Quelle raffinerie pour l’énergie des gilets jaunes ?

Même si les commentaires se focalisent sur le fait de savoir si le mouvement des gilets jaunes va durer, le plus important est de savoir s’il va se reproduire. Si le premier point est incertain, je crains que le second ne soit déjà inscrit en creux dans les propos tenus par le président de la République.

Jérôme Fourquet dimanche matin sur France Inter disait que les gilets jaunes étaient une sorte de mix des Bonnets rouges et de Nuit debout : à la fois une colère anti-fiscale et une auto-organisation de la société. Ce matin Thomas Legrand comparait avec justesse cette énergie citoyenne à du pétrole brut qui aurait besoin d’être raffiné pour pouvoir être utilisé. Pour le moment la colère brute n’a pas de débouché. Sans canalisation, sans transformation, elle se répand dans l’espace et risque de conduire à des explosions violentes mais sans lendemains.

Thomas Legrand en appelle aux corps intermédiaires pour opérer le raffinage. Je crains que ceux-ci aient largement perdu la main. Ainsi la demande de Laurent Berger de la Cfdt de réunir des associations et des partenaires sociaux pour construire « un pacte social de la conversion écologique » a aussitôt été rejetée par le Premier ministre qui n’en voyait pas l’utilité. Cette incapacité à faire avec la société n’est pas propre au Premier ministre, hélas c’est tout l’exécutif qui est concerné. Que disait le président de la République lors de son interview sur TF1, pensant traduire les attentes des Français :

Nos concitoyens aujourd’hui veulent trois choses : qu’on les considère, qu’on les protège, qu’on leur apporte des solutions.

Joli triptyque mais à ma connaissance aucun commentateur n’a relevé que le président nous avait déjà proposé un autre triptyque lors de la précédente crise (celle provoquée par la réforme de la SNCF), toujours sur TF1 :

les murs de la maison, c’est libérer, protéger et unir.

Au fait, cette manière de parler par slogan, ça ne vous rappelle rien ? Souvenez-vous l’excellente BD Quai d’Orsay (Blain et Lanzac) où le ministre des affaires étrangères ne cesse de lancer ce genre de formules pour préparer son discours à l’ONU évidemment en changeant sans cesse la composition du triptyque : Responsabilité, Unité, Efficacité, devient tour à tour Légitimité, Lucidité, Efficacité ou Légitimité, Unité, Efficacité !

Le seul élément commun aux deux triptyques macroniens, c’est la protection. La liberté est prudemment mise de côté. On préfère parler de solutions (qu’on apporte toutes faites naturellement). Par ailleurs on cherche à « unir » ou à « considérer ». De unir à considérer, il y a une progression dans la prise en compte mais quand on associe considérer, protéger et apporter des solutions, on voit bien que la balance penche inexorablement du côté de l’Etat « protecteur et sachant » qui va fournir les bonnes solutions clés en mains. A quoi sert la considération si l’on sait par avance qu’on a à faire à des démunis (qu’il faut protéger) et à des incapables (à qui il faut fournir les solutions) ?

Emmanuel Macron regrettait lors de son entretien de ne pas avoir réussi à réconcilier les français et la politique. Aucun de ses triptyques ne donne pour autant la clé de la réconciliation. Se mettre à l’écoute des attentes des citoyens, c’est bien sûr nécessaire mais ça ne suffira pas à réinventer la politique. Qu’est-ce qui manque ?

Ecouter ne suffit pas. Il faut maintenant agir avec. Beaucoup de gens veulent être pris en compte, pas seulement entendu. Ça passe par l’action, l’implication dans l’action. Il y a une énergie citoyenne, sociétale que les décideurs ignorent trop souvent et dont on se prive. Cette énergie, non prise en compte, devient vite une énergie « négative », l’énergie du refus que l’on voit aujourd’hui s’exprimer. Si le raffinage par les corps intermédiaires n’est plus possible, comment faire ? Quel raffinage mettre en place ? C’est évidemment au plan local qu’il faut construire des solutions. On en connait les ingrédients : covoiturage, multimodalité, diversification des transports collectifs pour l’adapter au milieu rural,… Ce qui manque c’est l’organisation des solidarités. Tout ne peut pas se faire sur des plateformes digitales, il faut de la rencontre, de la convivialité pour créer la confiance ; il faut du soutien des collectivités pour ajuster l’offre (même avec des solutions provisoire et bricolées au début) ; il faut de l’interaction avec les entreprises pour faciliter les horaires ajustés,…

Pour mettre en place ces solutions, l’Etat devrait soutenir les collectivités pour qu’elles aient les moyens de mettre à disposition des communautés locales des médiateurs, des facilitateurs, des tiers de confiance (appelons-les comme on voudra). Non, tout ne passe pas par la fiscalité, comme on semble parfois le croire aux sommets de l’Etat, mais la fiscalité est indispensable pour engager la transition et payer cette ingénierie territoriale de grande proximité.

Profitons de cette crise pour aller enfin dans le sens de cette démocratie sociétale qui me semble la seule alternative aux populismes qui montent. Misons enfin sur cette énergie sociétale à laquelle on ne prête attention que lorsqu’elle déborde. Cette énergie peut s’investir dans la « politique du quotidien », celle qui fait tenir une société debout : la manière dont on s’occupe de la santé, de l’éducation, de l’habitat, de l’alimentation,… Réussir la transition énergétique, ouvrir l’école sur la cité, faire des politiques de prévention réellement efficaces, modifier en quelques années nos modes de déplacement,… tout cela ne se fera que si on sait mobiliser l’énergie citoyenne.

Quand on ne se contente pas d’entendre les doléances des gens mais qu’on prend le temps d’imaginer avec eux ce que pourrait être une vie bonne, on voit se dessiner des modes de vie assez différents de ceux que beaucoup subissent aujourd’hui. Plus de partage, plus d’entraide, plus d’initiative dans tous les domaines. C’est une vie rêvée, loin des réalités et de la dureté du monde ? Oui mais n’est-ce justement pas ça la politique ? Partir des aspirations et regarder comment les rendre possible ? On ne peut pas éternellement dire aux gens que le maintien du modèle français ou la préservation de la planète nécessitent de faire des sacrifices !

Ou nous sommes capables d’imaginer cet avenir désirable ou nous serons parmi les prochains sur la liste des dominos qui tombent (Erdogan, Orban, Trump, Salvani, Bolsonaro,…)

PS / mon amie Catherine Jacquet a publié sur LinkedIn une lettre ouverte au président qui va dans le même sens…

Sortir du dilemme du prisonnier

Retour, à froid, sur la crise de confiance entre politique et société, que traduit la démission d’Hulot… et sur la manière d’en sortir !

La démission de Nicolas Hulot nous a fait voir le gâchis incroyable de temps et d’énergie qu’entraîne la crise de confiance entre politique et société. Le dilemme du prisonnier, on le sait, caractérise une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre eux, chacun choisira de trahir l’autre comme un moindre mal. Nous en sommes là. La société et les politiques ont intérêt à coopérer pour faire face au péril écologique mais chacun, pensant que l’autre n’a pas pris la mesure de l’enjeu, choisit d’agir seul sans « l’autre camp » en annihilant ce faisant toute chance de réussite.

Les responsables politiques, ne se fiant qu’aux sondages qui ne reflètent pas la réalité d’une société en mouvement mais une opinion figée à un instant t, n’osent pas entreprendre de réformes AVEC la société. L’exemple emblématique est la question agricole et alimentaire. Tout était réuni pour engager à l’issue des états généraux la transition vers l’agroécologie mais le gouvernement a reculé par crainte de mécontenter les agriculteurs et les chimistes alors que c’était le moyen de les réconcilier avec la société en essaimant en 5 ans les  solutions déjà construites ou proches de l’être chez les industriels, chez les agriculteurs, les distributeurs, les ONG et les consommateurs.

A l’inverse on assiste à un mouvement sympathique dans la société pour « prendre le relais » de Nicolas Hulot. Puisque le politique démissionne, « missionnons-nous », faisons sans le politique. Ce mouvement a un certain écho : des pétitions et des tribunes circulent, des manifestations s’organisent et pourraient s’installer dans la durée… Depuis plusieurs années déjà une kyrielle d’initiatives de toute nature voit le jour. Dans le domaine déjà évoqué de l’agriculture et de l’alimentation, celle ayant eu sans doute le plus d’écho en moins de dix ans est celle des AMAP introduisant un rapport direct entre consommateurs et agriculteurs en popularisant les circuits courts qui s’est développée hors de toute politique publique.

Politique des petits pas sans mobilisation des acteurs sociaux d’un côté, initiatives sociales isolées et s’enfermant de plus en plus dans la défiance ou l’indifférence à l’égard des politiques semblent aux « joueurs » la seule solution réaliste et pourtant, selon la théorie des jeux, ils sont en train de perdre l’un et l’autre. Continuer la lecture de « Sortir du dilemme du prisonnier »

Ecology matters

Hulot a démissionné ce matin. Et nous, nous démissionnons ?

Le triumvirat que j’espérais il y a un an n’a pas fonctionné. Macron, Philippe et Hulot n’ont jamais réellement fonctionné ensemble malgré le titre de ministre d’Etat donné au ministre de l’écologie. 

Il n’y a eu qu’un moment où j’y ai presque cru, quand Macron a lancé son « make our planet great again » mais, sur le sujet-clé de l’agriculture et de l’alimentation, on a très vite vu qu’il n’y aurait pas d’arbitrage risquant de mécontenter la FNSEA malgré les possibilités d’alliances inédites avec les ONG et la distribution qui avaient émergé lors des états généraux de l’alimentation.

On va à nouveau entendre les éditorialistes se demander doctement s’il peut ou non y avoir une stratégie des petits pas, si les ministres ne doivent pas accepter de perdre une partie de leurs arbitrages… Comme si un jour on pouvait décider de sauver la planète sur le climat et le lendemain laisser mettre en cause la biodiversité. Dans le serment d’Hippocrate, il est explicitement affirmé « d’abord ne pas nuire » (primum non nocere). Les médecins savent bien qu’il n’est pas toujours possible de guérir mais le minimum auquel ils s’obligent est de ne pas aggraver la situation de leur patient. Comment peut-on dire comme le porte-parole du gouvernement qu’un coup on gagne, un coup on perd et que c’est le jeu politique ? La politique pensée comme un jeu de cartes ! Oui au rami ou à la belotte, il n’y a pas d’enjeu, et seuls les « mauvais joueurs » se plaignent de perdre, mais là c’est de notre avenir commun dont on parle. Les ministres devraient signer leur serment d’Hippocrate en entrant en fonction.

Je suis bien conscient que la politique passe souvent par des petits pas mais à condition d’avoir une direction claire ! Un pas en avant et un pas en arrière (ou même un pas de côté) ne font pas une stratégie fiable et donc entraînante. Comment imaginer que les acteurs sociaux, les entreprises et les citoyens s’alignent sur une ambition commune si le message des plus hautes autorités de l’Etat n’est engagé que dans les discours généraux ? Hulot a pointé ce matin sur France Inter que le problème n’était pas seulement qu’il n’avait pas le soutien du reste du gouvernement mais que la société dans son ensemble restait souvent inerte quand il fallait défendre une position sur les pesticides ou sur la réintroduction d’espèces menacées. Il s’est même permis d’égratigner les médias insuffisamment présents sur ces sujets. Mais cette mobilisation générale ne peut subvenir par la volonté d’un seul ministre. Tant qu’on ne voit les questions écologiques que comme une question parmi d’autres, une question thématique comme il y a par ailleurs la santé, l’emploi ou le tourisme, on n’a rien compris.

A quel niveau de catastrophe va-t-on réussir à sonner utilement le tocsin ? L’été a pourtant été critique sur tous les continents, de l’Inde frappée par des inondations jamais connues à la Californie toujours plus ravagée par les incendies. On connait le risque de la grenouille dans la casserole : plongée dans l’eau froide progressivement portée à ébullition, elle ne tentera de sauter de la casserole que lorsqu’elle aura trop chaud pour en avoir encore la force. Parfois, on a la désagréable impression que nous sommes devenus une grenouille collective et que l’eau est déjà bien chaude…

Hulot espérait ce matin que son geste (il a, d’une certaine manière, sauté hors de la casserole !), provoquerait un sursaut positif. N’attendons pas que les responsables politiques aient un tel sursaut, ils ne l’auront pas, ils se révèlent ô combien du vieux monde. Mais nous, sommes-nous collectivement capables de dire que les questions écologiques ne sont pas des questions parmi d’autres, qu’elles engagent notre avenir à tous ?

« Black lives matter » ont dit les Américains pour rejeter le racisme ambiant des forces de l’ordre, ne devons-nous pas inventer un « ecology matters » ? Et l’afficher haut et fort. Nous sommes le peuple souverain, c’est à nous de « mettre à l’agenda » les questions qui comptent vraiment pour nous ! 

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