant de raisons, personnelles et philosophiques, je reviens à ma préoccupation de tous les jours depuis des semaines : le moment très particulier  de notre histoire que nous sommes  en train de vivre avec la  tentative désespérée de Tsipras pour changer  la donne  européenne.

L’image de Tsipras épuisé, à la Une du Monde économie, me hante. Tsipras à la Une du Monde économieQuoi qu’on pense des positions politiques de Syriza, ce combat du gouvernement grec pour chercher une alternative à l’austérité bornée qui leur est imposée me touche. Il me touche d’autant plus qu’il semble se heurter à un mur. L’Europe devient chaque jour davantage une citadelle refermée sur ses certitudes et ses peurs. Refus de donner des  perspectives aux  Grecs, refus de prendre en compte les migrants des rives sud de la Méditerranée,… tout participe de ce complexe obsidional.

Nous évoquions avec l’éditeur et scénariste de bande dessinée Olivier Jouvray cette peur qui saisit aujourd’hui les élites, qui les  tétanise et les rend agressives. On n’est plus dans la  rationalité froide de ceux qui comptent mais dans la défense identitaire d’une croyance tellement ancrée que la réalité est déniée. Celui qui n’est pas d’accord n’est plus seulement un adversaire, c’est un fou dangereux. Regardez comment on a  parlé de Tsipras ! J’ai ainsi entendu le politologue Dominique Reynié, habituellement mesuré, se  déchaîner littéralement contre le choix de Tsipras de recourir  au référendum puis au vote du Parlement. J’avais  lu dans les années 80 un livre qui m’avait beaucoup frappé : la falsification du bien d’Alain Besançon. L’auteur y dénonçait la fermeture  du discours soviétique capable de retourner le moindre argument contraire, de le « falsifier »….. J’ai de plus en plus le sentiment que l’Europe en est arrivée à cette incapacité à se remettre en cause. Le débat continuera, mais ce sera de plus en plus illusoire. Ce qui est  terrible, c’est qu’on pourra justifier longtemps ce théâtre  d’ombre. La démocratie est prise au piège de ce qui a  fait sa puissance de transformation : le « faire  comme si » est en train de devenir un « faire semblant », mais c’est très difficile à rendre évident aux yeux de tous. Je m’explique. Le  « faire comme si », Philippe Dujardin l’explique très justement sur le blog du Laboratoire de  la Transition Démocratique. La démocratie, nous dit-il, suppose de ne pas s’arrêter à la réalité des inégalités, c’est une fiction, une construction, un processus dont on dit qu’il est advenu pour qu’il advienne.

 

L’assemblage des égaux, opère par escamotage, dénégation ou mise en oubli des écarts et distinctions de la condition de ses membres. […] Les égaux sont pensables comme des êtres de « fiction ». Encore faut-il redonner à fiction le sens premier qui est le sien, soit « façonnage », « fabrication ». Le façonnage de la cité, au sens grec et athénien, qui est toujours le nôtre, a pour condition de possibilité, non l’égalité  mais l’égalisation ; l’égalisation ne peut s’accomplir sans le truchement de l’opérateur du « comme si ». C’est sous effet du « comme si » que la voix d’un inexpert de 18 ans vaudra celle du président français du conseil constitutionnel ; c’est sous effet du comme si que, lors d’une assemblée générale de l’ONU, la voix d’Antigua (70 000 hbts), vaudra celle de l’Inde (1 210 193 000 hbts). Il ne faut cesser de nous en étonner !

 

Le problème est qu’aujourd’hui la logique fictionnelle de la démocratie tourne au « faire semblant ». On prend prétexte de l’égalité (la Grèce ne vaut pas plus que chacun des 18 autres membres de l’eurogroupe) pour éviter tout surgissement d’une parole dérangeante. Il ne faut pas oublier l’équation de « Douze hommes en colère ». Par le jeu de l’argumentation celui qui est seul au début à défendre un point de vue peut, par la seule force de l’argumentation, changer le destin qui semblait écrit d’avance. Et si la démocratie était tout entière dans le fait que rien ne soit écrit d’avance ? Que l’histoire s’écrit au fur et à mesure dans le surgissement des paroles contraires et pour tant complémentaires, s’acceptant comme  telles ? C’est ce mouvement qui semble aujourd’hui s’enrayer. La démocratie est vue désormais par trop d’Européens « raisonnables » comme un capital qu’il ne faut pas dilapider dans de folles  gesticulations, alors que la  démocratie véritable accepte de n’être rien qu’un processus toujours en cours et toujours incertain. Logique de flux contre logique de stock !

Deux visions  diamétralement opposées et pourtant née  l’une et l’autre sur le principe que la démocratie est un idéal et non une réalité. Mais  un idéal à préserver dans des symboles intangibles pour les uns, un idéal à construire dans l’acceptation de l’impromptu pour les autres.

 

Je termine ce texte, non plus sous les pins et les chênes verts du midi mais dans la douceur d’un matin charentais. Entretemps je suis passé par Toulouse où nous avons rencontré les parents d’une amie de Claire. La soirée passée avec eux a été riche d’échanges… sur la question démocratique (mais aussi d’un excellent cake à la menthe et à la ricotta et de  pâtes fraiches aux crevettes). Une fois encore, j’ai été frappé de la convergence  de vues possible entre personnes au parcours si différents. L’un et l’autre,enfants d’immigrés italiens, grandis dans la  sidérurgie finissante et sortis du milieu ouvrier par les études (lui chercheur en philosophie, elle enseignante et militante à l’extrême gauche).Moi, issu de cinq générations d’industriels, fondamentalement libéral (au sens politique), même si la plupart de mes interlocuteurs me considèrent de gauche ! Notre discussion sur le tirage au sort des députés a montré  une fois encore  que ce sujet est désormais mûr.

 

Pourquoi mêler ainsi considérations personnelles sur les vacances, les rencontres, et réflexion sur la Grèce et la démocratie ? La présence des cigales ou de la mer n’apportent rien, apparemment, à mon raisonnement sur la démocratie. N’y a-t-il pas, même, une forme d’indécence à lier ainsi plaisir du farniente et drame grec ? Pour moi, c’est et ça a  toujours été une même trame. J’ai toujours écrit ainsi, d’abord dans un cahier vert dès 1982, ensuite dans la lettre des Ateliers, maintenant sur ce blog. Ma réflexion est intimement liée aux émotions de la vie et il me semble naturel d’en tracer la généalogie, au fur et à mesure.

J’en reviens à ce point à ma conversation avec Olivier Jouvray, le scénariste de BD. Il pousse les étudiants d’Emile  Cohl à se mettre en scène dans les récits qu’ils inventent. Partir de leur réel plutôt que faire de la fiction à partir de la fiction des autres, dans une redite des récits qu’ils ont dévoré adolescents. Nous étions donc d’accord sur la nécessité d’un récit de la démocratie qui vient. Pas un simple témoignage sur les initiatives existantes, pas une fiction sur une utopie abstraite. Sans doute un aller et retour entre anticipation et reportage, entre  réflexion et expérience vécue.

Sur ce blog ou avec la Lettre des Ateliers, je n’ai jamais reçu autant de commentaires que lorsque l’émotion rejoignait le questionnement. Le questionnement, pas les affirmations rationnelles et péremptoires. Les  questions sont plus intéressantes que les réponses, souvent !

 

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

Une réflexion sur « Démocratie, sous le soleil… »

  1. En lisant le blog, je me suis convaincu aussi qu’un nouveau récit de la démocratie est plus que nécessaire qui sorte justement de ce « faire semblant ». Faire semblant que la démocratie soit représentative alors qu’elle ne représente plus personne, que l’économie soit pur calcul rationnel quand elle est pétrie de croyances irrationnelles. C’est un peu ce que Latour (avec Lépinay) va chercher chez Tarde, dans son livre sur L’économie, science des intérêts passionnés. Lorsque Tarde lit Marx dans La psychologie économique, il a la certitude que le capitalisme n’est pas la forme de la modernité, il ne fait au contraire qu’épouser l’économie. Le fait primitif économique, qu’est-ce d’autre que le crédit-production ? Ce n’est pas l’échange-consommation qui suffit à expliquer le capitalisme : «J’ai encore à faire remarquer à propos du capital que sa véritable source, dès les plus anciens débuts de l’évolution économique, est un acte de foi et de confiance, premier embryon du crédit, qui est, manifestement, l’âme de la vie productrice des sociétés civilisées. On n’a dit que la moitié de la vérité quand on a vu dans le contrat d’échange le fait économique essentiel et initial. L’échange, à vrai dire, ne favorise et ne développe directement que la consommation. L’agent direct de la production est un autre contrat, non moins initial, non moins fondamental, le contrat de prêt. Par l’échange, on se rend service l’un à l’autre, mais en se défiant l’un de l’autre : donnant donnant ; par le prêt, on se confie. »
    Si le fond même du capitalisme est le crédit, ses crises sont donc toujours des crises du crédit, de la confiance, elles portent toujours sur ce qu’on peut confier ou non. Il est visible que la croyance, la foi économique, le credo dogmatique des acteurs ont une action qui ne saurait être séparée du jeu économique lui-même. A quoi bon invoquer une superstructure économique aveugle indépendante des acteurs ? Ou un réel qui les surplomberait ? Qui ne pourrait accepter de dire aujourd’hui, avec Frédéric Lordon, devant « l’acharnement dogmatique envers et contre les infirmations du réel », devant « la constance dans l’aberration » des solutions de crise, devant « la combinaison hétéroclite de stratèges opportunistes et de croyants au premier degré », devant la folie des certitudes néolibérales, devant la comédie des arrangements au plus haut sommet de l’Europe, que le problème c’est bien au fond ce que les acteurs croient ? L’obstination que les acteurs économiques ont à suivre aveuglément les schémas les plus éculés et inefficaces montre que « si ce n’est l’esprit de Laurel et Hardy qui règne aujourd’hui sur l’Europe, c’est peut-être alors celui de saint Augustin : Credo quia absurdum (j’y crois parce que c’est absurde) »
    Les tenants de l’économie calculatrice, rationnelle, rigoureusement scientifique, tiennent-ils compte de ses luttes passionnelles d’intérêt, des systèmes de croyances, des interférences multiples, contradictoires, des convictions hystériques et de leurs influences sur l’échelle des valorisations. Oui, on peut se demander avec Laourt et Lépinay par quel miracle l’économie a-t-elle pu se muer en science désintéressée de l’intérêt quand tout repose sur des persuasions et des « passions dominantes » ? Comment aujourd’hui encore avec la crise grecque ne pas voir le fond irrationnel de l’économie pris dans des jeux « d’une intensité inouï » de conquête, de lutte, de possession (Tarde) ? Ne voyons-nous pas nous-mêmes en ces temps de crise que les marchés financiers échangent principalement de la confiance, du crédit, de la croyance, de la passion… ? La nature de l’économie ne nous apparaît-elle pas sans détour « extra-économique » ? (Latour et Lépinay)

    Dans la sociologie tardienne, un monde commun se forme parce que les éléments différentiels entrent dans une intégrale qui les impliquent les uns les autres. Chaque élément, qu’il soit naturel, biologique, technique ou politique, résonne dans tous les autres, produit des effets sur eux et en subit en retour. Le fourmillement des influences infinitésimales créent des lignes de devenir capables de courber l’histoire ou l’économie, la science ou la religion. Aucune instance ne commande, ni dans la nature, ni dans la société, aucun Dieu, aucune loi providentielle, aucune intelligence, aucune raison. Le réel fait place aux inventions les plus hétéroclites, bizarres, voire grimaçantes (« le caractère bizarre et grimaçant de la réalité »-Tarde), comme aux plus étonnantes, « féériques », bigarrées. L’action incessante de ces poussées infinitésimales sillonnant en tous sens l’univers modifie l’espace et le temps, produit des conjonctures nouvelles, des microcosmes et des milieux étranges, des fédérations inédites. On comprend que le sociologue Latour ait pu être fasciné par cette métaphysique. Qui nous enseigne que la crise grecque n’est qu’une crise des intérêts passionnés, et rien d’autre. En tout cas, jamais un pur calcul rationnel, en l’absence même de toute base démocratique.
    Pierre Montebello

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