Sobriété ou frugalité, apparemment les deux mots sont synonymes. Amené à réfléchir à leur éventuelle différence, j’avais spontanément un penchant pour frugalité dont mes années de latin laissaient entrevoir le lien avec fruit. Alors que la sobriété parlait d’abord de privation – d’alcool notamment, on imaginait plus d’agrément à la frugalité. Plus précisément, dérivé de frux le fruit, frugalis signifie initialement « qui produit ». Fructueux et frugal sont donc plus que parents, presque équivalents. Quand on évoque frugalité et sobriété, deux livres peuvent servir de référence : celui de Jean-Baptiste de Foucauld, L’abondance frugale ; celui de Pierre Rabhi, La sobriété heureuse. Leurs titres presque interchangeables semblent au premier abord promouvoir la même alternative à la société de consommation. Voici pourtant la manière dont j’ai envie de les distinguer :
La sobriété c’est l’économie des ressources dans une logique de remise en cause volontaire de la société de consommation. C’est avant tout une démarche d’ascèse personnelle. La frugalité c’est la capacité à faire fructifier les ressources dont on dispose sans en abuser. C’est la conception d’un système économique viable et durable à la manière dont est conçue l’économie jugaad des indiens. Elle suppose créativité et débrouillardise, sources éminentes de joie. On est donc très loin de la privation et de l’ascèse, d’où la possibilité de parler d’abondance, quand la sobriété évoque la soumission à des contraintes.
Même si j’ai toujours trouvé stupide la notion d’écologie punitive, on voit bien qu’il y a dans l’esprit public une difficulté à choisir un mode de vie qui supposerait de se restreindre. Il me semble donc que l’imaginaire de la frugalité est plus en phase avec la société, pas prête à renoncer à l’abondance mais qui peut en revanche la redéfinir. La sobriété volontaire ne sera toujours qu’une démarche personnelle de militants. L’abondance frugale n’est déjà plus un oxymore pour ceux qui préfèrent l’usage à la possession, limitent leur consommation de viande, ne placent plus leur statut social dans la bagnole… Il est significatif que l’imaginaire écologiste soit désormais majoritaire chez les Français. Encourageant, la semaine de cette insupportable importation du black friday américain.