Cet été, je suis allé en Arcanie !

Ne cherchez pas l’Arcanie dans un atlas où sur google map ! D’ailleurs le territoire est moins important que le régime politique qu’il a choisi : la misarchie. Un voyage stimulant et réjouissant !

Cet été j’ai voyagé comme j’en ai pris l’habitude, alternant séjours en famille et continuation de ma découverte du pays basque, de part et d’autre d’une frontière dont on comprend, ce faisant, la part d’arbitraire. Mais j’ai aussi voyagé en Arcanie, grâce au livre d’Emmanuel Dockès[1], à la découverte d’un système politique qui tend vers l’hyper-démocratie en limitant tous les pouvoirs : ceux de la finance, de l’Etat et aussi de la propriété. C’est d’ailleurs pour cela que l’auteur parle de misarchie. Non pas le « pouvoir de la haine » (si l’on reprenait la construction de mon-archie, le pouvoir d’un seul) mais plutôt « la haine du pouvoir » comme dans mis-anthropie ou miso-gynie. Un régime paradoxal puisque le pouvoir est organisé pour avoir le moins de pouvoir possible mais qui finalement prend simplement au sérieux les fondements de la démocratie libérale qui se méfiait elle aussi du pouvoir et qui a conduit aux « checks and balances » chers aux anglosaxons. En misarchie, le système des « contrôles et équilibres » (pour parler français) est nettement plus poussé. Sa logique est puissante et rend crédible ce « voyage en misarchie »… à défaut de le rendre probable !

L’Arcanie n’est donc pas un pays comme on les connait mais un territoire sur lequel s’organisent des associations volontaires et où la multi-appartenance ou les appartenances successives sont courantes. Quand le narrateur explique qu’il EST Français, ses interlocuteurs ne comprennent pas qu’il soit devenu Français automatiquement alors que le principe est chez eux de choisir et  de composer son identité, jusque dans son habillement.

Le narrateur découvre la misarchie sans y être préparé, à la suite d’un accident d’avion. Il s’installe spontanément dans la position du « civilisé » issu du Pays des Droits de l’Homme qui découvre des « primitifs » hors de la culture occidentale. Il commence donc par trouver le fonctionnement de cette contrée absurde, inconvenant ou dangereux mais sa résistance diminue au fil de ses rencontres et des échanges qu’elles permettent. On découvre avec lui comment fonctionne une entreprise où les apporteurs de capitaux n’ont pas le pouvoir mais où, par des droits « fondants » dans le temps, l’entrepreneur y trouve néanmoins son compte. On voit comment des services publics peuvent exister sans Etat central grâce à une multiplicité de « districts » qui doivent négocier entre eux des compromis. La propriété, l’école, le travail sont réinventés pour une vie plus intense et organisée selon ses choix propres. On peut devenir avocat en étant encore une gamine ou après avoir été marin-pêcheur !

Il ne s’agit pas d’une utopie où tout serait parfait mais plutôt d’un bricolage pragmatique toujours perfectible où subsistent des tensions (inénarrables Cravates bleues  et autres Applatisseurs !). La cohérence d’ensemble du propos tient beaucoup à la logique du droit qui est le cœur du propos mais sans l’aridité d’une démonstration juridique. On entre progressivement dans cet univers et les notions utilisées deviennent vite familières : AT (association de travailleurs), districts, golden share, rotations infantiles, DET (dette de l’entreprise à l’égard des travailleurs)…

Une lecture qui sera fort utile au projet de l’Imaginarium-s !

Entendre Dockès en parler : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/un-monde-sans-chef-lutopie-demmanuel-dockes

Lire une critique rapide mais bien vue : https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/160417/la-misarchie-une-utopie-credible-et-jubilatoire

Approfondir dans un interview papier plus longue : https://www.nonfiction.fr/article-9314-entretien-avec-emmanuel-dockes-a-propos-de-son-voyage-en-misarchie.htm

 

[1] Emmanuel Dockès, Voyage en misarchie – Essai pour tout reconstruire, Editions du Détour – 2017

Notre-Dame, memento de l’avenir

L’incendie de Notre-Dame, en sortant le monument de sa pétrification dans un passé immuable et inactuel, peut-il nous aider à nous dégager du présent perpétuel qui est le drame de notre monde ?

Comme toujours face à un événement dé-mesuré, hors de la mesure des jours ordinaires, j’ai une boulimie de lectures. Celles qui m’ont le plus marqué parlaient du temps remis en mouvement. Gilles Finchenstein l’a très bien dit en pointant combien Notre-Dame représentait l’antithèse de nos vies contemporaines (le temps long, la lenteur, le silence, le collectif, la douceur, le sacré) https://www.franceinter.fr/emissions/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-20-avril-2019 (32’30’’)

Mais c’est dans Le Monde que je trouve la formule qui dit le plus justement ce que nous avons été nombreux à percevoir confusément :

Notre-Dame qui brûle, c’est le surgissement brutal et forcément inattendu d’un passé, qu’on croyait infaillible et qui fait irruption en même temps qu’il s’annihile. Notre-Dame qui brûle, c’est la tyrannie du présent qui devient insupportable.

L’historienne Fanny Madeline disait également dans le même article :

Lundi soir, l’image de Notre-Dame qui s’embrase apparaît soudain comme la manifestation inattendue mais évidente d’un effondrement. Ce mot, qui est là, dans l’air du temps, qui nous menace et nous projette dans un avenir inimaginable, vient s’imposer pour décrire ce qui arrive à l’un des édifices les plus emblématiques de notre histoire, frappant notre mémoire, ouvrant cette faille temporelle où l’avenir vient percuter le passé. Et là, impuissants devant nos écrans, tout se passe comme si nous assistions à ce que nous ne voulons pas voir : les flammes de Notre-Dame, c’est notre monde qui brûle. C’est l’Effondrement, avec un E majuscule, celui de la biodiversité, c’est la grande extinction des espèces, la fin des démocraties libérales occidentales.

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Notre-Dame

Nous n’avons pas vu s’écrouler un bâtiment religieux, pas même un monument ni une pièce majeure de notre patrimoine. Nous avons été bouleversés et nous avons retenu notre souffle pour Notre-Dame de Paris. L’émotion planétaire instantanée n’a jusqu’ici concerné que le décès de stars de la chanson comme Mickael Jackson ou les victimes des attentats les plus symboliques. Imaginons un instant que Saint-Pierre de Rome ait été la proie des flammes. Les journaux auraient mis l’info à la Une mais je suis certain que l’émotion aurait été moins vive. On l’a entendu sur tous les plateaux de télé, Notre-Dame n’est pas seulement une cathédrale, c’est un personnage de notre imaginaire commun grâce à Victor Hugo et à Viollet-le-Duc mais aussi à Walt Disney ou à Luc Plamandon. Et, je crois, aussi grâce à son nom : Notre-Dame, et non Sainte-Marie. La distinction due aux saints passe ici pour les chrétiens par le terme de Dame, le mot employé au Moyen-Age pour marquer la noblesse d’une femme. Gente Dame. Mais cette noblesse n’est pas une mise à distance, elle est associée au possessif Notre qui marque un attachement affectif partagé, une familiarité. Noble et familière, telle resurgit Notre-Dame, personnage immémorial de Paris qu’on laissait la plupart du temps aux touristes mais vers laquelle immanquablement on tournait le regard dès qu’on traversait la Seine. Elle était là et ça nous suffisait. Nous rassurait. Cette fonction pacifiante, tellement précieuse, nous la perdons pour longtemps. Nos regards se tourneront toujours vers elle mais notre cœur se serrera en la voyant défigurée. Il faudra aller chercher la paix plus profondément, elle ne sera plus offerte à tous comme une évidence. Cette perte-là, nous n’en voyons pas encore toute la portée mais dans une ville aussi stressante que Paris, elle est sans doute durable.

Avec l’incendie de Notre-Dame, nous comprenons encore mieux comment, nous humains, nous vivons avec des êtres de chair et de sang mais aussi avec des êtres de souvenirs et de récits tout aussi réels les uns que les autres. Nous savons depuis toujours que nous sommes une « espèce fabulatrice » comme le dit Nancy Huston. Nous le comprenons toujours mieux, jusqu’à renoncer à parler de virtuel pour tout ce qui est numérique et ô combien réel. Nous intégrons à la famille humaine, par des familiarités qui n’ont plus rien à voir avec les limites de nos proximités physiques, des stars que nous ne fréquentons que par leur musique ou les pixels de nos écrans, des « personnifications» comme Notre-Dame, … Ce brouillage des frontières, ces familiarités fictives nous apparaissent souvent ridicules et exaspérantes mais, parfois, bouleversantes et vraies.  Les larmes de désespoir pour un chanteur mort, les millions promis pour un monument détruit peuvent sembler hors de toute mesure, contraster avec notre indifférence ordinaire aux besoins de nos semblables, mais elles sont aussi le signe de notre humanité, humanité à la recherche (parfois erratique) de ce qui à la fois la dépasse et lui est en même temps extrêmement, intimement personnelle.

Critiquer rationnellement cette débauche d’émotion, cette « synchronisation fictive » est vain. En revanche nous pouvons une fois de plus tenter d’œuvrer pour que cette communion forcément éphémère nous ouvre de nouvelles perspectives de solidarité. Il me semble que contrairement à 2015, l’année des attentats, nous avons aujourd’hui des combats amorcés vers lesquels reverser notre soif de fraternité. Une part non négligeable de la jeunesse qui a eu la chance de faire des études longues est aujourd’hui en mouvement. Des projets enthousiasmants voient le jour, je l’évoquais dans un précédent papier.

 

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