Outrecuider

Outrecuidance, faits alternatifs et imaginaire : et s’il était temps d’outre-penser ?!

Un ami me fait remarquer la bizarrerie d’outrecuidance. Littéralement c’est aller au-delà de … la cuidance ! On peut aller outre-mer mais il est en effet étonnant de pouvoir aller au-delà de quelque chose dont on ne sait rien. Alors un passage par le désormais éternel Alain Rey (décédé le mois dernier mais toujours consultable dans ses indispensables dictionnaires) nous informe que la cuidance a bien existé, du verbe cuider, forme populaire de cogiter. La cuidance, c’est donc la pensée et l’outrecuidance nécessairement l’outre-pensée ! Penser au-delà des limites, au-delà de ce qui est jugé acceptable : tout à coup l’outrecuidance devient plus sympathique ! Elle n’est pas simple fatuité, insupportable prétention, vaine présomption. Elle est une pensée hors des cadres avec bien sûr le risque de verser dans l’excès ou l’insignifiance. Pourquoi cette outre-pensée a-t-elle si mauvaise réputation ? J’aimerais bien savoir comment on utilisait le mot quand on en avait encore la mémoire de la cuidance. Avait-il déjà cette connotation négative ? Je me dis que c’est en oubliant la signification de la cuidance qu’on a réduit l’outrecuidance à son versant négatif. Je ne vais pas avoir l’outrecuidance de chercher à réhabiliter ce mot mais j’avoue que cette pensée au-delà des convenances me séduit quand tant de propos parfaitement dans les clous manquent de saveur. Et si nous tentions d’ « outrecuider », de faire preuve d’imagination en quittant le confort de la pensée commune quitte à choquer ou à s’égarer ? Je sais qu’en disant cela, je risque d’être pris pour un promoteur des « faits alternatifs ». Mais en réalité ceux qui s’aventurent sur ces chemins de la post-vérité n’outre-pensent pas, ils infra-pensent au contraire. Ils s’enferment dans la croyance, dans les certitudes bornées. Outre-penser n’est pas se libérer de la raison ou de la vérité c’est réintroduire du potentiel, le « Et si… » des hypothèses, même les plus étonnantes, pour que de l’inédit, de l’inouï puisse advenir et non la seule répétition d’un jour sans fin !

Un mot encore, sur outremer. Le bleu marine existe, pourquoi avons-nous éprouvé le besoin d’explorer un bleu « au-delà du marine » ? il n’y a pas d’ultrarouge (plutôt un infrarouge). Comme – nous venons de l’évoquer – on peut tenter d’aller au-delà de la pensée, il est également possible de se perdre dans la profondeur liquide des bleus intenses. Le lapis lazuli qui a reçu le premier cette dénomination d’outremer est, rappelons-nous, la pierre qui, broyée, a donné les teintes de bleu les plus bouleversantes du Moyen-âge, des ciels des fresques de Giotto aux vitraux de Chartres. Un bleu qui nous entraîne à … outrecuider, au meilleur sens d’un terme oublié.

PS / deux propositions si vous voulez jouer avec les mots :

  • L’ami qui m’a incité à me saisir du mot « outrecuidance », Jean-Pierre Texier, propose un « commerce des pensées » avec un exercice original à découvrir ici.
  • Imaginarium-s vous invite à la production d’un « cadavre exquis » qui nous amène à imaginer la santé en 2054, quand le covid-53 ne nous fera même plus peur !
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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

Une réflexion sur « Outrecuider »

  1. Loin d’être outré par le traitement du sujet, je trouve splendide cette figure libre, cette exploration conduite par Hervé Chaygneaud-Dupuy dans la Terra Incognita de l’outre-cuidance. Le bon voyageur n’a pas d’itinéraire et n’a pas l’intention d’arriver, peut on lire dans le Tao Te King, le Livre de la Voie et de la Vertu. Je crois que la voie tracée au fil des billets de Persopolitique est de cet ordre. Je corrige : je devrais dire de ce dés-ordre, au sens où ce mot révèle la négation d’un ordre s’imposant de l’extérieur.

    L’outrecuidance n’est pas, me semble-t-il, interprétée ici comme refus de la règle. Si elle cherche à se soustraire à la rigidité du prêt-à-penser, c’est pour mieux s’habiller avec la fluidité de l’imaginaire, si chère à HCD.

    A propos, je m’autorise à revenir sur la proposition voltairienne d’un « commerce des pensées ». Le protocole décrit dans la pétition ( https://www.change.org/FlackBriday) pourra sembler …outrecuidant. C’est cela même qui est revendiqué. Une amie qui m’interrogeait hier à ce sujet détectait un air de famille avec les cafés philo. A mes yeux, c’est un rapprochement de la même nature que celui qui permet de corréler le pôle Nord et le pôle Sud. Je manque de temps, pour le moment, pour m’en expliquer.

    Avec Hervé, nous projetons de tester empiriquement le dispositif. Alors, rendez-vous si vous le voulez bien début décembre !

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