14 juillet, fête démocratique ?

Vous n’avez pas regardé le défilé militaire sur les Champs Elysées ? Moi non plus ! Le 14 juillet pourrait pourtant redevenir un moment-clé de notre imaginaire démocratique… Projetons-nous dans la politique-fiction !

Je rêve depuis des  années de saisir l’opportunité du 14 juillet pour en faire  un événement  démocratique qui vienne  interroger le cérémonial républicain auquel nous sommes tellement habitués… que nous n’en voyons plus la désuétude. Je ne  fais pas partie des antimilitaristes allergiques aux défilés militaires mais malgré tout ne pourrait-on pas repenser  notre fête nationale ? J’ai vu sur le  site de l’Elysée que le 14 juillet a été retenu en 1880 comme date de célébration de la République renaissante  mais encore fragile à l’époque. Il est intéressant de voir que parmi les dates possibles pour une fête nationale, on a retenu le 14 juillet parce que c’était l’intervention directe du peuple face à un symbole  de l’Ancien Régime (ni le Serment du jeu de Paume, ni la nuit du 4 août, ni Valmy, pourtant des événements porteurs d’avancées plus tangibles, n’étaient d’origine populaire). Si le choix de la date garde donc tout son sens, les éléments du cérémonial gagneraient à être revus.

Réfléchissant au tirage au sort des députés, j’avais naturellement imaginé qu’il aurait lieu le 14 juillet ! Voici ce que j’écrivais dans la politique-fiction que j’ai consacré au sujet. Je trouve que c’est une piste utile, même sans tirage au sort, pour redonner de la force à notre imaginaire démocratique ! Pour ceux qui veulent revenir sur cette idée du tirage  au sort des députés, j’avais résumé mon approche dans  une lettre-fiction.

Quel que soit l’intérêt technique du tirage au sort, pour avoir une chance de réussir, il doit s’inscrire dans notre imaginaire politique. Même si les campagnes et les soirées électorales ont perdu de leur attrait, elles demeurent un temps fort de notre vie démocratique. Quel cérémonial républicain inventer pour le tirage au sort des députés ? Le vote s’est appuyé sur des pratiques de l’ancien régime pour entrer dans nos mœurs. Sur quels éléments existant dans notre culture s’appuyer ?

Tirage au sort et télévision

Notre culture contemporaine est largement dominée par les médias, principalement par la télévision. Il y a longtemps que la politique l’a compris et qu’elle a remplacé les préaux des écoles par les plateaux télévisés. On ne peut imaginer d’installer le tirage au sort comme mode de désignation des députés sans chercher à voir comment impliquer les télés dans le processus.

Il ne faut pas voir cette alliance comme une abdication du politique face au médiatique mais comme une reconnaissance de la réalité de l’époque, qui peut être temporaire. Les membres de la Constituante de 1790 ont su construire le vote à partir de l’existant ; ils n’imaginaient pas que leur système électoral transiterait largement, deux siècles plus tard, par des médias tout puissants. 

La même aventure peut se reproduire et le tirage au sort vivra peut-être un jour avec des médias qui n’auront plus rien à voir avec nos mass médias, tout comme le suffrage universel a survécu au passage des régimes d’assemblées d’autrefois à la démocratie d’opinion d’aujourd’hui.

Alors quel type d’alliance imaginer entre le tirage au sort et la télévision ?

J’en propose une ici, simplement pour illustrer le propos. Bien d’autres configurations sont certainement imaginables.

 

14 juillet et téléthon

Qu’on puisse inventer une « fête républicaine » qui soit un mélange réussi de 14 juillet et de Téléthon serait sans doute un grand service à rendre à la chose publique !

Imaginons donc. On est dimanche matin, la fête commence. Le président de la république nouvellement élu ouvre officiellement la journée en direct de l’Elysée, devant les caméras de toutes les chaînes de télé. Chaque chaîne à sa manière fait ensuite le tour des régions pour connaître les programmes des festivités. On en profite pour donner à voir à cette occasion les grandes ou les petites avancées de la vie collective. A Lyon, le cours de Verdun est noir de monde, chacun voulant découvrir pour la première fois l’espace libéré par l’autoroute qui ne passe plus sous Fourvière. A Angoulême, une gigantesque exposition est consacrée aux héros de la BD politique. A Paris est organisé un concours de rhétorique ouvert à tous… en prévision des futures joutes à la tribune de l’Assemblée auxquelles bon nombre d’habitants espèrent bien demain participer.

Toute la journée les animations se succèdent à travers toute la France, relayées par les antennes de télévision.

Les inscriptions comme volontaire pour le tirage au sort se multiplient. Le nombre des inscrits est décuplé en quelques heures, alors que le registre informatique était ouvert depuis un mois. A la clôture, 6,8 millions de volontaires sont recensés, soit 2 millions de plus que l’an dernier, deuxième année de la mise en œuvre du tirage au sort. A 18 heures, les tirages au sort par « pays » et agglomérations commencent, relayés par les antennes régionales de France 3.

Dès que les premiers noms apparaissent sur les écrans, les reporters filent vers les domiciles des nouveaux députés pour recueillir leurs premières réactions. L’émotion et la dignité des propos font les plus belles images de télé-réalité qu’on puisse imaginer. Une règle déontologique concernant cette phase de notre nouvelle vie démocratique  a été mise en place pour l’ensemble des médias afin que cette première rencontre avec la vie publique ne se transforme pas en piège. Chacun doit avoir le temps de s’approprier cette fonction dans la dignité. Pourquoi les médias ne sont-ils pas tentés de chercher à révéler les opinions extrêmes ou revendicatives ? Tout simplement parce qu’on sait qu’elles sont forcément représentées par le jeu des grands nombres, il n’y a donc pas de révélation à faire.

Depuis les débuts du tirage au sort, on a appris à mieux comprendre la dynamique induite par ce nouveau mode de représentation. Lors des premiers tirages, on s’était inquiété des raisons qui poussaient à s’inscrire sur les listes des volontaires. L’un de ceux dont les médias s’étaient méfiés était soupçonné d’avoir voulu devenir député parce qu’il était militant d’une cause jusqu’à en devenir monomaniaque, connu au plan local pour être un procédurier redoutable, bloquant tous les grands projets de sa ville par des recours incessants devant les tribunaux. On l’imaginait déjà en imprécateur à la tribune de l’assemblée ; en fait, hors de ses combats locaux, il s’était vite révélé comme un juriste fort utile pour développer de nouvelles règles de concertation¹. Progressivement on s’est aperçu que sur des dossiers nationaux, peu de députés avaient des intérêts directs à défendre contrairement à ce qui se passait habituellement dans les conseils de quartier ou même dans les conseils de développement des grandes agglomérations. Plus généralement les députés, par l’effet du nombre et de l’importance de leur mission apprenaient vite à dépasser leurs a priori initiaux. Le travail délibératif, contrairement aux sondages qui fixent les opinions, aidait à nuancer les opinions les plus tranchées. Ainsi donc, forts de ce constat issu de l’expérience, les médias avaient mis au point cette « trêve de l’inquisition » pour laisser aux tirés au sort le temps de prendre la mesure de leur fonction.

A 20 heures, les télés nationales prennent le relais des télés régionales et présentent la composition de la nouvelle assemblée. Pour la première année, 25 jeunes de moins de 30 ans seront à l’Assemblée dont 15 issus de l’immigration. La parité ne sera pas encore atteinte cette année mais 40 % de femmes seront sur les travées du Palais Bourbon dès mardi, pour la séance inaugurale. Elles n’étaient que 10 % en 2002 et 18% en 2007.

Les membres du gouvernement invités sur les plateaux rappellent les priorités du président et les grands débats qui devront avoir lieu dans les prochaines semaines. Les politologues supputent les chances du président de faire passer ses projets compte tenu de la composition sociologique de l’Assemblée. Le renforcement de la présence des femmes devrait aussi faciliter le projet des « bureaux des temps », mais en ira-t-il de même pour la réforme de l’enseignement ? Les clubs politiques, qui se sont naturellement renforcés, nourrissent les débats en faisant état des dernières innovations citoyennes avec lesquelles les nouveaux acteurs politiques devront compter.

Le feu d’artifice et le bal populaire concluent la soirée, les traditions ont du bon, naturellement !!

 

Voir aussi sur le site du Laboratoire  de la Transition Démocratique la fiction en cours d’écriture où l’on reparle de tirage au sort. Trois chapitres vous attendent, le premier est

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¹ : Jacques Ion dit quelque chose de tout à fait similaire lorsqu’il parle  du NIMBY (not in my back yard) comme une des formes  d’engagement qui peut être « source de politisation ».

 

Dire la démocratie

Alexandre Jardin à Canal+ pour parler de démocratie. Occasion pour moi d’une « valse à 4 temps ». Intérêt d’abord, déception tout de suite après, réflexion ensuite, espoir finalement. Une valse-hésitation, qui, je crois, dit bien le moment très particulier dans lequel nous sommes entrés, celui, qu’avec d’autres, je nomme la transition démocratique.

 

Alexandre Jardin à Canal+ pour parler de démocratie. Occasion pour moi d’une « valse à 4 temps ». Intérêt d’abord, déception tout de suite après, réflexion ensuite, espoir finalement. Une valse-hésitation, qui, je  crois, dit bien le moment  très  particulier  dans lequel nous sommes entrés, celui, qu’avec d’autres, je nomme la transition démocratique.

1er temps : intérêt

Quand  Alexandre Jardin prend la parole  à la télévision sur les  questions d’engagement civique, on s’attend toujours à des paroles décoiffantes. J’avais beaucoup aimé, avant les présidentielles de 2007, son apostrophe : « Si l’ensemble de notre société était capable de mobiliser sa créativité et ses potentiels les plus inattendus sur les questions éducatives, nous serions plus riches, sans doute moins cons et probablement plus gais ! » Depuis son premier livre  sur le sujet 1+1+1, Alexandre Jardin nous a habitués à ses coups de gueule et à ses éclats de rire pour nous inviter à voir l’action des citoyens comme une chance pour le  bien commun et plus encore comme  le meilleur moyen de  vivre pleinement sa vie en se faisant plaisir. Cet épicurien civique me changeait des militants tellement sérieux et révoltés qu’ils en oubliaient de jouir de la  vie ! Donc en entendant qu’il passait au Grand  Journal de Canal +, je  décidais de renoncer à mon zapping favori, le grappillage entre le Journal de la  Culture  de la 5, le 28 minutes d’Arte et le Petit Journal de Canal.

2ème temps : déception

Je suis sorti de ce moment de télé improbable plutôt perplexe. Jardin a à peine réussi à faire  comprendre son message alors que l’antenne avait construit l’émission autour de lui. Ce qui me semblait neuf, son idée de « contrat de mission » à signer avec des élus locaux pour mettre en place un bouquet de solutions déjà  expérimentées, était noyé dans  une  mise  en scène emphatique et vieillotte avec des maires ruraux ceints de leur écharpe tricolore,  installés en face d’une cohorte de « faiseux » avec une écharpe zébrée en référence au mouvement lancé  l’an dernier par Jardin. Le pire a été  qu’un de ces élus a entonné l’hymne national faisant lever l’ensemble des personnes présentes sur le plateau, animateurs compris, à l’exception de Jean-Michel Apathie. Ça a eu pour moi l’effet inverse de celui recherché : notre hymne ne convient décidément pas à autre chose qu’à l’exaltation sportive et nationaliste (même le  11 janvier dernier après les attentats, j’ai été incapable de le  chanter alors que j’étais pris dans l’émotion de la foule débouchant sur la place Bellecour ) ; face à mon écran, impossible de participer sur commande à un moment d’union nationale « improvisée ». Ce qui aurait dû être une insurrection civique virait au pathos républicain qui plus est complètement à contresens  de l’esprit de cette chaîne  qui a fait de la dérision sa seconde nature.

J’ai réentendu Alexandre Jardin à la  radio dans le week-end et je l’ai trouvé plus juste, plus léger.  C’est compliqué de trouver la bonne  manière de parler de démocratie dans les médias. Il y avait dans l’émission de Canal+ un non-dit qui faussait tout : était-ce une émission comme une autre mais alors la mise en scène n’avait pas lieu d’être ou bien une « spéciale » mais l’engagement de la chaîne aurait dû être explicite. Créer l’événement ne se décrète pas. Qu’on se rappelle à l’inverse de la formidable émotion qu’on a été si nombreux à ressentir en voyant la vidéo de la représentation interrompue de Nabucco, celle où Riccardo Muti fait reprendre, avec la  salle debout et vibrante d’émotion, le chœur des esclaves. Pour ceux qui ne l’ont pas  vu, c’est vraiment  fort !

3ème temps : réflexion

J’avais lu par ailleurs, à quelques jours d’intervalle, deux  autres informations sur des manières  très différentes de concevoir et de solliciter l’intelligence citoyenne. La première  est celle  prônée  par Jacques Testart, le biologiste qui a  été le premier  à tester ce qu’il appelle maintenant les conventions de citoyens. Il a publié en début d’année au Seuil L’Humanitude au pouvoir, Comment les citoyens peuvent décider du bien commun. Il ne se contente pas de raconter comment ces conventions de citoyens fonctionnent, il propose de leur donner une  place  dans  notre fonctionnement institutionnel et de remplacer le Sénat par une  assemblée  de  « gens ordinaires »  tirés au sort qui relaierait leurs avis.

Autre découverte, grâce au blog  d’Anne-Sophie Novel, autre  incarnation de cette citoyenneté en acte, le réseau social weeakt.com qui propose de façon simple et ludique d’afficher ses actions pour donner envie à d’autres de faire pareil, soit par des actions spontanées soit en accomplissant des « missions » proposées par des associations. Toutes ces actions sont comptabilisées et on peut ainsi faire gagner des points à sa ville (sans que la collectivité en tant qu’institution soit impliquée !). Le réseau mise donc sur l’émulation entre habitants de villes différentes.

Rien à voir entre ces deux informations ? Simplement une confiance dans  la capacité des personnes à devenir des citoyens, soit pour délibérer, soit pour agir, mais toujours au service du bien commun.

Toutes ces initiatives ont leurs détracteurs et les critiques sont légitimes mais ça n’empêche qu’elles se développent. Il y a  de plus en plus de réseaux  sociaux citoyens. Il y a toujours plus d’initiatives de délibération citoyennes. Et finalement cette  diversité d’approches et de solutions permet de toucher des publics différents, des gens tournés vers l’action quotidienne, des gens plus intéressés par l’élaboration de normes communes,…

Jacques Testart note avec lucidité : « Croire aux vertus de la citoyenneté ce n’est pas célébrer les êtres humains en l’état où les a placés la société, c’est ne pas douter qu’un citoyen sommeille en chacun et s’efforcer de l’éveiller ». Dans un article paru dans l’Humanité il constate qu’

il manque un mot pour parler d’une capacité humaine qui existe chez toutes et tous mais n’apparaît que dans des situations exceptionnelles où des personnes impliquées dans une action exaltante de groupe semblent vivre une mutation intellectuelle, affective et comportementale .

Les gens se réunissent, se renforcent mutuellement, éprouvent une empathie les uns pour les autres… et cette émulation engendre une effervescence intellectuelle, morale et affective, qui se traduit par la fabrique de propositions citoyennes, sous diverses formes. Or, j’ai constaté que ce type d’effervescence sociale et intellectuelle apparaît lors des « conventions de citoyens » que nous avons élaborées avec la Fondation Sciences citoyennes : lorsqu’on confie à des personnes ordinaires, ni « notables » ni « experts », une tâche et une responsabilité importantes, elles les prennent très au sérieux et s’impliquent au nom de l’intérêt commun de l’humanité.

Deux qualités qui composent l’humanitude : l’empathie et l’intelligence collective, au nom de l’intérêt public .

4ème temps : espoir

Revenons à Alexandre Jardin. Son projet peut sembler très libéral. Son Appel des Zèbres est ainsi explicite avec son « Laissez-nous faire ! on a déjà commencé ».

Signer l’Appel des Zèbres, c’est soutenir l’action d’une nation adulte qui se prend déjà en main sans rien demander

[…] Signer cet appel c’est exiger de ceux qui nous dirigent ou aspirent à nous diriger de nous Laissez-faire, partout où l’action de la société civile est déjà la plus efficace !

[…] Laissez-nous faire, nous qui portons la voix d’une société civile adulte qui n’attend plus rien d’en haut mais se coltine la réalité en bas.

Cela fait des années que je déplore que les mouvements citoyens soient considérés spontanément comme étant de gauche. Mes  interlocuteurs me comprennent rarement. Pour eux, c’est naturel. Pour moi ça délégitime l’action citoyenne auprès  de la moitié de la population française qui se reconnait dans  la droite. Oui c’est souvent à gauche que naissent  les nouvelles pratiques sociales mais c’est leur généralisation à des gens de droite comme de gauche qui en change la nature. Ce n’est plus alors le militantisme de quelques-uns mais un mode d’action collective approprié par tous. Les républicains étaient de gauche au XIXème, aujourd’hui plus personne ne remet en cause la République, pas même la droite nationaliste. La démocratie suppose que ses règles du jeu soient acceptées par tous. Et il me semble que c’est ce qui est en train de se produire avec l’action citoyenne. A gauche et à droite on peut désormais trouver une légitimation qui corresponde à ses options politiques.

On ne mesure pas  assez la force de ce  qui est en train de se produire ! Deux exemples  encore qui montrent que le changement de paradigme est bien amorcé. Il ne  s’agit plus d’un romancier romantique, d’un biologiste converti mais d’un journaliste politique et d’un professeur de  droit constitutionnel !

Le constitutionnaliste, c’est Dominique Rousseau, déjà mentionné  dans ce blog. Il poursuit sa  réflexion dans Radicaliser la démocratie qu’il vient de publier  au Seuil. Une interview dans  Le Monde en reprend les principaux  arguments. On ne peut qu’être frappé  de la convergence de son propos  et de  celui de Testart :

Il faut renverser cette croyance que les citoyens n’ont que des intérêts, des humeurs, des jalousies et que la société civile, prise dans ses intérêts particuliers, est incapable de produire de la règle. Il y a de la norme en puissance dans la société civile.

Gérard Courtois, que  j’avais égratigné ici pour avoir passé sous silence  l’aspect le  plus intéressant de l’étude  Viavoice sur les innovations  démocratiques, vient de publier dans  Le Monde un texte où il s’intéresse justement à l’initiative  de Jardin et à celle  de  Rousseau (plus le livre de la journaliste Ghislaine Ottenheimer davantage sur le registre de la dénonciation et donc  pour moi nettement moins intéressant).

Vaines élucubrations, penseront les gens « sérieux ». Ils ajouteront que nos institutions en ont vu d’autres depuis un demi-siècle et que la France a d’autres chats à fouetter en ce moment. Ils seraient pourtant bien inspirés d’y prêter une oreille attentive, avant qu’il ne soit « trop tard », comme le redoutent le professeur, le zèbre et la procureur

Cet espoir de  nouvelles  pratiques démocratiques, je  le  vis « en direct » ce week-end en étant observateur,  pour le  Laboratoire de  la Transition Démocratique, de l’expérimentation Gare remix. J’y retourne après cette mise en ligne et en parlerai bien sûr sur ce blog et celui du Labo qui va bientôt accueillir une série de textes  sur le nouvel imaginaire  démocratique en train de naître. Yves  Citton, Jacques Ion, Olivier Frérot, Philippe Dujardin et bien d’autres y publieront ou republieront  des textes passionnants !

 

 

Pour un téléthon de la fraternité

Un mois a passé depuis le 11 janvier. Le débat s’est poursuivi sur « quoi faire ». Voici une contribution écrite avec Jean-Pierre Worms. Nous aimerions qu’elle soit débattue car elle nous semble à même de tirer l’élan de fraternité vers l’action. Nous ne nous retrouvions pas dans les initiatives prises jusque-là, qui en restaient trop au « plus jamais ça ».

 

La logique de guerre souhaitée par les terroristes ne s’est pas imposée. Les pouvoirs publics, les médias sont restés relativement mesurés. La surenchère n’a pas eu lieu et on a évité un patriot act à la française. Pour autant l’élan de fraternité né de ces événements terribles n’a pas conduit à des actes à la hauteur des aspirations exprimées par tant de nos compatriotes. Chacun est resté dans son registre habituel. Les acteurs de la société civile ont lancé beaucoup d’appels à la fraternité. Le gouvernement a annoncé que l’enseignement du fait religieux serait développé à l’école. Les médias ont maintenu pendant plusieurs jours des émissions pour décrypter ce que nous venions de vivre. Chacun a agi dans son domaine, mais en faisant un peu plus de la même chose. Les émeutes de 2005 avaient aussi connu leurs « plus jamais ça » avec le succès que l’on sait.

Revenons donc sur ce qui s’est passé le 11 janvier, à la  lumière des trois  termes de la devise nationale. Le 11 janvier, c’est en premier lieu  notre attachement viscéral à la liberté : liberté d’expression et aussi pluralisme des opinions et des croyances. Nous avons redit fortement que nous avions le droit d’être nous-même. Mais ces marches ont aussi manifesté le plaisir, voire l’émotion éprouvée à le dire ensemble, dans la reconnaissance mutuelle qui permettait de dire à la fois « je  suis  Charlie, je suis policier, je suis juif,… » On a eu ainsi la preuve de la vigueur de deux éléments de notre devise: liberté et fraternité. Mais  l’égalité est restée hors champ. De là vient sans doute une grande partie du malaise ressenti dans les jours qui ont suivi les formidables rassemblements du 11 janvier. En effet l’absence était criante, ce jour-là, de nombre de ceux qui souffrent quotidiennement de l’accumulation de toutes les pauvretés (face à l’emploi, à l’école, au logement, à la santé et, globalement à l’ensemble des « biens communs » d’une citoyenneté partagée), pauvretés qui se combinent pour reléguer  ceux qui les connaissent aux marges de notre société. Dans une société où le monde des inclus s’éloigne de plus en plus du monde des exclus, ces derniers ont souvent vécu les manifestations du 11 comme l’achat d’une bonne conscience à bas prix de ce monde des inclus qui les rejette, voire, paradoxalement, comme le signe même de leur relégation. Ils ne se sentaient pas concernés  par ces appels à la fraternité et même, souvent,  refusaient de les cautionner de leur participation.

Comment leur montrer qu’on les a entendus mais qu’ils se trompent ? Comment mettre ce désir de fraternité, si fortement ressenti et largement partagé, au service de l’égalité? d’une reconquête simultanée de la justice sociale et d’une démocratie inclusive?

Est-il encore temps de tenter quelque chose qui soit à la hauteur de l’émotion partagée? Comment surmonter la fragilité et le risque de fugacité de ces multiples « envies d’agir », en concurrence avec bien d’autres sollicitations dans une société de l’immédiateté? Comment les inscrire dans la durée, les faire converger pour en assurer la cohérence et la puissance transformatrice? Peut-on imaginer une mobilisation conjointe et durable de la société civile, des pouvoirs publics et des media qui seule assurerait l’indispensable changement d’échelle des actions engagées en permettant à un beaucoup plus grand nombre de personnes de s’y engager ? Il s’agit de favoriser dans une même dynamique l’engagement personnel, l’initiative collective et le renouvellement de l’action publique. Le succès du téléthon qui a su créer durablement un élan de solidarité est un exemple dont on pourrait s’inspirer. Et si on lançait un téléthon de la fraternité ? une fraternité tournée vers l’égalité, une fraternité inclusive… ? Un « télétemps » plutôt pour récolter non pas des dons en argent mais en temps. Du temps qui serait consacré aux actions en faveur de la fraternité ce qui est naturellement bien plus engageant que d’ouvrir son carnet de chèque. Un « télétemps » qui donnerait à voir des personnes qui racontent ce qu’elles font ou qui franchissent le pas à cette occasion. Que pourraient être ces « moments de fraternité partagée » ? Ce temps à vivre et à partager, c’est d’abord du temps pour parler ensemble, pour réfléchir à plusieurs dans tous les lieux publics où l’on peut se rencontrer, à l’école, c’est le plus urgent, mais aussi dans les lieux les plus ordinaires, précisément où on ne prend pas le temps de se parler: une gare, le boulanger, le hall d’accueil de le CAF, de la poste, de pôle emploi…, une galerie de centre commercial…, une prison. Car ce que le 11 janvier a aussi révélé c’est le besoin pressant de parole; on le pressentait pendant les marches, on le ressent partout depuis. La liberté d’expression c’est aussi cela.

Le philosophe Ali Benmakhlouf disait récemment : « Transmettre, ce n’est pas décrypter pour les autres, c’est débattre avec eux ». Le télétemps permettrait de créer une incitation puissante à ouvrir des espaces de dialogue, informels, éphémères, sans cesse réinventés. Le télétemps nous donnerait le courage d’oser, puisqu’on verrait que d’autres ont osé et que ça faisait un bien fou à tous. C’est aussi simple que cela, pour nous la fraternité : se réunir, parler ensemble, de soi et de son rapport aux autres et des ajustements qu’on est prêt à faire pour mieux s’accepter en tant que « frères en humanité ». Ça peut faire des instants de télévision inoubliables car empreints d’une émotion et d’une énergie authentiques, ceux qu’on trouve  aujourd’hui parfois dans un témoignage comme celui de Latifa Ibn Ziaten, mère du militaire français Imad, tué par Merah en mars 2012 qui a touché tant de gens après le 11 janvier.

Mais, pour s’épanouir et produire l’effet attendu, l’action individuelle a besoin de s’inscrire dans des démarches collectives. La personne y trouve la reconnaissance d’autrui qui la conforte dans sa volonté d’agir, et l’action collective, pour durer, y trouve les moyens de se renforcer et de se transformer. Le télétemps doit rendre visible au plus grand nombre ces initiatives portées par  des collectifs et des associations. Cette mise en  visibilité ponctuelle devra naturellement être  prolongée dans la durée sur Internet (comme vont commencer à le faire les Conférences du Pouvoir d’agir dont la première concernera les initiatives bretonnes). De nombreuses associations d’éducation populaire existent déjà, et depuis longtemps, qui ne demandent qu’à bénéficier de nouvelles énergies citoyennes pour connaître un renouveau de vigueur et de pertinence. En outre, la perte d’audience et d’efficacité de nos institutions publiques, le désenchantement démocratique à leur endroit, qui n’épargne pas nombre d’anciennes organisations associatives reconnues, a provoqué une véritable effervescence d’initiatives associatives nouvelles  dans tous les champs où la démocratie et les services publics s’avèrent défaillants. C’est là où un effort de tous pour les rendre visibles, faciliter les coopérations et les actions conjointes et, dans le respect de l’autonomie de chacun, construire une force collective puissante à partir de ces désirs d’agir dispersés pourrait véritablement changer la donne, impulser et nourrir une action des pouvoirs publics qui y retrouve à la fois du sens et de l’efficacité.

Car il va de soi que, pour nous,  cette mise en mouvement des citoyens doit se faire en articulation avec l’action des pouvoirs publics. Il ne s’agit pas de remplacer l’Etat, si défaillant qu’il puisse être ici ou là, mais de le stimuler, de montrer aux élus et aux services concernés qu’ils peuvent agir autrement , et mieux, en prenant en compte l’intelligence et l’énergie des citoyens. Oui, pour être à la hauteur des  espérances du 11 janvier, il faut penser en termes d’alliance et sortir du chacun pour soi. Chiche ?

texte écrit avec Jean-Pierre WORMS, membre du collectif Pouvoir d’agir, impliqué également  dans  le  Laboratoire de la Transition Démocratique