Inexorable

J’écris beaucoup. Peut-être trop. Mais j’en ai besoin pour ne pas rester dans la sidération. Ce billet est ma contribution au refus de l’inexorable. Cette démission de ce qui nous fait humains.

Depuis des jours et des jours, l’avancée inexorable de l’épidémie nous est répétée chaque matin et chaque soir. Les courbes superposées du nombre de morts en Italie et en France prédisent notre destin huit jours à l’avance, comme une fatalité, la chronique de centaines de mots annoncée. La composition du mot directement issue du latin, in-ex-orare sonne comme une sentence :

  • orare : prier
  • exorare : fléchir par les prières
  • inexorare : ne pas pouvoir fléchir par les prières.

Il est frappant que l’exorable comme l’éluctable aient disparu de notre vocabulaire ! Restent l’inexorable et l’inéluctable. Comme si nous n’étions plus capables de croire à la moindre possibilité de salut dans nos sociétés sécularisées et dominées par la seule foi en la science. Le cours des choses est réglé par la connaissance et les protocoles scientifiques. Tout écart sur ce chemin tracé est immédiatement condamné comme un retour à l’obscurantisme ou au charlatanisme, comme le professeur Raoult en fait aujourd’hui les frais. Sans me prononcer sur le fond, je suis frappé de cet anathème à son encontre (j’emploie à dessein ce terme religieux). Pourtant Raoult a agi comme Pasteur en son temps, en utilisant tous les moyens de communication à sa disposition pour se faire entendre, en sortant du cadre balisé de la science. Auréolé du brevet de grand scientifique, Pasteur était autant politique que chercheur. Bruno Latour l’avait bien vu quand il dépeignait Pasteur comme un sociologue et un habile politique dans le livre qui l’a rendu célèbre « Pasteur : guerre et paix des microbes ». Il y démontrait comment le futur prix Nobel avait forcé l’entrée d’un nouvel acteur, le microbe, dans le monde social.

Je ne veux pas conclure, ce n’est pas mon rôle. Le ministre l’a fait, sans doute au mieux de ce qui était acceptable par la science d’aujourd’hui. Pourtant devant ce qui semble inexorable à notre monde rationnel et méthodique, je me dis que l’exorable ne devrait pas être à ce point négligé. Cela ne tient pas seulement à la religion et à la spiritualité, mais bien aussi à la politique parce que l’incertain et l’inconnu qui constituent la trame de nos vies nécessitent d’être parlés. Oris, c’est la bouche, d’où sortent des paroles, ces paroles peuvent être des prières (religion) et des plaidoyers (politique). Orare vaut pour les deux registres. Parler aux autres, parler au tout Autre. Dans tous les cas, sortir de la sidération de la peur et de la croyance dans l’inexorable.

19

Il est relativement passé inaperçu, ce 19. D’autant plus que nous étions déjà en 2020 quand on l’a choisi, et 19 nous semblait déjà de l’histoire ancienne. Et pourtant, ce 19 anodin, il veut dire beaucoup !

Nous lui avons accolé un nombre : 19. Et ce simple nombre me fait frémir. Covid-19. Vous voyez bien ce que ça signifie en creux. Nous en parlons depuis plusieurs jours, même si beaucoup refusent encore de l’entendre : nous sommes au début d’une série. Jusqu’ici c’était un peu le brouillon, l’esquisse de ce qui nous attendait, on ne faisait pas trop attention à la manière de dire : Ebola, Zika, dengue, grippe H5N1,… Mais là, ça y est, nous avons été explicites : 19 ! Covid-19. Dans H5N1, H2N2,H3N2, les chiffres du code nous apparaissent mystérieux mais on n’y prête pas attention. Là avec Covid, c’est 19 qui a été choisi par l’OMS. Et là c’est subitement clair : nous avons la version 2019 du Covid ce qui suppose derrière peut-être un Covid-23, un Covid-28… Jean Viard disait l’autre jour que nos sociétés inventent toujours des rituels pour faire face à ce qui leur arrive. Il disait que les religions avaient inventé le Ramadan ou le Carême, pourquoi pas demain un mois du confinement à caler dans nos calendriers ?! Il disait cela un peu à la blague – du Jean Viard de plateau télé confiné tout craché – mais ça faisait quand même réfléchir. Nous allons sûrement apprendre à vivre avec des épidémies récurrentes. Un épidémiologiste disait que nous allions sans doute bientôt découvrir sous nos latitudes des épidémies récurrentes de dengue. Les moustiques seront bientôt là. Nous n’avons pas suffisamment prêté attention aux anthropologues et aux historiens des épidémies. Nous n’avons pas suffisamment compris le lien extrêmement étroit entre nos choix économiques, les dégradations des écosystèmes et les épidémies qui se multiplient. On s’étranglait ce matin encore quand sur France Inter Dominique Seux proférait cette énormité : « On ne voit pas trop en quoi le coronavirus est lié au libéralisme, à la mondialisation. Il n’est pas dans l’économie comme il y a douze ans, il lui est extérieur ». Pourtant sur la même antenne, je le mentionnais dans mon précédent billet, Matthieu Vidard, intervenant dans la même tranche horaire que Seux, évoquait l’écologie des virus et ses liens avec nos choix économiques. Il est sourd Dominique ? Je pense qu’on entendra, un jour pas si lointain, sur les ondes de France Inter, Léa Salamé annoncer : « Après le Covid-21, la COP 28 consacre l’essentiel de ses travaux à la régulation des épidémies comme moyen d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ». Même si leur manière de compter les années sont différentes, COP et Covid risquent de se retrouver un moment dans la même actualité, au chevet d’une économie à reconstruire sur des bases nouvelles, n’en déplaise aux éditorialistes économiques !

Amateurs

Amateur est un mot qui a mal tourné. Et si on lui donnait une nouvelle chance ? En politique, ça devient urgent !

Peut-on encore être un amateur ? Il y a longtemps qu’on ne parle plus d’amateur de bonne chère ou de bon vin. Ça avait un côté jouisseur, très mal venu en ces temps de moralisme aigu. Quant au sport amateur, il y a longtemps qu’il ne fait plus la Une des médias, sauf peut-être quand un « petit poucet » (c’est comme ça qu’on nomme systématiquement les clubs amateurs dans les journaux télévisés) s’invite dans la « cour des grands » en demi-finale de la Coupe de France de football. Quand on parle d’amateur aujourd’hui, c’est plutôt pour dénoncer l’incompétence de ceux qui nous gouvernent. La réforme des retraites maladroite, non chiffrée et de plus en plus obscure contribue apparemment à juste titre à ce procès en amateurisme. Pour ma part, je trouve que c’est faire injure aux véritables amateurs que de prendre pour de l’amateurisme cette dérive des pouvoirs vers la complexité technocratique. J’avoue ne plus rien comprendre à une réforme dont j’avais pourtant voulu tenter une analyse nuancée. Il me semble que c’est dû moins à une volonté idéologique de rompre avec le système de répartition qu’à une incapacité à sortir des approches financières et technocratiques. Pour moi, un amateur véritable aurait posé des questions naïves et profondes sur l’opportunité de la réforme, sur l’importance de savoir, avant toute réforme, ce qu’on voulait faire de l’allongement de la vie, d’envisager des alternatives à la logique binaire actif/retraité pour proposer des statuts intermédiaires permettant de reconnaître une utilité économique et sociale à l’engagement des seniors dans des activités d’intérêt général. Bref, un amateur aurait fait de la politique.
Amateur vient bien sûr du verbe aimer mais il me semble qu’on l’a un peu oublié. L’amour, ce n’est pas la dérive compassionnelle des dernières mesures législatives (sic) sur les congés des parents ayant perdu un enfant ou l’interdiction des matchs le jour anniversaire de l’accident de Furiani ! L’amour, en politique comme dans la vie courante, c’est le souci de l’autre, la créativité (l’engendrement) et la responsabilité. Loin de ce qu’on nomme si mal l’amateurisme, n’aurait-on pas besoin de véritables amateurs. J’ai bon espoir que les élections municipales voient émerger des amateurs DE politique (et non ces amateurs EN politique si vite transformés en professionnels), comme élus et comme habitants engagés. Avis aux amateurs !

En cherchant une image pour illustrer mon propos, je me suis rendu compte que c’était la saint Valentin. D’où ce coeur rouge.