Du Grand Débat aux « petits échanges »

Dix jours qui m’ont donné envie d’y croire à nouveau ! d’ailleurs les hélicoptères se sont faits plus discrets samedi dernier…

Trois SMS en quelques minutes pour me dire d’écouter Bruno Latour sur France Inter vendredi ! Record battu ! J’ai l’habitude d’en recevoir de temps en temps (et c’est super d’être ainsi incité à lire ou écouter tel ou tel) mais jamais en rafale comme vendredi. Que disait Latour de si intéressant ?

Avant d’y venir, quelques mots de météo personnelle en reprenant le fil des 10 derniers jours. Mon dernier papier, écrit pendant « l’acte IX » avec le bruit des hélicos en fond sonore, trahissait une forme de désenchantement ou, pire, d’exaspération face à l’incapacité de part et d’autre à passer à une phase constructive de la crise. J’écris dimanche et mercredi et il s’est passé beaucoup de choses qui m’ont remis dans le mouvement.

Si le texte de la lettre aux Français, lu le dimanche soir, est apparu décevant par son cadrage étroit et par son incapacité à donner les signes que débattre serait utile, le site mis à disposition des Français s’est révélé intéressant. Il permet en effet à chacun de mettre en ligne l’annonce de son propre débat : c’est un outil puissant si on s’en saisit sans attendre la bonne volonté des seuls maires (dimanche il y en avait 505, aujourd’hui 893 sont programmés à l’heure où j’écris). En revanche, il me semble que répondre aux questions en ligne est sans intérêt, on en reste soit au sondage (et mieux vaut un sondage professionnel), soit au défouloir qui sera inexploitable sauf par des algorithmes qui ne donneront de visibilité qu’aux questions les plus reprises donc les plus générales et ainsi les moins intéressantes (on y reviendra avec Latour, patience !).

Démocratie ouverte, le collectif des Civic tech et des nouvelles pratiques démocratiques proposait mercredi dernier une réunion pour définir une posture commune à l’égard du Grand débat et proposer des améliorations. La réunion était à mon goût trop centrée les « leçons » à faire au pouvoir sur la manière d’organiser le Débat et mon intervention sur la nécessité de lier ce Débat et la résolution locale des problèmes apparus au début de la crise est tombée à plat. La première version d’une lettre ouverte soumise à nos signatures restait sur le même registre mais cette fois-ci le travail collectif a produit ses fruits et le texte re-rédigé à plusieurs donne à voir un vrai souci d’enrichir la démarche élyséenne en proposant d’y contribuer

  • au travers d’un Observatoire pour contribuer à la confiance dans le processus mis en place,
  • d’une assemblée de citoyens tirés au sort (revoilà le G1000 !) pour délibérer véritablement (et pas seulement trier les données à remonter au Président)
  • et d’un appui à un travail de terrain dans la durée pour tirer parti des énergies citoyennes qui se sont réveillées (même si elles sont souvent encore mal employées).

Vous trouverez le texte sur le site du Parisien

Enfin dernier élément de cette météo personnelle, j’ai écouté le conseil donné en commentaire de mon dernier papier « Il n’est pas de meilleur antidote au spleen que l’action ». Pour cela j’ai pris l’initiative de proposer à des réseaux citoyens lyonnais de se réunir pour mettre au point un débat commun qui ne serait pas un simple recueil des mécontentements mais fournirait aux participants des ressources pour travailler à la résolution des problèmes qui sont les leurs, en passant ainsi de la colère à l’initiative. J’espère que nous arriverons à nous mettre d’accord rapidement pour monter une telle rencontre. Réunion ce soir, mais les premiers retours sont très positifs. A suivre…

C’est là que je reviens à Bruno Latour, parce qu’il était très clair sur ce qui était à faire, sans prendre parti, renvoyant même chacun à ses limites : « on a un gouvernement incapable d’écouter et un peuple incapable de s’exprimer ». Avec sa manière de dire les choses sans prendre de gants, il affirmait clairement que le recueil des opinions n’avait aucun intérêt. Ce qui compte pour lui ce sont les conditions d’existence, les modes de vie, les difficultés rencontrées par les gens et les intrications des situations qui supposent de se parler pour comprendre et agir. Pour cela on part forcément des réalités vécues localement à l’inverse du grand débat qui part des questions générales. Partir des spécificités de chacun ce n’est pas s’y enfermer. Latour insiste sur le fait qu’il n’y a de politique que lorsqu’on accepte de sortir de son problème à soi, de chercher des solutions à plusieurs. « Si chacun dit Moi, je pense que… et je m’y tiens, il n’y a plus de politique ». Latour pointe également que tout le monde est dans l’ignorance de ce qu’il faut faire alors que chacun, Gilets jaunes comme Gouvernement, affirme qu’il sait ce qu’il y a à faire. Mais ces « solutions » sont toujours beaucoup trop simplistes pour être opérantes. Nous sommes dans l’ignorance parce que nous devons trouver des solutions à des questions matérielles (déplacements, logement,…) où les intérêts sont extrêmement mêlés. Il faut regarder précisément et localement nos interdépendances, sortir des yakas et se coltiner aux réalités. « Comment je peux me passer de ma voiture ? », « à quelles conditions je peux entreprendre les travaux d’isolation de mon logement ? »… Si les réponses ne sont qu’un renvoi au gouvernement de la question, le gouvernement continuera à faire les seules choses qu’il peut faire « de loin » : augmenter ou diminuer des taxes, changer une réglementation. Or ce qui est à faire est d’une nature différente : il s’agit de réorganiser nos modes de vie avec plus de solidarité, plus de simplicité, plus de présence à soi et aux autres (là vous l’avez compris, je prolonge Latour de mes propres obsessions !)

Nous avons une occasion unique de refaire de la politique. Nous devons pour cela apprendre à nous parler vraiment, pas pour singer la politique des tribunes médiatiques, où l’on cherche à vaincre un adversaire, mais pour construire patiemment des accords, partiels et locaux, qui permettent de vivre mieux. Saurons-nous emprunter cette voie modeste et tenace des « petits échanges » plutôt que du « Grand Débat »? Pas sûr mais possible…

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

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