Années 20, années folles ou années sages ?

Les années 10 ne resteront pas dans l’histoire, d’ailleurs nous les avons déjà oubliées ! Qu’en sera-t-il des années 20 ? N’attendons pas d’autres que nous, qu’elles soient à la hauteur des urgences. Il n’y aura pas d’homme ou de femme providentielle …

Juste une impression : je n’ai quasiment pas vu ou entendu de bilan de la décennie qui s’achève et très peu de projections sur ce qui pourrait caractériser la décennie qui vient. Comme si les années 10 n’avaient pas compté et comme si on redoutait tellement les années 20 qu’on préfère ne pas anticiper ce qu’elles seront !

Les années 10 avaient pourtant bien démarré avec les révolutions arabes mais s’est ensuite révélée bien décevante. L’année 2015, malgré trois temps forts, n’a pas réussi à rompre avec notre incapacité à changer. En janvier, l’élan de « Nous sommes Charlie » en réaction à l’assassinat de la rédaction du journal est vite retombé et les attentats de novembre ont conduit au virage sécuritaire de Hollande ; au cours de l’été, l’ouverture de Merkel face à l’attente de terre d’accueil de la part des migrants n’a été ni suivie par d’autres – dont la France – ni prolongée après l’accord honteux avec la Turquie ; enfin les accords de Paris sur le climat de décembre, véritable espoir, n’ont pas suscité les actes nécessaires pour les concrétiser).

La décennie 10 ne laissera pas de traces dans l’histoire. La comparaison avec le début du siècle dernier est intéressante. On n’a jamais parlé des années 10 alors qu’on a abondamment parlé des années 20 et des années 30. Les années 10 n’ont pas existé, percutées par la rupture historique de la Grande Guerre. C’est au contraire en fuyant l’histoire que nos années 10 n’ont pas existé parce que nos paralysies se sont calcifiées : terrorisme, migrations, climat… nous avons cru pouvoir sanctuariser notre territoire et notre mode de vie, faisant de la Méditerranée une frontière et un cimetière alors qu’elle devrait plus que jamais être « mare nostrum ». Alors les années 20 ? le parallèle avec les « années folles » est tentant. Mais la folie qu’on se plait à voir commune aux deux époques n’a pas du tout la même réalité ! On vivait alors un rattrapage frénétique après 4 ans d’horreur ; on vivra sans doute un atterrissage névrotique après 4 décennies d’errement. Les limites planétaires que nous atteignons les unes après les autres nous contraignent à atterrir mais nous le faisons dans la douleur et sans projet, avec des Etats-Unis en chef d’escadrille de ceux qui refusent d’atterrir ! Bruno Latour l’a parfaitement décrit dans « Où atterrir ? ».

Quels vœux pouvons-nous alors formuler ? Devons-nous, un peu trop facilement, tout miser sur la jeunesse dont les prises de conscience et les affirmations radicales nous rassurent et finalement nous dédouanent (ça y est, ils ont pris le relais, ouf…)? Ne devrions-nous pas plus sûrement contribuer à l’articulation, au renforcement, au déploiement, à l’essaimage de toutes les initiatives qui se prennent ici et maintenant à bas bruit, partout dans le monde ? N’est-ce pas à ce patient tissage du nouveau monde et de ses solidarités que nous devrions consacrer la part vive de nos vies ? Ne devrions-nous pas, par nos actes rendus visibles, démontrer que c’est folie de croire au recours aux chefs, aux sauveurs, aux dictateurs verts ? Oui l’urgence est là mais elle ne doit pas conduire à une accélération brouillonne mais plutôt à une intensification. Intensifions nos vies ! Vivons des vies intensément vivantes. Nous sommes trop souvent, sinon des morts-vivants, des vivants morts. Devenons des vivants-vivants selon la belle expression d’Alain Damasio !
Il faudra bien une décennie pour mener à bien de tels vœux, aussi je me permets de vous souhaiter à tous des années 20 folles et sages à la fois.

Sortir du malaise Trump

Vous allez regarder la cérémonie d’investiture de Donald Trump ? Un billet pour mieux comprendre d’où vient notre malaise face à cet homme (au-delà de la critique de son populisme)… et une piste pour tenter d’en sortir !

Pourquoi est-on si mal face à l’arrivée de Trump à la Maison Blanche ? Parce qu’un populiste arrive au pouvoir ? parce qu’un milliardaire inculte et imprévisible cumule la puissance de l’argent et celle de la politique ? Oui, bien sûr ! Mais, même si on ne sait pas bien combattre cet adversaire-là (cf. notre impossibilité de lutter contre Le Pen père et fille, ni par la diabolisation ni par la dédiabolisation), ça reste un adversaire. On est dans les codes classiques du combat allié-adversaire, ami-ennemi, bien-mal. Si la victoire de Trump n’était que cela, on serait finalement assez à l’aise dans une opposition sans concession. Mais pour s’opposer efficacement, il faut être sûr d’être dans le camp du bien et savoir ce qu’on veut défendre. Sommes-nous sûrs de vouloir défendre le stade démocratique où nous sommes arrivés ? Sommes-nous tellement satisfaits de ce que nous avons fait de la démocratie pour combattre ceux qui se veulent anti-système ? Ne sommes-nous pas nous-mêmes anti-système ? (Thomas Legrand disait plaisamment cette semaine que tous les candidats à l’élection présidentielle se disaient plus ou moins anti-système).

Et ce type parvenu, parvenu au sommet du pouvoir, est-il, lui, si anti-système que ça ? Avec ses milliards, ses amis financiers, sa volonté de relancer l’activité comme avant, son conservatisme moral (sans morale, en tous cas pour lui), son isolationnisme belliqueux. Rien là-dedans pour inquiéter réellement le système ! Et en même temps il a continué, en tant que président élu, à twitter sur le même registre imprécateur, sans montrer le moindre signe qu’il y renoncera une fois en fonction. Libération publiait ce matin une excellente tribune de Didier Fassin qui comparait Trump à Ubu. Trump, c’est le grotesque en politique, à la fois tragique et comique et sur lequel rien n’a prise. Parce qu’il se veut à la fois le pouvoir et la critique du pouvoir. Le pouvoir totalitaire empêchait toute critique, Trump au pouvoir l’annihile.
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Vœux, souhaits ou promesses ?

Comme tous les premiers jours de janvier, j’ai reçu et répondu à des vœux de bonne année. A chaque fois, j’essaie de ne pas me contenter des sempiternels  » … et avant tout la santé, parce quand on a la santé… »  Vous connaissez la suite. Même si bien sûr je suis d’accord avec le très joli billet de François Sureau paru dans La Croix, sur le fait que former des vœux participe d’une manière de s’inscrire dans le temps et de se projeter, je n’en reste pas moins sur la ligne de ce qui suit et que j’écrivais pendant les vacances et que j’ai complété ce week-end.
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