Réconcilier souveraineté domestique et écologie

Comment parler des enjeux écologiques et des moyens d’y faire face quand toute initiative des pouvoirs publics est immédiatement rejetée comme liberticide ? Peut-être en prenant en compte le besoin de « souveraineté domestique » dont parle Destin Commun …

Réconcilier souveraineté domestique et écologie
Chris Barbalis @unsplash

Comme souvent l’émission C Politique, animée maintenant par Thomas Snégaroff, était passionnante sur une question pourtant rebattue : le rejet des élites. Une notion que je ne connaissais pas a été présentée par Laure de Nervaux directrice de Destin commun : la perte de souveraineté domestique. Lors des entretiens qu’elle a pu conduire sur de nombreux sujets touchant aux modes de vie, elle a été frappée que revenait régulièrement l’agacement de Français qui ne supportaient pas que le Gouvernement veuille régir leur alimentation (en demandant de consommer moins de viande), leur manière de se chauffer (avec la règle du 19°)… « Mon salon c’est le dernier endroit où je décide ce que je fais. »

Toute intrusion des pouvoirs publics dans la sphère domestique pour des personnes qui ne se sentent pas reconnues dans l’espace public est vécue comme une perte de souveraineté insupportable puisque l’organisation de leur vie privée est le seul pouvoir qui leur reste. L’écologie n’est pas seulement vue comme punitive, elle prive le citoyen de sa dernière liberté d’action, du dernier droit à vivre debout. On entend ainsi : Avec « votre » démocratie, le peuple n’est plus souverain, je suis forcé de m’en accommoder mais alors je vous interdis de toucher à mon royaume, ma maison (et son extension, ma voiture). Au lieu d’être émancipatrice, l’écologie, mal mise en œuvre, conduit à l’enfermement de chaque foyer dans son royaume, défendu derrière des murs qui montent et des portails qui se ferment. Plus besoin des vieilles pancartes « Attention, chien méchant », le franchissement des frontières des royaumes privés n’est plus imaginable sauf en étant dûment muni d’un visa délivré aux seuls proches. Continuer la lecture de « Réconcilier souveraineté domestique et écologie »

A plusieurs

Agir « à plusieurs ». Pas très vendeur quand en général on cherche « à mettre tout le monde autour de la table », quand on veut « réunir toutes les parties prenantes », quand on cherche « des panels à l’image de la société toute entière’. Et pourtant ce « à plusieurs » pourrait être une belle manière de refaire de la politique.

A plusieurs
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En politique, on n’aime que les individus ou les collectifs, et bien sûr les majorités. Le libéralisme a glorifié l’individu, le socialisme le collectif et chacun s’est efforcé d’atteindre la majorité. On voit bien que sans majorité comme aujourd’hui à l’Assemblée nationale, le politique dysfonctionne.

Un ou tous, ou la moitié de tous plus un : voilà l’arithmétique sommaire de la politique.

On la retrouve régulièrement dans des expressions toutes faites comme le fameux « il faut mettre tout le monde autour de la table » à quoi les facétieux répondent « mais il n’y aura jamais de table assez grande ». Même lorsqu’on construit des jurys de citoyens, il y a une recherche presque désespérée du « tous » dans les « quelques-uns » que l’on tire au sort. Le jury doit être nombreux pour que ses travaux acquièrent un début de légitimité – même si 30 ou 100 ne fait en réalité aucune différence sur le fond – et habituellement on se fixe sur le nombre magique de 100, nombre rond qui laisse imaginer que tout le monde est présent ou représenté. Avec 100 on dispose d’une totalité symbolique.

Depuis quelques temps, j’évoque à l’inverse de ces recherches fantasmatiques du tout, la nécessité d’agir à plusieurs. Ce terme s’est imposé à moi et me semble intéressant du fait même de son indétermination et de son insignifiance. Quand on dit « beaucoup » ou plus encore « plein [de gens, d’arguments, de données] », on sature l’espace mental de personnes, d’arguments ou de données. Inconsciemment beaucoup évoque la presque-totalité. Plusieurs c’est plus d’un ou deux, ça peut être seulement trois mais ce n’est jamais la multitude. Dans plusieurs on voit encore les individus et non la masse. Avec plusieurs participants, on peut sans doute encore nommer chaque participant ou en tous cas les décrire (deux femmes, trois hommes dont deux n’étaient encore jamais venus…). Plusieurs ce n’est pas beaucoup, c’est variable selon les circonstances mais c’est intéressant parce que ça évoque la diversité. Quand on parle d’agir à plusieurs, on n’imagine pas une petite équipe au complet, on voit plutôt des individus venus de plusieurs horizons et qui ne se connaissent pas forcément. Dans plusieurs il y a peu de place pour le même, le semblable, le cloné.

Plusieurs, c’est « vient qui veut », il y a l’idée d’une mobilisation spontanée ou d’une agrégation aléatoire. Plusieurs personnes ce n’est pas un groupe identifié, une équipe, une cohorte. On est entre l’aléa du rassemblement et le choix mutuel de quelques-uns, volontaires pour une corvée.

« A plusieurs » on est dans un registre modeste, dans le non-spectaculaire, l’absence de certitude partagée. A plusieurs on expérimente, on ne démontre rien.

A plusieurs on peut s’entendre, on peut imaginer et être créatif. On peut même être surpris d’y parvenir et s’en réjouir. C’est à ce point, crucial pour moi, que je voulais en venir. Même si je me rendais compte depuis quelques temps de la portée de ce « à plusieurs », pour toutes les raisons que je viens d’énumérer, c’est en entendant des participants à la Convention citoyenne pour le climat organisée par la Métropole de Lyon[1] dire leur satisfaction étonnée d’avoir pu dépasser leurs divergences en travaillant à plusieurs que j’ai imaginé d’en faire un post sur ce blog.

Par tables de cinq ou six personnes tirées au sort, très diverses en âge, en situation sociale et en opinions, les Conventionnels ont réussi à écrire à plusieurs de courts récits décrivant de manière plutôt crédible les différentes manières dont des personnages aux attitudes contrastées pouvaient parvenir à des accommodements dans des situations rendues pourtant difficiles par la forte montée des températures. Les mots qu’ils utilisaient pour décrire à chaud l’expérience de création commune qu’ils venaient de vivre se révélaient très semblables aux miens. Et si le « à plusieurs » était une voie à creuser pour une action publique confrontée aux enjeux de transformation des modes de vie ? Et si c’était la voie d’une mobilisation sociale réussie ?

Agir à plusieurs, c’est pour moi sortir de l’individualisme sans rejoindre le collectif prédéfini. C’est sortir de l’angoisse de la solitude sans se noyer dans la masse, c’est trouver la possibilité de dépasser l’impuissance, le moyen de rendre vivante la proximité souvent fantasmée mais si peu pratiquée.

J’ai souvent essayé de promouvoir le commun, cet espace intermédiaire entre le public et le privé, ce mode d’action qui ne se défausse pas sur l’Etat mais qui ne laisse pas l’individu seul face à une responsabilité écrasante. Mais je dois bien me rendre compte que le commun intimide voire fait peur (ah le spectre du communisme !).

Le « à plusieurs » c’est un commun potentiel, sans engagement, c’est un commun pour voir, informel et spontané. Il a une capacité à refaire de la politique par le bas. Il devrait être encouragé comme on encourage d’être plusieurs dans une voiture en ouvrant des voies à ces formes de covoiturage.

Je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec la parole du Christ : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »  (Mt 18, 20). Spirituelle ou séculière, il y a bien une énergie qui circule entre des personnes réunies dans un but commun. Il est temps de le reconnaître et d’en faire une ressource pour les transformations profondes que nous devons opérer dans nos modes de vie.

 

[1] Convention citoyenne pour laquelle j’ai organisé une séquence de récits d’anticipation sur les modes de vie dans une ville qui se serait adaptée au réchauffement climatique. Contribution innovante dans ce type de format très bordé sur le plan méthodologique. Merci à Anne-Laure Garcin de la Métropole et à Judith Ferrando (Missions publiques) et Olivier Merelle (Planète publique) de m’avoir intégré au projet !

Rétablir l’ordre

« L’ordre, l’ordre, l’ordre ! » disait déjà Emmanuel Macron. Le ministre de l’Intérieur surenchérit. Il est frappant qu’on ne parle plus de lutte contre l’insécurité mais de rétablissement de l’ordre. Qu’est-ce qu’il faut comprendre ? Et si l’ordre recherché était une illusion, le souvenir d’un monde qui n’existe plus, comme ce jardin à la française aussi ordonné que mort ?!

Rétablir l’ordre
parterre de buis attaqué par la pyrale

Pourquoi cette insistance à remettre de l’ordre ? Qu’est-ce qui est à ce point dérangé pour que le ministre de l’Intérieur à peine nommé affirme chaque jour dans un média différent que sa priorité est l’ordre ? Pas la sécurité, l’ordre. Y a-t-il de tels désordres dans la rue, y a-t-il tant de désordres aux frontières ? Sommes-nous réellement menacés par une « barbarie devenue presque quotidienne » ? Les migrants déferlent-ils sur la France ? Que voit-il que je ne vois pas ?

Cela me trouble d’autant plus que j’ai connu Bruno Retailleau il y a plus de trente ans. Nous l’appelions à l’époque « le petit Bruno » avec plus d’affection que de dérision. Il dirigeait l’école de communication créée à Nantes par Philippe de Villiers, un lieu étonnant de liberté et de modernité où les étudiants étaient incités à prendre l’initiative avec un accès 24h sur 24 aux locaux qui étaient, le soir venu, notre refuge commun, avec vidéo et canapés confortables. J’étais étudiant, il était directeur mais nous avions le même âge, le même goût pour la politique et l’entrepreneuriat et ça nous rapprochait. Même s’il était nettement plus conservateur que moi, nous étions l’un et l’autre libéraux. Comment avons-nous pu diverger à ce point ? Continuer la lecture de « Rétablir l’ordre »