Rétablir l’ordre

« L’ordre, l’ordre, l’ordre ! » disait déjà Emmanuel Macron. Le ministre de l’Intérieur surenchérit. Il est frappant qu’on ne parle plus de lutte contre l’insécurité mais de rétablissement de l’ordre. Qu’est-ce qu’il faut comprendre ? Et si l’ordre recherché était une illusion, le souvenir d’un monde qui n’existe plus, comme ce jardin à la française aussi ordonné que mort ?!

Rétablir l’ordre
parterre de buis attaqué par la pyrale

Pourquoi cette insistance à remettre de l’ordre ? Qu’est-ce qui est à ce point dérangé pour que le ministre de l’Intérieur à peine nommé affirme chaque jour dans un média différent que sa priorité est l’ordre ? Pas la sécurité, l’ordre. Y a-t-il de tels désordres dans la rue, y a-t-il tant de désordres aux frontières ? Sommes-nous réellement menacés par une « barbarie devenue presque quotidienne » ? Les migrants déferlent-ils sur la France ? Que voit-il que je ne vois pas ?

Cela me trouble d’autant plus que j’ai connu Bruno Retailleau il y a plus de trente ans. Nous l’appelions à l’époque « le petit Bruno » avec plus d’affection que de dérision. Il dirigeait l’école de communication créée à Nantes par Philippe de Villiers, un lieu étonnant de liberté et de modernité où les étudiants étaient incités à prendre l’initiative avec un accès 24h sur 24 aux locaux qui étaient, le soir venu, notre refuge commun, avec vidéo et canapés confortables. J’étais étudiant, il était directeur mais nous avions le même âge, le même goût pour la politique et l’entrepreneuriat et ça nous rapprochait. Même s’il était nettement plus conservateur que moi, nous étions l’un et l’autre libéraux. Comment avons-nous pu diverger à ce point ? Continuer la lecture de « Rétablir l’ordre »

L’énergie or

Des pistes pour prolonger l’été olympique et bénéficier durablement de cette « énergie or ».

L’énergie or
photo La Nouvelle République

La leçon de notre été olympique, tout le monde ou presque l’a tirée : nous savons nous enthousiasmer, nous réunir autour d’un événement fédérateur, être tout simplement heureux de vivre plus intensément. Mais nous l’avons vécu comme une parenthèse enchantée, un moment de grâce coupé de notre actualité morose. Nous ne parvenions pas à oublier que nous allions retomber rapidement dans les affres d’une politique incapable de se renouveler. Nul doute que le succès des jeux paralympiques tient en partie à ce besoin de garder encore un moment cette flamme allumée.

Il nous faut considérer en même temps deux aspects de cette réalité que nous avons pourtant tendance à dissocier, les uns privilégiant le démenti du pessimisme, les autres prédisant l’exceptionnalité du moment olympique. Prenons les deux en même temps : il n’y a pas de fatalité puisque notre rapport au monde est réversible du jour au lendemain, il nous faut donc sortir de la croyance mortifère à l’inéluctabilité du déclin ; il n’y a pas non plus de permanence dans les changements d’humeur et il nous faut également apprendre à entretenir nos états émotionnels quand ils sont positifs. Le problème vient du fait que nous nous résignons vite à notre malheur et que nous croyons que notre bonheur est nécessairement éphémère. Si nous voulons sortir de notre marasme politique, il nous appartient de bouger sur ces deux registres : croire que la réalité dépend de notre regard collectif ; apprendre à cultiver notre capacité d’enthousiasme.

Il y a bien eu une forme d’énergie qui a circulé entre nous, qui nous a en quelque sorte irradiés ! Oui, nous étions radieux, rayonnants. Et l’on voit bien sur les terrains de sport, réinstallés dans la capitale, que nous brûlons de la faire vibrer encore, cette fabuleuse énergie. Je propose d’appeler cette énergie « l’énergie or », bien sûr en référence à l’or olympique qui a fait briller bien des yeux. Energie or, cette capacité d’enthousiasme, cette communion autour de la beauté, de l’effort et de l’aléa, cette compétition par dépassement de ses limites propres plutôt que par volonté d’abattre l’adversaire… Alain Caillé, fondateur du mouvement des Convivialistes, a très bien décrit ce moment dans un texte à retrouver ici. En voici la conclusion : « Au terme de cette quinzaine on se prend à rêver que le monde entier fonctionne en permanence dans le registre des Olympiades, autrement dit que chacun, dans son domaine ou son registre propre, rivalise pour accomplir au mieux ce qu’il a à faire (à supposer, bien sûr, qu’il le sache et l’ait trouvé) dans l’espoir de faire advenir le plus de commune humanité, de commune socialité et de vie (de beauté et de grâce) possible. Propos bien idéaliste ?  Peut-être.  Prenons-le en tout cas comme un idéal régulateur. Ces Jeux Olympiques nous en auront fait entrevoir la possibilité. »

Cette énergie or m’a naturellement rappelé une autre énergie citoyenne, celle du  « moment gilets jaunes », dont j’ai largement parlé ici. Je l’appellerai « énergie noire », non qu’elle fût en soi négative mais parce qu’elle portait des passions tristes, du ressentiment, avec une violence toujours sur le point d’éclater. Thomas Legrand, bien inspiré, avait parlé d’énergie brute qui devait être raffinée. Un « or noir » en quelque sorte ! Même potentiellement dangereuse, l’énergie reste de l’énergie et contribue à nous mettre en mouvement. Je continue à regretter qu’on n’ait pas su trouver de débouché à l’énergie noire des gilets jaunes.

L’énergie noire a été crainte et gâchée, l’énergie or a été célébrée … et risque de s’évaporer. Nous avons manqué de raffinerie il y a six ans pour transformer les colères en solutions, nous manquons aujourd’hui d’alambic pour recueillir l’esprit volatil de l’énergie or !

Quand nous serons redescendus de l’Olympe, quand nous aurons été repris par la grisaille d’un monde sans perspectives, il nous faudra nous souvenir que rien n’est inéluctable, que nous avons su nous enthousiasmer. Cette responsabilité est la nôtre, à chacun de nous : nous pouvons/devons « croire au monde » selon la belle expression proposée par Véronique Anger de Friberg pour le prochain Forum Changer d’ère.

Pour autant il serait bon que nos gouvernants apprennent à utiliser les énergies citoyennes, or ou noire. Créons par exemple les Olympiades de la Métamorphose, quatre années de défi pour mener collectivement les transitions que ni les pouvoirs publics ni les entreprises ne parviendront à mener seuls. Qu’ils/elles s’appuient sur cette soif d’idéal, ce désir d’intensité que nos concitoyens ont montré au cours de l’été. Nous ne serons pas tous des champions de la Métamorphose mais nous aurons eu le plaisir de participer à un défi collectif, comme tous ceux qui ont couru le « Marathon pour tous » dans les rues de Paris au cours de cet été pas comme les autres.

 

La Seine, la scène, la Cène

Un spectacle politique ? Oui mais au-delà de ce qu’en a dit son directeur artistique parlant « d’inclusion, de bienveillance, de générosité et de solidarité ». L’imaginaire religieux était convoqué, pas seulement par la provocation de la Cène queer. Il est allé cherché cette concorde dont je parlais ici récemment, celle des cœurs à l’unisson. Et ça a fait du bien.

La Seine, la scène, la Cène
AP Photo/Vadim Ghirda

Foisonnement des images qui se superposent, improbables. Chorégraphies, défilé de bateaux-mouches, chansons, vidéo, pyrotechnie. Qui se rappellera des Minions sous la Seine coulant dans une joie débridée leur propre sous-marin ? Qui aura retenu les battements de cœur et de pieds cadencés et rageurs de centaines de danseurs au chevet de Notre-Dame ? Et l’image de ces autres danseurs en drapé multicolore se balançant dans le ciel de Paris au sommet de longues perches flexibles ? Bien sûr tous les spectateurs se rappelleront de Paris illuminé sous les trombes d’une pluie obstinée, de Aya dansant avec la Garde Républicaine devant l’Académie Française, du sang des aristos qui gicle devant la Conciergerie au son du métal, du sourire des athlètes sur leurs petits ou grands bateaux, du défilé de drag queens monté.e.s sur la table du festin, de Katherine en schtroumpf (Bacchus bleu) jouant avec le rythme des danseurs, du cheval de l’Apocalypse remontant la Seine au galop ralenti, du défilé sans fin des porteurs de flamme, de la montgolfière en feu dans la ciel nocturne de Paris, de la diva de la pop à la fin ressuscitée.

On entend déjà l’agacement du tiers de la France qui ne supporte pas le métissage et la dérision. Il a été voulu et brillamment suscité par l’auteur du spectacle Thomas Jolly. Sans doute à l’excès, avec cette joie impulsive de gamins à qui on a confié les clés. Il y avait du pied de nez dans ce spectacle ! C’était à la fois réjouissant et agaçant par moment. On avait envie de dire : « C’est bon, Thomas, on a compris ! »

Mais en sous-texte ce qui frappait était bien au-delà du dérisoire et des paillettes. Sur la Seine, il y avait bien sûr la scène mais plus encore la Cène. Littéralement avec le banquet queer organisé comme le tableau sur lequel Léonard de Vinci représentait le dernier repas du Christ mais également avec toutes sortes de références religieuses : l’Apocalypse (la cavalcade de la femme drapée dans l’Olympisme, la Résurrection de la chanteuse, l’Ascension de la flamme.

Communion et ferveur, tels étaient les messages que portaient les douze stations, comme un immense chemin de croix à travers la ville sur son fleuve-artère. Un écho au célèbre « N’ayez pas peur ! » prononcé aussi à Paris par le Pape venu de l’Est. Improbable message d’une France divisée qui désespère d’une union introuvable. Dire au monde la fraternité quand on peine tant à l’incarner, dire la joie sous la pluie. Ne pas se démonter. Tenir. L’honneur, cette valeur française si démodée était réinventée avec panache et bravade dans cette nuit illuminée de pluie précédée d’une nuit enténébrée par le sabotage.

Il faut la foi pour croire aux lendemains qui chantent. Je ne crois pas au sport rédempteur mais je crois à la communion des âmes. La France ne peut pas être réduite à ses rancœurs et à ses divisions. La Seine n’a pas transporté que des bateaux et des athlètes. Sous le pont Mirabeau coulait aussi un peu d’espoir. Merci aux milliers de personne qui ont contribué à allumer ce feu qui va brûler au-dessus de Paris, quelques jours. A nous de faire qu’il brûle plus longtemps. « Ça ira ! » Le titre du spectacle était bien choisi, comme un rappel de l’urgence et comme une espérance.

PS/ pour retrouver l’article sur CONCORDER, c’est ici