Des législatives peuvent créer la surprise.

Il est temps de refuser l’enfermement mortifère du « Tous unis contre le RN ! ». Il nie la priorité à donner à la crise du Vivant. J’actualise ci-dessous ce que j’écrivais avant les législatives de 2022. Quand la politique n’est plus réductible à deux camps, avec trois pôles clairement distincts, la victoire du pôle social-écologiste est envisageable. Pour cela il faut de l’enthousiasme POUR, pas seulement un réflexe de peur CONTRE !

Des législatives peuvent créer la surprise.
l'assemblée nationale

Et si le film n’était pas écrit ?  Et si d’autres histoires, vivantes, créatives, dynamisantes surgissaient au sein de la société pour donner un nouveau cours à la vie politique ? Tout ne tourne pas autour de l’immigration et du sentiment de déclassement ! Et d’abord, ne négligeons pas une donnée fondamentale, un peu oubliée depuis que les législatives suivent systématiquement les présidentielles : les législatives, ce sont 577 élections simultanées avec leur contexte local … et ce sera d’autant plus vrai qu’il n’y aura pas de campagne ou presque pour uniformiser le vote. Les trois pôles – libéral, identitaire, social-écologiste – vont se maintenir avec plus ou moins de capacité à agréger une majorité selon ce qui va se jouer dans les prochains jours.

Je reprends quelques extraits, légèrement revus, de ce que j’écrivais en 2022.

Quoi après le « moment Macron » ?

Il y a bien eu un « moment Macron » mais celui-ci n’avait de sens que dans l’hypothèse où la modernisation du pays était dynamisante et bénéfique à tous. Macron c’était en quelque sorte une résurgence du Giscardisme nourrie du fantasme que nous n’avions pas su nous défaire des vieilles pesanteurs d’un pays trop habitué à tout attendre de l’Etat-providence. On sait maintenant que la start-up nation était un rêve périmé, incapable de répondre aux défis actuels : crise écologique, crise sanitaire, crise géostratégique.

Le fantasme identitaire pas plus que le rêve macronien ne sont en phase avec l’époque. L’aspiration au repli, la peur de l’autre existent bien sûr mais ce sont des passions tristes qui ne créent aucun élan, aucun désir. Si Macron a pu donner envie de le rejoindre, si son pôle a su être un temps rayonnant et attractif pour une frange des deux autres pôles, j’ai l’intime conviction que Le Pen et Bardella ne réussiraient pas à avoir cet effet d’entraînement. Notre société est beaucoup plus rétive à l’embrigadement que ne l’imaginent les républicains inquiets. Sans certitude ni naïveté, je persiste à m’inscrire dans la filiation d’Alain de Vulpian, ô combien socioperceptif, et je veux croire à la vitalité d’une société profondément démocratique malgré tout.

Emergence du pôle social-écologiste aux Législatives ?

Revenons un instant à l’intuition féconde de Bruno Latour. Dans « Où atterrir ? », il disait que la ligne de front entre Global et Local qui avait caractérisé la modernité ne tenait plus et qu’il fallait la remplacer par Terrestre et Hors-sol. Le Terrestre c’est cette nouvelle composition entre du global nécessaire pour éviter l’enfermement identitaire et du local pour éviter l’hubris de la croissance infinie. Quand le clivage gauche-droite mettait le pôle libéral au centre du jeu, le clivage Terrestre-Hors-sol met désormais le pôle écologiste en avant, en charge de l’articulation du global et du local.

Ce pôle possiblement attractif est toujours handicapé par notre système politique centré sur la flamboyance présidentielle (qui convient très bien aux deux autres pôles). Il y a une forme d’humilité consubstantielle au pôle social-écologique. Les législatives pourraient donc être une chance pour ce pôle, puisqu’elles se joueront sur des alliances locales. Ni le PS, ni les Verts, ni la France insoumise ne peuvent dicter la loi. S’il sait dépasser ses divisions multiples, le troisième pôle est en mesure de se retrouver au centre du jeu.

Les élections législatives pourraient donc se jouer non pas sur le soutien à un sauveur mais sur la fidélité à une promesse, celle de 2015, celle de maintenir l’habitabilité de la Terre. Pas  besoin d’un programme détaillé en mesures sectorielles pour réunir une telle majorité. Sortons aussi de l’illusion de l’efficacité des majorités sans faille. Ce qu’il faut c’est une direction claire et une capacité à négocier forte.

Un tel retournement reste improbable mais je suis un incorrigible explorateur de possibles même les plus improbables. Et admettez que n’avoir comme seul horizon le refus du pire stérilise la politique… au moment où nous avons l’impératif d’être immensément créatifs. Alors, cette alternative à la fois au pire et au moindre mal, il nous appartient de l’imaginer et de la construire.

Boue

Après les flammes des incendies, la boue des inondations est en train de devenir une image-clé de nos représentations de la catastrophe. Les flammes, même redoutées, n’en ont pas perdu leur pouvoir de fascination et d’évocation profondément positive. La boue est aujourd’hui réduite à une souillure. J’essaye de dire en quoi c’est problématique.

Boue
boues

Elle envahit les rues, les maisons, les jardins, les caves… Nos villes et notre intimité. La boue est la nouvelle figure des catastrophes avec son rituel bien installé d’images emblématiques : vidéos saccadées et incrédules des témoins filmant des voitures emportées dans des flots bruns, reportages compassionnels auprès des sinistrés en bottes, passant et repassant des raclettes dans des séjours dévastés, interviews de personnes prises entre auto-injonction à l’optimisme et fond de désespoir et de lassitude.

La boue, c’est pour tous la saleté et des heures de labeur pour en venir à bout. Et pourtant cette boue, associée à la dévastation, est composée des deux éléments à la source de toute vie : l’eau et la terre. L’eau, dont on ne peut plus ignorer qu’elle devient une ressource critique même à nos latitudes ; la terre, dont on commence à comprendre l’extrême fragilisation quand l’humus n’est plus régénéré. Je ne peux m’empêcher de voir dans ces flots de boue, la vie qui s’épanche, le corps de Gaïa qui se vide de son sang. La destruction, on l’oublie trop souvent, n’est pas seulement en aval, dans les villes, elle est aussi en amont, et durablement, dans le ravinement des champs peu à peu privés de leur humus. Cet humus est déjà tellement appauvri par les pesticides que la terre devient cette presque-poussière si facile à arracher et à entraîner par les eaux de pluie. Ces eaux ruissèlent sans être absorbées dans des sols ameublis par des vers de terre ni freinées par des fossés ou des haies. La catastrophe est DEJA là !

Le surgissement de la boue dans nos villes, ce sont – ailleurs – les sols qui disparaissent et la pluie qui ne remplit plus les nappes souterraines. Mais le lien est trop peu fait. Je lisais dans l’article de Wikipédia sur les inondations belges de 2021, une longue liste de dommages aux personnes, aux biens et aux infrastructures. Les dommages environnementaux arrivent en fin de liste et rien n’est dit sur les plus de 100 000 tonnes de terre charriées par les eaux.

Malgré la prise de conscience en cours sur l’importance et la fragilité de l’humus (cf. le succès inattendu du roman de Gaspard Koenig), la terre reste peu présente dans notre conscience écologique. Il ne faudrait pas oublier avec la montée en puissance de la boue dans notre imaginaire des catastrophes, que l’association terre et eau c’est avant tout la fertilité, dans toutes les civilisations et depuis toujours. Prendre une poignée de terre entre les mains et la respirer n’était pas un geste incongru quand nous avions encore tous de paysans dans nos familles.  Aujourd’hui les animateurs d’ateliers de jardinage font état de la répugnance de nombreux enfants à toucher la terre humide, considérée comme sale. On comprend pourquoi, pour certains, l’avenir est dans l’hydroponie ou même l’aéroponie qui se passent de terre pour faire pousser des légumes !

La parabole où le Christ crachait pour mélanger sa salive à un peu de terre et l’appliquer ensuite sur les yeux de l’aveugle-né afin de lui donner la vue doit sembler bien étrange à de jeunes lecteurs contemporains… Je me souviens aussi avoir lu dans le Graeber & Wengrow l’importance du limon et de la boue dans de nombreuses civilisations qui pratiquaient l’agriculture de décrue[1] bien avant les Egyptiens avec le Nil. Encore une fois la boue, dans la culture humaine, est AUSSI signe de fertilité et retour de la vie.

La terre, même transformée en boue, ne doit donc pas être figée dans la détestation catastrophiste. Comme l’eau perçue en même temps comme source de vie et potentiel de crue torrentielle, la terre doit rester ambivalente : sol fertile et boue envahissante. Sinon le refus viscéral de la boue pourrait conduire à étanchéifier encore plus les sols de nos villes, à canaliser les cours d’eau plus étroitement alors qu’on sait que c’est exactement l’inverse qui réduira les risques de catastrophes. Nous devons réapprendre le « sale » en ville. La présence des noues et des mares, le maintien des feuilles sur place pour faire de l’humus  autour d’arbres sans goudron à leur pied. Nous avons déjà appris à moins corseter les jardins publics et à accepter les herbes folles sur (certains de) nos trottoirs… encore un effort ! La boue ne peut pas devenir l’affaire des seuls… é-boueurs.

 

[1] Au commencement était… David Graeber et David Wengrow, p.299 Les Liens qui Libèrent 2021

La Révolution impensable ?

Les épidémies mondiales étaient devenues impensables, la guerre en Europe n’était plus dans le champ des possibles. La Révolution n’est plus d’actualité. Jusqu’à quand ? J’ai eu beaucoup de difficulté à écrire ce texte. Je l’ai abandonné plusieurs fois. Mais j’y suis revenu. Cette question m’obsède, moi, l’homme des compromis et de la modération. J’aimerais vraiment avoir des retours. Y compris pour me dire que je me trompe.

La Révolution impensable ?
LE SERMENT DU JEU DE PAUME

La Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné la Suisse pour inaction climatique. Les droits de l’Homme s’étendent ainsi au droit à vivre dans un environnement protégé. De plus en plus, les tribunaux deviennent une voie de recours face à l’incurie des gouvernants en matière environnementale. En France, notamment, l’Affaire du Siècle avait déjà fait condamner l’Etat.

Partout dans le monde, des cours de justice nationales ont été saisies de ces nouveaux contentieux, poussant exceptionnellement les gouvernements à revoir à la hausse les ambitions de leurs législations relatives au climat, comme aux Pays-Bas avec la remise en cause de l’élevage bovin intensif.

On sait néanmoins que la plupart de ces condamnations restent sans effet, et aux Pays-Bas où une action a été engagée, la mise en œuvre est compliquée. La justice ne permet pas de venir à bout de l’inaction (ou de l’action sans rapport avec l’enjeu). Aujourd’hui, pire encore que d’inaction, c’est de débandade généralisée qu’il faut parler. La crise agricole européenne conduit à reculer sur tous les fronts : les pesticides, l’eau, les haies, le Zéro artificialisation net (ZAN)… La liste est longue, en France et à l’échelle européenne où le Green Deal ne sera bientôt plus qu’une coquille vide.

Jusqu’à quand allons nous trouver supportable que les gouvernants ne tiennent pas leurs engagements sur la question climatique ? Certes il est acceptable – et courant – que les élus, confrontés aux réalités de l’action publique, revoient à la baisse leurs ambitions voire tournent le dos à leurs engagements initiaux. On se souvient de Mitterrand et du tournant de la rigueur, de Chirac oublieux de la fracture sociale ou de Hollande ne donnant aucune suite à sa tirade contre la finance. Dans tous ces cas, nous avions la possibilité de revoir nos choix politiques aux échéances suivantes, avec le maigre espoir d’être mieux représentés.

Avec la crise environnementale dont le climat n’est qu’une des dimensions, nous ne sommes plus dans ce cadre puisque c’est l’habitabilité de la Terre elle-même qui est en jeu. La conséquence de ne pas tenir ses engagements n’est plus le risque (déjà grave) de désengagement à l’égard du politique, c’est la mise en danger de la vie de milliards d’êtres humains et une remise en cause des conditions d’existence de tous les êtres vivants au-delà des seuls humains.

La mise en danger de la vie d’autrui, définie par l’Article 223-1 du code pénal, c’est « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort […] par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». En sommes-nous à une violation délibérée d’une telle obligation de prudence ? Quand on voit l’accumulation des reculs, quand on sait que ces reculs rendent clairement impossible le respect des engagements de l’accord de Paris de 2015 puisque nous n’étions déjà pas sur la bonne trajectoire, je commence à penser que l’obligation de prudence est délibérément ignorée.

Je sens réellement l’exaspération monter dans cette partie de la population consciente des atteintes au Vivant. C’est une sécession de la part la plus créative et généreuse de la population qui menace. Certains bifurquent, désertent, se replient. D’autres se radicalisent et s’éloignent de toute forme de représentation démocratique. L’éco-terrorisme n’est aujourd’hui que le fantasme du ministre de l’Intérieur mais pour combien de temps ? Nos imaginaires ne sont-ils pas en train de muter, anticipant de quelques années une réalité que nous nous refusons encore à considérer comme l’avenir le plus probable ? Continuer la lecture de « La Révolution impensable ? »