Agir Café à Lyon, un café des envies d’agir

Une grande table au fond du café, et déjà, quand j’arrive, une quinzaine de personnes autour. On se tasse déjà un peu. L’objet de la rencontre : les envies d’agir que l’on souhaite partager… Pourquoi raconter cette initiative ? parce que c’est à la fois un aboutissement et un démarrage.

Une grande table au fond du café, et déjà, quand j’arrive, une quinzaine de personnes autour. On se tasse déjà un peu. Finalement nous serons 23 réunis au Café de la Cloche, café bien connu à Lyon pour accueillir des cafés philo et toutes les déclinaisons possibles. L’objet de la rencontre : les envies d’agir que l’on souhaite partager, pour les tester ou pour avoir un appui. C’est la première ! et tout de suite ça fonctionne. Trois envies sont partagées : celle d’étudiants à l’ENTPE qui veulent intéresser les jeunes à une concertation sur le bouclage du périphérique de Lyon ; celle d’une infirmière retraitée qui aimerait relancer son projet de maison d’accueil pour malades en soins palliatifs ; celle d’un vieux baroudeur des instances de concertation qui voit là une occasion de remettre sur le métier un projet qui lui tient à cœur mais qui peine à voir le jour : l’ouverture dans l’espace public de lieux de dialogue ouverts à tous.

Pas de méthodologie d’accompagnement de projet, pas de formalisme : juste des rencontres et l’envie de s’entraider. On commence par former des  petits groupes avec ceux qui se sentent concernés par l’un des sujets. D’abord plein de questions sur l’idée présentée, et bientôt des avis sur la manière d’avancer, et des rendez-vous pour aller plus loin. Un « référent » est désigné parmi les initiateurs du café pour assurer le suivi. Deux heures ont passé. Prochain Agir Café dans un mois.

Pourquoi raconter cette initiative ? parce que c’est à la fois un aboutissement et un démarrage. Un moment heureux où malgré la nuit et le froid de novembre, je me sens bien. Je retrouve des personnes qui se sont perdues de vue depuis la fin des Ateliers de la Citoyenneté mais qui manifestement ont toujours envie de retrouver des occasions de rencontres du même genre. Je découvre des visages nouveaux, des personnes mues par la même énergie que celle  qui nous a amenés il y a dix ans déjà à créer les Ateliers.

Si je parle d’aboutissement c’est que le projet des Agir Cafés est le fruit du groupe de travail que nous avons animé avec Philippe Bernoux l’an dernier sur l’empowerment. Un groupe de réflexion qui se concrétise, c’est toujours une forme de succès ! Plus encore quand l’initiative vient des participants eux-mêmes, Philippe et moi ayant annoncé que nous ne serions pas moteurs pour les suites éventuelles. Pour moi, c’est ça le plus intéressant : quand on crée les conditions d’éclosion d’une initiative mais que d’autres s’en saisissent et en font leur projet.

Mais bien sûr, c’est avant tout un démarrage, avec l’enthousiasme et la fragilité des débuts ! Bon vent aux Agir Café ! Vous pourrez en suivre les développements sur le blog créé sur le site de Rue 89 Lyon : empowerment Lyon. Je viens de poster un texte sur ce blog sur la manière dont on devrait/pourrait conduire les réformes… en s’appuyant sur l’empowerment, bien sûr !

 

 

Vacance du pouvoir

En naviguant dans le foisonnement des tribunes du monde.fr, je suis tombé l’autre jour sur un papier réjouissant d’un auteur belge, Frank De Bondt, à propos de la « crise » belge. Il nous dit : « Au lieu de compatir aux malheurs de cette pauvre Belgique, ne serait-il pas plus judicieux de la donner en exemple à tous ceux qui en ont soupé des discours souverainistes, nationalistes et autoritaires ? […] La leçon donnée par la Belgique, s’il y en a une, est celle d’un pays capable de se conduire seul, où les citoyens ont appris à se gouverner comme des adultes responsables. N’est-ce pas l’objectif que devrait poursuivre toute démocratie ? »

Il s’amuse de voir que les Français semblent plus inquiets que les Belges de cette situation de vacance du pouvoir. Pour ceux qui croient à la politique, à l’importance des gouvernements, il est clair que la situation belge crée un malaise. On peut donc se passer d’un premier ministre de plein exercice.  La vacance du pouvoir en Belgique ne révèle-t-elle pas,  en creux ( !),   la vacuité du pouvoir politique des Etats ? Vacance, vacuité, vanité : trois mots pour parler du vide. Si l’Ecclésiaste affirme que tout est vanité, nous restons pourtant des « croyants » en matière politique. Sarkozy ou Obama, pour ne parler que de nos derniers emballements collectifs, devaient changer la politique. Malgré les grandes différences d’approche des deux hommes, leur volontarisme n’a pas résisté à la force des choses.

Thierry Crouzet, qui a beaucoup écrit sur la transformation du pouvoir à l’heure d’Internet, croit que « la solution ne peut plus venir d’un homme providentiel (ou d’une femme). Elle doit être distribuée entre une multitude d’individus. Il n’y a pas une idée miracle mais une multitude d’idées intéressantes et qui valent la peine d’être expérimentées. C’est la démerdocratie ». Le mot n’est pas génial parce qu’il laisse trop penser que ce sont les individus qui peuvent agir (se démerder) et que ça passe avant tout par internet. Pour autant l’essentiel est bien vu : n’attendons pas LA solution d’en haut, construisons DES solutions en nous reliant de proche en proche, en articulant rencontre locale et connexion à distance.

Vive la leçon belge ! Elle nous invite à nous gouverner nous-mêmes.

Contagion

Un retour sur le mouvement démocratique qui secoue le monde arabe en s’intéressant au terme de « contagion » employé pour en parler dans les médias et en s’interrogeant du même coup sur notre propre rapport à la démocratie.

J’évite en règle générale de commenter l’actualité sur laquelle je ne sais rien de plus que ce qui s’écrit ou se dit ici et là. Je n’aurais donc pas commenté les récents événements tunisiens (et maintenant égyptiens ?), s’il ne s’agissait pas tout simplement de notre rapport à la démocratie. Et puis un mot m’a frappé comme beaucoup de gens, celui de contagion pour parler de la possibilité  d’une extension du mouvement aux autres pays arabes. C’est ce fil que j’ai eu envie de tirer. Il nous amène à réfléchir à une toute autre contagion, réellement menaçante celle-là.

Même utilisé de façon métaphorique, le terme de contagion employé pour parler de la démocratie montre au mieux les réflexes hygiénistes de nos sociétés, au pire la manifestation d’une crainte pour tout ce qui vient déranger l’ordre immuable des choses dans un monde où l’on vante pourtant le changement permanent (en fait l’adaptation permanente des individus aux mutations imposées par les organisations). Sur le site de France-Culture, quelqu’un proposait d’autres mots que contagion : extension, transmission, élan. J’aime bien ELAN, ça me fait penser à Jacqueline de Romilly et à son « Elan des citoyens », l’association qu’elle avait soutenue justement pour que les citoyens se réapproprient la démocratie.

Sur le fond de l’affaire, je crois à la force d’entraînement de l’exemple tunisien, même si les obstacles à surmonter sont bien différents d’un pays à l’autre. Un ami, bon connaisseur des trois pays du Maghreb, doutait de la possibilité d’aboutir au même résultat qu’en Tunisie, même si la révolte pouvait gagner l’Algérie et le Maroc. Pour lui, l’enjeu du pétrole en Algérie ou la présence américaine au Maroc risquent  d’inciter la « communauté internationale » à préférer la stabilité de régimes amis, même peu démocratiques.

Rares sont les régimes, même soutenus de l’extérieur, qui parviennent à résister face à la pression de la rue quand le moment est venu. Rappelons-nous le jeu de dominos de l’Europe de l’Est. On oublie que « la chute du Mur » n’a pas été un événement instantané. Les pays se sont ouverts les uns après les autres et chacun se demandait si ça pouvait continuer, si l’Union soviétique allait laisser faire. On supputait de l’importance stratégique de la Pologne, de l’Allemagne de l’Est ou des Pays baltes. Ils ont tous franchi le Rubicon. L’élan était trop puissant pour être arrêté. En est-on là au Maghreb et plus largement dans le monde arabe ? J’ai tendance à le penser.

On s’est trop habitué à croire les régimes politiques quasi-immuables, et particulièrement les nôtres. C’est assez paradoxal de voir que notre civilisation accepte que tout bouge tout le temps sauf notre organisation politique, qui serait selon le mot agaçant de Churchill « le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». Cette formule qu’on ne discute plus est pourtant triplement discutable. D’abord parce qu’elle fait preuve d’une fausse modestie : on ne prétend pas à l’excellence mais au « moins pire », or une arrogance qui ne s’assume pas est à mon avis pire que la forfanterie.  La formule ensuite disqualifie tous les autres régimes possibles : qui aurait en effet envie d’aller voir pire que le pire régime ? On n’est pas dans la concurrence mais bien dans la disqualification a priori. Il n’y a donc plus rien à penser, la démocratie devient un état de fait alors qu’on sait en réalité qu’elle est une construction jamais achevée. Enfin, même « à l’exception de tous les autres », on dit malgré tout que la démocratie est le pire des régimes. Trait d’humour anglais au départ, la formule à force d’être répétée, devient le signe du cynisme et de la suffisance des régimes installés dans une démocratie de confort, effectivement bien loin des élans qui animent aujourd’hui la rive sud de la Méditerranée.

Nous faisons trop comme si nos démocraties étaient exemplaires.  La liste serait pourtant longue de nos faux-semblants démocratiques, surtout si l’on regarde au-delà du régime politique proprement dit pour envisager les dynamiques sociales, notre capacité collective à construire du « vivre ensemble ».

Je crains donc une tout autre contagion que celle évoquée à propos de la Tunisie. Il ne me paraît pas impossible qu’on assiste à l’abandon progressif, dans les 15 ans qui viennent, du modèle démocratique dans les pays occidentaux. Nous l’avons en effet tellement dévitalisé qu’il risque de ne plus être défendu de l’intérieur. Les crises encore à venir (écologiques, sociales, géopolitiques tout autant que financières et économiques) vont continuer à saper la confiance dans un régime apparemment sans prise avec les réalités (ou pire qui semble s’accommoder de la désespérance d’une part sans cesse plus grande de la population).  Je me demande si l’attrait que la démocratie exerce encore sur les peuples asservis ne tient pas  de la persistance de la lumière des astres morts. Déjà la Chine se tourne vers le néo-confucianisme plutôt que vers la démocratie comme option pour sortir de la dictature communiste de marché.

Et si c’était chez nous qu’il fallait organiser la « contagion » du réveil tunisien ?