Excuses : pourquoi elles n’ont pas de sens

Tout le monde a trouvé qu’il avait bien fait de s’excuser, je pense que Fillon a commis au contraire une erreur en s’excusant. Explications.

Comme je l’écrivais, François Fillon ne voit pas le problème que pose sa conduite. Sa décision de continuer est donc logique. Ce sont ses excuses qui ne le sont pas. Ces excuses n’ont ni réalité ni sens. Pourquoi s’excuser si c’est pour n’en tirer aucune conséquence ? les excuses conduisent normalement à changer de conduite et à réparer le mal qu’on a fait. S’il y a eu un abus moral d’une situation légale, on peut proposer un remboursement ou un dédommagement. Rien de tel ici. Pas de réelle reconnaissance d’avoir trop abondamment bénéficié des ressources de l’Etat. Pas davantage de reconnaissance que le travail fourni n’était peut-être pas pleinement celui qu’on attend couramment de collaborateurs parlementaires en circonscription. Au contraire l’affirmation d’un droit absolu au non contrôle au prétexte que le contrôle serait une remise en cause du principe de séparation des pouvoirs.

Ces excuses n’ont en fait pas de sens. De quoi en effet s’excuse le candidat ? De ne pas avoir compris que les temps avaient changé et que les Français ne trouvaient plus acceptable un comportement jusqu’ici accepté. Mais on ne s’excuse pas de ne pas avoir compris ! La non-compréhension n’est pas une action dont on est responsable. C’est plutôt un handicap dont on doit plaindre celui qui en est affligé.

Oui je plains sincèrement cet homme de ne pas comprendre. J’ai été ébranlé par son assurance et sa pugnacité, j’ai trouvé ciselé son texte et brillante sa rhétorique face à des journalistes réduits à des enfants bafouillant et confus. Un moment je me suis dit qu’il avait gagné mais je n’ai pas pu accepter ces fausses excuses. A la limite je pouvais accepter le guerrier sûr d’avoir une mission pour la France, une Jeanne d’Arc faisant fi de tous les obstacles pour atteindre son but. Le panache fait partie de notre histoire et peut nous entraîner encore… à condition d’assumer totalement le rôle ! Je veux bien la morgue de celui qui ne s’embarrasse pas des viles questions d’intendance s’il ne prétend pas dans le même temps s’en excuser. Il faut choisir. Il n’a pas choisi.

Et brutalement, j’ai ressenti qu’il était simplement prêt à tout pour poursuivre son destin. Envers et contre tout. Et je ne peux que plaindre cet homme de s’enfermer dans un rôle tellement en surplomb, tellement distant du commun. Comme le disait Guy Emerard dans son commentaire du papier précédent, il croit avoir l’onction, la grâce. On connait chez certains catholiques cette furieuse humilité qui confine à l’orgueil démesuré. J’ai souvent ici dénoncé l’hybris et le complexe obsidional de bien des dirigeants. Il représente la forme messianique de cette coupure de la réalité. Réécoutez les mots qu’il avait pour décrire la raison de son combat : il se décrivait comme étant le seul à pouvoir redresser la France, tout simplement ! Etre si sûr de son fait et en même temps si éloigné des évolutions sociales qui conduisent à des pouvoirs plus horizontaux, plus partagés, c’est proprement sidérant. Comment peut-on être à ce point prisonnier d’une culture de l’homme providentiel, du chef, de l’élu ? Bien sûr en politique, beaucoup de Français se disent sensibles à l’autorité voir aux régimes autoritaires. Mais c’est faute de trouver chez les politiques une offre plus en phase avec les pratiques sociales qui toutes remettent en cause l’autorité soi-disant incontestable. D’ailleurs ils demandent dans les mêmes études plus de contrôle démocratique, se disent intéressés par les différentes formes de participation démocratique, sont prêts à des innovations comme le tirage au sort…

Le Fillongate (arrêtons d’appeler cela le Pénélopegate) donnera peut-être enfin l’occasion de passer des excuses à la réflexion sur la nature de l’autorité que nous voulons. La droite, mise à mal par son propre chef de file, devra enfin s’interroger sur la pratique du pouvoir. Peut-être verra-t-elle enfin que les logiques d’empowerment sont une condition d’une autorité renouvelée. Il n’est jamais trop tard. Sauf sans doute pour l’élu de la primaire de la droite, indébranchable mais aussi inexcusable.

 

 

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

5 réflexions sur « Excuses : pourquoi elles n’ont pas de sens »

  1. Bonjour Hervé,
    J’ai été d’accord avec ton précédent billet, je ne le suis pas vraiment avec celui-ci.
    La dernière déclaration de Fillon peut-être une forme de pragmatisme tenant compte des réalités et des décalages français.
    En effet, dans la réaction actuelle de Fillon, tu passes sous silence plusieurs réalités constitutives du système politique et économique français et des réalités de la communication politique, qu’il ne peut ignorer.

    1. Primo, tu passes sous silence une réalité évidente constitutive d’une certaine politique en France : les stratégies politiques et les manipulations électorales depuis… (je ne saurais pas fixer une date). Mitterrand avec l’organisation de son propre attentat (l’attentat de l’observatoire en 1959) avait été un très bon professeur. Je ne suis pas sur qu’un quelconque homme politique en France résisterait à un tel acharnement doublé d’une présentation volontairement manipulatoire des sommes touchées. On remarquera en effet une communication des sommes en salaire brut et sans insister sur le nombre d’années qu’elles cumulent. Remis en salaires nets annuels, les sommes ne sont plus aussi « communicantes »…

    2. Au-delà, le caractère attentatoire aux principes démocratiques de cette campagne est caractéristique de pratiques qui ne s’encombrent pas du respect de l’institution électorale. Face à un candidat en position de favori, on crée opportunément une polémique et qu’importe si elle se dégonfle, les impacts seront suffisants au moment de l’échéance électorale. La campagne dont Fillon a été victime, sa sortie appropriée quelques semaines avant le scrutin est dans un timing parfait pour rendre caduque l’ensemble de nos institutions électorales.
    Je ne rentre pas dans la réalité ou l’irréalité de ces accusations, je constate juste le procédé.
    C’est toujours notre système politique qui en sort affaibli et encore une fois, cette campagne ne servira objectivement que le FN et sa critique des institutions politiques françaises.

    3. Enfin,, tu passes également sous silence une autre réalité française qui impacte l’ensemble de notre système : le « Parisiannisme » et la déconnection des milieux politiques et journalistiques parisiens du reste de la France.
    Oui, la France provinciale aurait de quoi s’émouvoir des salaires des grands patrons (mais on en parle souvent), des salaires, avantages et retraites des hauts fonctionnaires et de ceux des hommes politiques totalement coupés de la réalité du monde du travail. . Mais cette émotion focalisée sur Fillon pourrait impacter quelques dizaines voire centaines de milliers de personnes et là nous rentrerions dans une forme de guerre civile.

    Pour en revenir à la déclaration de Fillon, elle fait preuve de pragmatisme en prenant acte de l’émotion que ces décalages effarants provoquent. Elle ne propose pas d’y remédier. Elle constate juste l’émotion et l’erreur de communication.

    L’analyse des pratiques politiques manipulatoires qui attente à notre système électoral reste cependant à faire.
    Qui doit-on accuser ? Les médias qui s’en repaissent ? Les instigateurs opportunément masqués derrière les médias ? La corruption de plus en plus présente en France ?
    Pour moi cet épisode de la campagne présidentielle met surtout en exergue les pratiques de plus en plus bananières de notre république.

  2. Cher Hervé, j’apprends plus de choses en te lisant sur des sujets de fond que lorsque tu participes (innocemment ?) à l’hallali ambiant.
    J’émets de surcroît une réserve sur ton exigence, exprimée comme élément de base, de réparation qui devrait suivre la présentation d’excuses. J’aurais plein d’exemples pour illustrer cette absence de lien logique.
    Je pose ensuite une question naïve : à qui profite cette campagne ? Comme disait Jacques Chirac : c’est à la fin du marché qu’on compte les bouses… et nous mesurerons en mai ce que nous apportent ces différentes campagnes vaseuses.
    Jérôme qui partage le point de vue de Gérard Dahan.

  3. @ Jérôme et Gérard
    je comprends vos interrogations sur le fait de participer, volontairement ou non, à une campagne de déstabilisation de l’institution électorale, à l’hallali ambiant au travers de ces deux billets. J’essaie effectivement sur ce blog de ne pas prendre parti dans la vie politique mais d’apporter un regard citoyen sur la vie démocratique. Les désinscriptions de mon blog sont rares, et j’en ai eu deux sur ce dernier billet. C’est significatif. Mon propos ne se veut évidemment pas partisan et j’ai régulièrement des critiques, tant à l’égard de la droite que de la gauche. Mais il est vrai qu’on est dans le temps électoral et qu’une certaine forme de réserve est nécessaire pour garder la confiance des lecteurs de ce blog quelle que soient leurs opinions politiques.
    Ce qui m’intéresse dans cette affaire, vous l’avez compris, ce n’est pas tant la mise en cause de tel ou tel home politique que ce que l’affaire révèle sur le caractère surplombant de la politique française qui n’est plus en phase, je le pense, avec les réalités sociales. C’est ce décalage qui me semble manifeste et qui ose problème, même dans la manière de présenter ses excuses.
    Je vous renvoie à deux papiers publiés aujourd’hui dans Le Monde qui pointent eux aussi les limites des excuses du candidat et la nécessité de mettre en place à côté de la « légitimité de titre » issue de l’élection, une « légitimité d’exercice » sur la manière dont le pouvoir est exercé.
    Christian Godin, « FF présente des excuses sans grande valeur » et Yves-Charles Zarka « le cas Fillon relève de la politique et non de la morale »

  4. Je découvre tardivement ce dialogue intéressant datant de près d’un mois c’est à dire une éternité dans cette affaire…
    Depuis, il y a eu (notamment) la convocation de FF en vue d’une mise en examen et la dénonciation violente par le même de la police, de la justice, des médias voire des élus…
    Les arguments présentés par Gérard Dahan sont développés dans un papier de Régis Demarais imprudemment attribué par l’équipe Fillon à Mediapart alors qu’il s’agit d’une entrée de blog. (https://blogs.mediapart.fr/regisdesmarais/blog/040217/lassassinat-politique-de-francois-fillon).
    J’avoue avoir été troublé une seconde par cet article qui fait le même calcul que Gérard Dahan pour finalement montrer que Mme Fillon n’a pas été payée si cher que cela (en net par mois). L’article poursuivait pour montrer que les attaques contre FF émanaient de courants conservateurs redoutant les changements qui allaient découler de la mise en oeuvre du programme évidemment « antisystème » de Fillon.

    Cette rhétorique paraît aujourd’hui dérisoire. En effet, ce qui pose problème n’est plus l’affaire en elle même : qui a touché combien ? mais ce qui découle de la manière dont FF a agi et réagi après. Passons sur le renoncement (en deux semaines !) à la règle de la non-candidature d’un mis en examen. Passons aussi sur les excuses de la faute morale (même si avec Hervé je penses qu’à ce niveau, on ne s’excuse pas). Ce qui n’est pas admissible, à ce niveau justement, est de faire croire que les institutions policières et judiciaires sont liguées avec les média pour viser une seule personne et l’empêcher de poursuivre son ambition personnelle d’être, un jour, président de la République française. Cette « théorie » dite du complot est un crime contre l’honnêteté intellectuelle, une entreprise de régression populaire, indigne d’un responsable politique.

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