Ecole et société civile : les écoles fenêtre des Pays-Bas

La question de l’éducation concluait mon précédent article, une éducation au « pouvoir de faire ». Cette question de l’éducation est depuis les origines des Ateliers de la Citoyenneté au cœur de ma réflexion. Guy Emerard, l’ancien directeur de la formation professionnelle du Conseil Régional, y est pour beaucoup. C’est lui qui nous a mis sur la voie de l’apprentissage mutuel, c’est lui qui a transposé l’idée canadienne de Cité éducatrice. Lors de la rencontre sur la gouvernance à SoL le 16 mai dernier, notre groupe a travaillé sur « éducation et société civile » et c’était très stimulant. Il y aura bientôt une synthèse accessible. On peut lire avec profit dans la veine de ce qu’écrivait Illich, la présentation du concept d’ « école de la société civile » dans le livre de Michel Laloux « La démocratie évolutive ».

Plus prosaïquement, mais déjà avec plusieurs ingrédients qui changent la nature de l’école, voici la pratique néerlandaise des « Écoles fenêtres ». C’est en naviguant sur le site de Territoires, la revue de l’ADELS, que je suis tombé sur ce texte de Jean-Yves Boulin (que je connaissais pour ses travaux sur le « temps des villes »). En voici pour moi le point-clé, l’inter-action entre éducation et vie sociale : « En rassemblant sous le même toit et en tissant des partenariats entre organisations dédiées à l’éducation, à la culture et aux soins, destinées non seulement aux enfants mais aussi aux parents et habitants du quartier, les vensterscholen initient une démarche d’intégration puissante entre éducation et vie sociale ».

Nous réfléchissons au lancement d’un groupe de travail sur la manière dont la société civile pourrait « investir » l’école dans la suite de ce que nous avons amorcé le 16 mai avec SoL. A suivre donc.

 

Vacance du pouvoir

En naviguant dans le foisonnement des tribunes du monde.fr, je suis tombé l’autre jour sur un papier réjouissant d’un auteur belge, Frank De Bondt, à propos de la « crise » belge. Il nous dit : « Au lieu de compatir aux malheurs de cette pauvre Belgique, ne serait-il pas plus judicieux de la donner en exemple à tous ceux qui en ont soupé des discours souverainistes, nationalistes et autoritaires ? […] La leçon donnée par la Belgique, s’il y en a une, est celle d’un pays capable de se conduire seul, où les citoyens ont appris à se gouverner comme des adultes responsables. N’est-ce pas l’objectif que devrait poursuivre toute démocratie ? »

Il s’amuse de voir que les Français semblent plus inquiets que les Belges de cette situation de vacance du pouvoir. Pour ceux qui croient à la politique, à l’importance des gouvernements, il est clair que la situation belge crée un malaise. On peut donc se passer d’un premier ministre de plein exercice.  La vacance du pouvoir en Belgique ne révèle-t-elle pas,  en creux ( !),   la vacuité du pouvoir politique des Etats ? Vacance, vacuité, vanité : trois mots pour parler du vide. Si l’Ecclésiaste affirme que tout est vanité, nous restons pourtant des « croyants » en matière politique. Sarkozy ou Obama, pour ne parler que de nos derniers emballements collectifs, devaient changer la politique. Malgré les grandes différences d’approche des deux hommes, leur volontarisme n’a pas résisté à la force des choses.

Thierry Crouzet, qui a beaucoup écrit sur la transformation du pouvoir à l’heure d’Internet, croit que « la solution ne peut plus venir d’un homme providentiel (ou d’une femme). Elle doit être distribuée entre une multitude d’individus. Il n’y a pas une idée miracle mais une multitude d’idées intéressantes et qui valent la peine d’être expérimentées. C’est la démerdocratie ». Le mot n’est pas génial parce qu’il laisse trop penser que ce sont les individus qui peuvent agir (se démerder) et que ça passe avant tout par internet. Pour autant l’essentiel est bien vu : n’attendons pas LA solution d’en haut, construisons DES solutions en nous reliant de proche en proche, en articulant rencontre locale et connexion à distance.

Vive la leçon belge ! Elle nous invite à nous gouverner nous-mêmes.

Descartes a le cogito patraque !

Le rationalisme cartésien n’a pas la cote en ce moment. Et s’il était temps d’inventer une formule en écho au cogito ergo sum ? Une formule qui sorte le Cogito de son isolement.

Pauvre René, il n’est pas à la fête en ce moment ! On s’en prend régulièrement à son fameux Cogito !  Je ne cesse de tomber sur des textes qui s’attaquent plus ou moins directement à l’expression qui l’a immortalisé : « Je pense donc je suis ». Dommage pour lui (et pour notre chauvinisme « cartésien ») mais certainement pas pour notre compréhension de l’homme et de sa relation à la société. Petite revue des symptômes diagnostiqués par nos contempteurs de Cogito.

Trop singulier, le Cogito, pour Bruno LATOUR (encore lui !). Au Cogito singulier, il préfère le Cogitamus pluriel dont il a fait le titre de son dernier livre, un bon résumé de sa pensée, à la fois accessible et drôle. On ne pense vraiment qu’en participant à des collectifs et en évitant de séparer ce qui relève du politique et ce qui relève du scientifique, puisqu’il faut composer un monde commun.

Trop rationaliste le « je pense donc je suis » pour Satish KUMAR penseur indien disciple de Gandhi et auteur de « Tu es donc je suis. Une déclaration de dépendance ». Isoler la conscience de soi, c’est se couper de la compassion et de l’interdépendance.

Connaissez-vous le mot de la langue bantou UBUNTU si difficile à traduire justement parce qu’il mêle l’individu au collectif : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous » ? Un terme popularisé à travers le monde par Desmond Tutu. [Merci à Emmanuel Delannoy, de l’institut Inspire, de l’avoir présenté et à Pierre Michel de l’avoir colporté.]

Nous avons longtemps cru que notre rationalisme occidental était un progrès indépassable. Ne devons-nous pas inventer des formules plus complexes qui articulent singulier et pluriel, penser et être ? Je vous propose : « NOUS pensons donc TU es et JE suis » !