Quelle architecture pour la démocratie ?

une vidéo qui fait suite à mon précédent billet…

En écrivant mon dernier post sur l’architecture, je me suis souvenu d’une visite du siège de la région Rhône-Alpes  que j’avais faite en 2011 à l’initiative de Pascale Puéchavy, une de mes complices des Ateliers  de la Citoyenneté. C’était une  visite filmée pour la revue vidéo Le milieu du Rhône. Nous étions deux à faire  l’exercice en dialogue, Gérard Vianès, le responsable du projet du nouveau siège de la Région, et moi, en tant que citoyen intéressé par la  relation aux institutions.

Cette vidéo, Frank Miyet, son co-réalisateur (avec Pascale), a eu la gentillesse de la mettre sur YouTube.

Je  trouve qu’elle montre bien ce que ce bâtiment  apporte de neuf… mais aussi ses limites. Celle évoquée dans le texte Une architecture hors du commun : l’aspect « boîte fermée » que l’usage du verre ne rend pas pour autant transparente ; mais aussi le fait que l’idée de rue  intérieure, d’espace ouvert sur la ville n’a pas été poussé assez loin pour être effectif. J’évoque notamment l’intérêt qu’il y aurait eu à rendre  visible l’interaction entre  acteurs qui est une des caractéristiques majeure d’une institution comme la Région. J’avais rêvé à l’époque de salles  de réunion ouverte sur la rue intérieure. Je rajouterais aujourd’hui un point : le lieu d’exposition, incongru dans ce bâtiment, serait utilement remplacé par un « café citoyen », où viendraient échanger, le temps d’un verre, élus, fonctionnaires, habitants, visiteurs participant à une  réunion,…

La démocratie a bien sûr besoin de lieux symboliques mais en même temps de lieux ouverts, accueillants et facilitant l’échange. A la fois  le pouvoir politique et sa nécessaire « sacralité », et le pouvoir d’agir de la société et sa libre circulation.

Visite citoyenne du siège de la Région Rhône-Alpes

Dire la démocratie

Alexandre Jardin à Canal+ pour parler de démocratie. Occasion pour moi d’une « valse à 4 temps ». Intérêt d’abord, déception tout de suite après, réflexion ensuite, espoir finalement. Une valse-hésitation, qui, je crois, dit bien le moment très particulier dans lequel nous sommes entrés, celui, qu’avec d’autres, je nomme la transition démocratique.

 

Alexandre Jardin à Canal+ pour parler de démocratie. Occasion pour moi d’une « valse à 4 temps ». Intérêt d’abord, déception tout de suite après, réflexion ensuite, espoir finalement. Une valse-hésitation, qui, je  crois, dit bien le moment  très  particulier  dans lequel nous sommes entrés, celui, qu’avec d’autres, je nomme la transition démocratique.

1er temps : intérêt

Quand  Alexandre Jardin prend la parole  à la télévision sur les  questions d’engagement civique, on s’attend toujours à des paroles décoiffantes. J’avais beaucoup aimé, avant les présidentielles de 2007, son apostrophe : « Si l’ensemble de notre société était capable de mobiliser sa créativité et ses potentiels les plus inattendus sur les questions éducatives, nous serions plus riches, sans doute moins cons et probablement plus gais ! » Depuis son premier livre  sur le sujet 1+1+1, Alexandre Jardin nous a habitués à ses coups de gueule et à ses éclats de rire pour nous inviter à voir l’action des citoyens comme une chance pour le  bien commun et plus encore comme  le meilleur moyen de  vivre pleinement sa vie en se faisant plaisir. Cet épicurien civique me changeait des militants tellement sérieux et révoltés qu’ils en oubliaient de jouir de la  vie ! Donc en entendant qu’il passait au Grand  Journal de Canal +, je  décidais de renoncer à mon zapping favori, le grappillage entre le Journal de la  Culture  de la 5, le 28 minutes d’Arte et le Petit Journal de Canal.

2ème temps : déception

Je suis sorti de ce moment de télé improbable plutôt perplexe. Jardin a à peine réussi à faire  comprendre son message alors que l’antenne avait construit l’émission autour de lui. Ce qui me semblait neuf, son idée de « contrat de mission » à signer avec des élus locaux pour mettre en place un bouquet de solutions déjà  expérimentées, était noyé dans  une  mise  en scène emphatique et vieillotte avec des maires ruraux ceints de leur écharpe tricolore,  installés en face d’une cohorte de « faiseux » avec une écharpe zébrée en référence au mouvement lancé  l’an dernier par Jardin. Le pire a été  qu’un de ces élus a entonné l’hymne national faisant lever l’ensemble des personnes présentes sur le plateau, animateurs compris, à l’exception de Jean-Michel Apathie. Ça a eu pour moi l’effet inverse de celui recherché : notre hymne ne convient décidément pas à autre chose qu’à l’exaltation sportive et nationaliste (même le  11 janvier dernier après les attentats, j’ai été incapable de le  chanter alors que j’étais pris dans l’émotion de la foule débouchant sur la place Bellecour ) ; face à mon écran, impossible de participer sur commande à un moment d’union nationale « improvisée ». Ce qui aurait dû être une insurrection civique virait au pathos républicain qui plus est complètement à contresens  de l’esprit de cette chaîne  qui a fait de la dérision sa seconde nature.

J’ai réentendu Alexandre Jardin à la  radio dans le week-end et je l’ai trouvé plus juste, plus léger.  C’est compliqué de trouver la bonne  manière de parler de démocratie dans les médias. Il y avait dans l’émission de Canal+ un non-dit qui faussait tout : était-ce une émission comme une autre mais alors la mise en scène n’avait pas lieu d’être ou bien une « spéciale » mais l’engagement de la chaîne aurait dû être explicite. Créer l’événement ne se décrète pas. Qu’on se rappelle à l’inverse de la formidable émotion qu’on a été si nombreux à ressentir en voyant la vidéo de la représentation interrompue de Nabucco, celle où Riccardo Muti fait reprendre, avec la  salle debout et vibrante d’émotion, le chœur des esclaves. Pour ceux qui ne l’ont pas  vu, c’est vraiment  fort !

3ème temps : réflexion

J’avais lu par ailleurs, à quelques jours d’intervalle, deux  autres informations sur des manières  très différentes de concevoir et de solliciter l’intelligence citoyenne. La première  est celle  prônée  par Jacques Testart, le biologiste qui a  été le premier  à tester ce qu’il appelle maintenant les conventions de citoyens. Il a publié en début d’année au Seuil L’Humanitude au pouvoir, Comment les citoyens peuvent décider du bien commun. Il ne se contente pas de raconter comment ces conventions de citoyens fonctionnent, il propose de leur donner une  place  dans  notre fonctionnement institutionnel et de remplacer le Sénat par une  assemblée  de  « gens ordinaires »  tirés au sort qui relaierait leurs avis.

Autre découverte, grâce au blog  d’Anne-Sophie Novel, autre  incarnation de cette citoyenneté en acte, le réseau social weeakt.com qui propose de façon simple et ludique d’afficher ses actions pour donner envie à d’autres de faire pareil, soit par des actions spontanées soit en accomplissant des « missions » proposées par des associations. Toutes ces actions sont comptabilisées et on peut ainsi faire gagner des points à sa ville (sans que la collectivité en tant qu’institution soit impliquée !). Le réseau mise donc sur l’émulation entre habitants de villes différentes.

Rien à voir entre ces deux informations ? Simplement une confiance dans  la capacité des personnes à devenir des citoyens, soit pour délibérer, soit pour agir, mais toujours au service du bien commun.

Toutes ces initiatives ont leurs détracteurs et les critiques sont légitimes mais ça n’empêche qu’elles se développent. Il y a  de plus en plus de réseaux  sociaux citoyens. Il y a toujours plus d’initiatives de délibération citoyennes. Et finalement cette  diversité d’approches et de solutions permet de toucher des publics différents, des gens tournés vers l’action quotidienne, des gens plus intéressés par l’élaboration de normes communes,…

Jacques Testart note avec lucidité : « Croire aux vertus de la citoyenneté ce n’est pas célébrer les êtres humains en l’état où les a placés la société, c’est ne pas douter qu’un citoyen sommeille en chacun et s’efforcer de l’éveiller ». Dans un article paru dans l’Humanité il constate qu’

il manque un mot pour parler d’une capacité humaine qui existe chez toutes et tous mais n’apparaît que dans des situations exceptionnelles où des personnes impliquées dans une action exaltante de groupe semblent vivre une mutation intellectuelle, affective et comportementale .

Les gens se réunissent, se renforcent mutuellement, éprouvent une empathie les uns pour les autres… et cette émulation engendre une effervescence intellectuelle, morale et affective, qui se traduit par la fabrique de propositions citoyennes, sous diverses formes. Or, j’ai constaté que ce type d’effervescence sociale et intellectuelle apparaît lors des « conventions de citoyens » que nous avons élaborées avec la Fondation Sciences citoyennes : lorsqu’on confie à des personnes ordinaires, ni « notables » ni « experts », une tâche et une responsabilité importantes, elles les prennent très au sérieux et s’impliquent au nom de l’intérêt commun de l’humanité.

Deux qualités qui composent l’humanitude : l’empathie et l’intelligence collective, au nom de l’intérêt public .

4ème temps : espoir

Revenons à Alexandre Jardin. Son projet peut sembler très libéral. Son Appel des Zèbres est ainsi explicite avec son « Laissez-nous faire ! on a déjà commencé ».

Signer l’Appel des Zèbres, c’est soutenir l’action d’une nation adulte qui se prend déjà en main sans rien demander

[…] Signer cet appel c’est exiger de ceux qui nous dirigent ou aspirent à nous diriger de nous Laissez-faire, partout où l’action de la société civile est déjà la plus efficace !

[…] Laissez-nous faire, nous qui portons la voix d’une société civile adulte qui n’attend plus rien d’en haut mais se coltine la réalité en bas.

Cela fait des années que je déplore que les mouvements citoyens soient considérés spontanément comme étant de gauche. Mes  interlocuteurs me comprennent rarement. Pour eux, c’est naturel. Pour moi ça délégitime l’action citoyenne auprès  de la moitié de la population française qui se reconnait dans  la droite. Oui c’est souvent à gauche que naissent  les nouvelles pratiques sociales mais c’est leur généralisation à des gens de droite comme de gauche qui en change la nature. Ce n’est plus alors le militantisme de quelques-uns mais un mode d’action collective approprié par tous. Les républicains étaient de gauche au XIXème, aujourd’hui plus personne ne remet en cause la République, pas même la droite nationaliste. La démocratie suppose que ses règles du jeu soient acceptées par tous. Et il me semble que c’est ce qui est en train de se produire avec l’action citoyenne. A gauche et à droite on peut désormais trouver une légitimation qui corresponde à ses options politiques.

On ne mesure pas  assez la force de ce  qui est en train de se produire ! Deux exemples  encore qui montrent que le changement de paradigme est bien amorcé. Il ne  s’agit plus d’un romancier romantique, d’un biologiste converti mais d’un journaliste politique et d’un professeur de  droit constitutionnel !

Le constitutionnaliste, c’est Dominique Rousseau, déjà mentionné  dans ce blog. Il poursuit sa  réflexion dans Radicaliser la démocratie qu’il vient de publier  au Seuil. Une interview dans  Le Monde en reprend les principaux  arguments. On ne peut qu’être frappé  de la convergence de son propos  et de  celui de Testart :

Il faut renverser cette croyance que les citoyens n’ont que des intérêts, des humeurs, des jalousies et que la société civile, prise dans ses intérêts particuliers, est incapable de produire de la règle. Il y a de la norme en puissance dans la société civile.

Gérard Courtois, que  j’avais égratigné ici pour avoir passé sous silence  l’aspect le  plus intéressant de l’étude  Viavoice sur les innovations  démocratiques, vient de publier dans  Le Monde un texte où il s’intéresse justement à l’initiative  de Jardin et à celle  de  Rousseau (plus le livre de la journaliste Ghislaine Ottenheimer davantage sur le registre de la dénonciation et donc  pour moi nettement moins intéressant).

Vaines élucubrations, penseront les gens « sérieux ». Ils ajouteront que nos institutions en ont vu d’autres depuis un demi-siècle et que la France a d’autres chats à fouetter en ce moment. Ils seraient pourtant bien inspirés d’y prêter une oreille attentive, avant qu’il ne soit « trop tard », comme le redoutent le professeur, le zèbre et la procureur

Cet espoir de  nouvelles  pratiques démocratiques, je  le  vis « en direct » ce week-end en étant observateur,  pour le  Laboratoire de  la Transition Démocratique, de l’expérimentation Gare remix. J’y retourne après cette mise en ligne et en parlerai bien sûr sur ce blog et celui du Labo qui va bientôt accueillir une série de textes  sur le nouvel imaginaire  démocratique en train de naître. Yves  Citton, Jacques Ion, Olivier Frérot, Philippe Dujardin et bien d’autres y publieront ou republieront  des textes passionnants !

 

 

Individu, institution et imaginaire démocratique

Un texte exploratoire, sur un terrain peu familier, celui de l’imaginaire. Une tentative pour dépasser l’opposition individu/institution. Un travail à poursuivre via le Laboratoire de la Transition Démocratique ? Réactions bienvenues !!

 

Pour redonner goût à la politique, je dis souvent qu’il faut partir des personnes et de la manière dont elles se relient. Je parle pour cela de persopolitique. Ce faisant je laisse trop souvent les institutions de côté en incitant ceux qui prennent l’initiative dans la Cité à « faire avec », à composer avec les institutions telles qu’elles sont.

Une lecture récente sur le rapport Individu/institution me donne une occasion d’aller plus loin et, pour sortir de cette approche binaire insatisfaisante, de rajouter un élément trop souvent négligé car assez insaisissable : l’imaginaire. Je ne suis pas un spécialiste de l’imaginaire et je serais heureux que d’autres (je pense bien sûr à Bernard Lamizet, à Yves Citton que je  cite dans  cet article) prennent le relais pour compléter ou infirmer l’intuition que je vais présenter comme une simple hypothèse de travail, à reprendre dans le cadre du Laboratoire de la Transition Démocratique dont la saison 1 est consacrée (un peu laborieusement, j’y reviendrai) à l’imaginaire démocratique.

renouveler les institutions ?

Commençons donc par regarder du côté des institutions. Elena Lasida les invite à évoluer, en prenant en compte la fragilité. Quelques extraits de son article paru dans Etudes, que je vous invite à lire (ici dans la longueur).

Elle part comme nous de l’exigence d’autonomie des personnes et regarde comment les institutions peuvent y faire face, sans renoncement.

Plutôt que de nier cette réalité [l’exigence d’autonomie des individus], les institutions devraient chercher à en tirer parti. Tout en manifestant leur esprit critique, les individus cherchent des voies pour se réinscrire dans du collectif, pour se réapproprier la force des institutions et les valeurs qu’elles portent.

Et nous croyons que la fragilité constitue une bonne clé pour penser d’une manière nouvelle ce lien entre individu et institution.

On associe souvent la fragilité à un manque à combler, à un problème à résoudre, à une insuffisance à réparer. Mais c’est la fragilité qui rend possible l’émergence du radicalement nouveau. C’est parce que l’individu se reconnaît fragile qu’il est capable de construire avec les autres une véritable relation d’interdépendance. C’est la fragilité de chacun qui permet de se situer face aux autres en frère plutôt qu’en rival. C’est aussi la fragilité de l’institution qui permet aux individus de l’adapter et de la renouveler en permanence.

La société des individus demande  à l’institution de se renouveler :

Il est nécessaire de promouvoir du mouvement dans l’institution : en cherchant la continuité et à la fois le  renouvellement, en assurant l’unité tout en laissant place à la diversité, en orientant l’action tout en laissant une marge de liberté.

Ce mouvement crée de la fragilité, mais une fragilité utile :

Ces fragilités déplacent la manière habituelle de concevoir un processus d’institutionnalisation et invitent à le penser sous le mode de la fécondité plutôt que de la force, sous le mode du rapport à l’altérité plutôt que sous celui du contrôle, dans une logique d’habilitation (empowerment) plutôt que de domination.

Je souscris complètement à cette approche des institutions mais force est de constater que ce n’est que très rarement les évolutions qu’elles imaginent pour elles-mêmes ! Nous y reviendrons.  Attardons-nous un moment du côté des individus. Elena Lasida n’est pas suspecte de nier la capacité des citoyens à faire société puisqu’elle propose  aux institutions de développer l’empowerment. Pourtant elle regarde de manière plutôt négative ce qu’elle appelle les « mondes vécus »

Le monde commun tend ainsi à se fragmenter en multiples « mondes vécus ». On appelle ici « mondes vécus » les milieux de vie fondés sur les relations personnelles, les goûts communs, le partage d’expériences émotionnelles, les affinités électives et les sentiments (famille, groupes d’amis, clubs de loisirs, etc.). Par opposition aux institutions, les mondes vécus n’obéissent à aucun projet et ne produisent aucun symbole de portée générale : ils sont le produit instable des initiatives relationnelles des individus. Outre les dangers que présente cette énergie subjective sans ancrage, il en résulte une déstructuration du monde commun et un appauvrissement de l’existence de chacun.

L’individu condamné  à l’entre-soi des « mondes communs » ?

Quel écart avec ce que je disais en commençant : pour moi, les liens personnels permettent de découvrir de proche en proche l’intérêt du commun, sortant la quête légitime du bonheur personnel d’un enfermement sur un moi autosuffisant. Je me suis beaucoup interrogé sur cet écart alors même  que je me sentais en grande proximité avec le contenu général du texte, y compris ses références chrétiennes.

En réalité je suis d’accord avec elle quand je me borne au constat des pratiques réelles de beaucoup de nos contemporains : oui, les « mondes vécus » peuvent ne produire aucun projet ou symbole  de portée générale ; oui, les affinités électives peuvent déboucher sur un entre soi sans autre perspective. Pour autant doit-on en conclure une généralité ainsi formulée : « Par opposition aux institutions, les mondes vécus n’obéissent à aucun projet et ne produisent aucun symbole de portée générale » ? Hors des institutions, point de structuration possible du monde commun ? Comme l’Etat a selon Weber le monopole de la violence légitime, les institutions auraient le monopole des symboles de portée générale ?

J’ai bien compris que Elena Lasida avait une définition extensive du terme d’institution, ce qui permet sans doute de réduire l’écart.

L’institution est définie ici de manière délibérément large comme un dispositif capable de prescrire et/ou de légitimer certains types de conduites sociales sur de grandes échelles de temps et d’espace. Ainsi définies, les institutions constituent la structure du monde commun. C’est à elles, au premier chef, qu’il revient de donner corps à une société « qui se tient » et sur laquelle nous pouvons nous reposer de multiples manières pour dépasser les limites de l’action individuelle, transcender nos fragilités et donner un sens pérenne à nos actions et à nos projets.

En disant cela des institutions, il me semble qu’elle justifie la prééminence des institutions sur les individus sans clarifier les dynamiques en jeu. Si les institutions étaient aussi englobantes comment pourraient-elles être amenées à évoluer et à faire droit à la fragilité comme les y incite l’auteur ? Rien ne les pousserait jamais à se transformer. Si l’individu doit admettre son incomplétude, l’institution le doit tout autant. Elles ne peuvent pas être à elles seules  la « structure du monde commun », elles ne suffisent pas à « donner corps à une société ».

Si l’on admet que l’individu même relié peut en rester à un entre soi destructeur, si on admet que les institutions ne sont pas par elles-mêmes conduites à prendre en compte leur fragilité ? que faut-il d’autre ?

C’est là que je m’engage sur le chemin de l’imaginaire. Certains n’ont pas hésité à l’explorer. Bernard Lamizet a introduit une approche ternaire intéressante : réel, symbolique, imaginaire, inspiré de la psychanalyse lacanienne. J’aime l’idée de cette existence en propre de l’imaginaire dans le champ politique mais je ne suis pas toujours sûr de le suivre dans sa navigation entre les 3. Il me manque clairement des bases philosophiques et psy. Avant lui mais sans que je sache comment se relient les deux pensées (si elles se relient), Castoriadis a donné une place importante à l’imaginaire dans son œuvre, mais là encore je suis obligé de constater mes limites à le comprendre. Pourtant je partage sans difficulté son point de vue sur la démocratie athénienne, et partage bien sûr son attachement au tirage au sort. J’ai donc un a priori favorable sur le fait qu’il y ait intérêt à fouiller dans cette direction.

Enfin Yves Citton, auteur découvert au travers du formidable Renverser l’insoutenable explore lui aussi des chemins de traverse pour décrire ce qui se passe. Il n’hésite pas à forger de nouveaux termes comme ses « politiques des pressions » et « politiques des gestes ». J’y reviendrai dans un billet à venir.

Dans l’immédiat, je me lance en solitaire…

Activer la puissance de  l’imaginaire

D’abord, l’imaginaire collectif, il me semble, n’appartient à personne, ce n’est l’attribut ni des individus ni des institutions. Je le vois plutôt comme une donnée culturelle à laquelle  on se réfère pour agir, en tant qu’individu ou en tant qu’institution. Un bagage qui comme les impedimenta latins sont à la fois un secours et un embarras lors du voyage. L’imaginaire a des pesanteurs qui brident et des ressources qui poussent de l’avant. L’imaginaire, c’est à la fois un héritage et une construction en perpétuelle mutation, rapide et lente en même temps.

Il y a la réalité brute des faits, il y a l’intelligence des opinions échangées mais il y a aussi la puissance de l’imaginaire. L’imaginaire c’est une énergie potentielle, activée ou non. (Je crois, là, ne pas être très loin de Lamizet)

L’imaginaire ce n’est pas simplement les valeurs de référence c’est tout autant, en République, l’isoloir et le bulletin de vote, la  Marianne, le bleu blanc rouge et la devise nationale, les lieux de mémoire, les grands hommes, le fait majoritaire, l’opposition gauche-droite,…

Enfin et c’est essentiel, il n’y a évidemment pas un seul imaginaire en circulation ! Il y en a des dominants et des marginaux, en déclin ou en progression,…

Si on applique cette représentation de l’imaginaire à notre individu construisant des « mondes vécus », il ne fera pas la même chose des relations qu’il va tisser selon son imaginaire de référence. Et je crois que c’est ce qui distingue le point de vue d’Elena Lasida et le mien sur ce qui ressort de ces relations interpersonnelles. Avec l’imaginaire dominant pétri d’individualisme, Elena Lasida a raison de dire que l’on reste dans l’entre soi des « affinités électives ». Il est donc essentiel de faire émerger un nouvel imaginaire pour que les personnes se sentent autorisées à agir, pour que les institutions accueillent l’initiative non comme une menace à leur pouvoir mais comme un renforcement de leur inscription dans la réalité des gens. Cet imaginaire est déjà celui de minorités actives qui « croient » au pouvoir d’agir.

Pour que cet imaginaire ne soit plus celui de quelques-uns mais qu’il devienne l’imaginaire commun auquel chacun se réfère spontanément avec, de ce fait, plus de confiance dans sa possibilité d’intervenir utilement dans la « chose publique »,  nous ne pouvons pas attendre patiemment les évolutions sociales de long terme. Nous avons la responsabilité de tenter d’accélérer le processus. C’est l’ambition du Laboratoire de la Transition Démocratique.

  • Nous avons entrepris pour cela de rassembler les mots qui émergent dans des registres différents pour essayer de voir ce qu’ils disent du monde auquel nous aspirons. On voit bien que parler de « pouvoir d’agir », d’ « économie collaborative », de « tiers lieux », de « communs » ne dessine pas le même monde que lorsqu’on se réfère à « représentation », « majorité », « vote »,…
  • Une des premières hypothèses sur lesquelles nous travaillons est celle de la réunification des mondes parallèles dans lesquels nous sommes censés vivre, chacun obéissant à des règles différentes : le monde de l’économie et les lois du marché, le monde de l’action publique et les lois de la République, le monde de la religion et les lois divines. Réunifier l’humain pour renforcer sa capacité d’agir en naviguant plus facilement entre les mondes. Qu’il cesse sa schizophrénie permanente entre salarié et citoyen, entre croyant et citoyen,… sans tomber dans un syncrétisme politico-éco-religieux qui serait une abomination. Ce sont les mondes qui doivent rester séparés, ce n’est pas la personne qui doit être écartelée ! Nous avons la conviction qu’un humain réunifié aura plus de ressource pour agir et maîtriser sa vie.
  • Autre point majeur sur lequel nous appuyons les travaux du laboratoire : des récits, des fictions ont plus de force que toute expression exclusivement argumentative pour nous sortir de la sidération dans laquelle nous nous engluons.

Des mots inédits, des passerelles entre les mondes, des récits pour nous embarquer, voilà ce à quoi nous nous attelons et invitons chacun à contribuer. C’est apparemment très ténu et bien loin des exigences de l’action immédiate, j’ai la faiblesse de penser que c’est un socle indispensable !

 

 

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