Des hélicoptères dans la tête

Ce texte n’est pas destiné à être lu ! Il n’est pas dans l’esprit de ce blog. J’ai simplement eu besoin de mettre par écrit mon exaspération devant le cours des événements. A lire uniquement si vous êtes dans le même état et que vous voulez vous sentir moins seul-e !

J’écris ce texte samedi après-midi. Une fois encore, les hélicoptères font des rondes dans le ciel lyonnais et j’ai l’estomac noué. Les hélicoptères qui tournoient, dans nos imaginaires, sont le symbole d’une société sous le contrôle de la police ou de l’armée. Cette présence, samedi après samedi, du bourdonnement agressif des rotors, n’est pas une chose banale et pourtant elle semble se banaliser. Le maintien de l’ordre, la grande majorité d’entre nous y est bien sûr attaché. Mais ce qui s’impose à tous, indépendamment de sa situation, c’est une forme de participation à ce maintien de l’ordre. Le bruit nous englobe tous et nous entraîne hors de nous-mêmes. Je suis chez moi, en pantoufles devant mon ordinateur à relever des citations pour le projet d’Imaginarium et brusquement je suis emmené par la pensée sur la place Bellecour où j’imagine immédiatement des casseurs aux prises avec les forces de l’ordre. A moins de me visser des boules Quies jusqu’au fond des oreilles, je ne peux échapper aux hélicoptères en vol stationnaire au-dessus de la ville. Certains vont sans doute se dire : « Ce garçon est bien délicat, le bruit le dérange dans son petit confort d’intellectuel préservé des violences du monde » ; d’autres ou les mêmes penseront que je devrais être solidaire du maintien de l’ordre puisque je réprouve la violence et que ces hélicoptères sont là pour faciliter la prévention des attaques contre les biens et les personnes.J’ai bien conscience de tout ça et pourtant je trouve difficilement supportable d’être embarqué dans une opération de maintien de l’ordre à mon corps défendant. Les chaînes info qui conduisent à cet arraisonnement de la pensée, je les évite soigneusement. Les hélicoptères s’imposent à tous et on ne peut imaginer que c’est sans conséquence sur notre état d’esprit. Cette mise en scène du monopole de la violence légitime de l’Etat donne sans doute à beaucoup le sentiment que la situation est sous contrôle, que l’Etat est à sa place et que les éventuels casseurs seront inexorablement retrouvés grâce à cette surveillance du haut du ciel. D’autres, dont je suis, voient dans ce recours désormais systématique aux hélicoptères (qui vient après la présence – devenue permanente – des militaires dans l’espace public depuis les attentats de 2015), l’installation progressive dans une logique de la peur et de la surveillance. Je crains que ça risque de rendre impossible la mutation de la société vers plus de confiance et de coopération, ces ressources pourtant indispensables pour réussir la transition écologique et démocratique.

Cette hystérisation en cours de nos fonctionnement collectifs me désespère d’autant plus que j’entrevoyais au début du mouvement des Gilets jaunes la sortie de notre anesthésie citoyenne. Certes l’énergie citoyenne libérée était volatile et inflammable mais nous pouvions en faire quelque chose, la « raffiner » pour la mettre au service des transformations nécessaires de nos modes de vie personnels et collectifs, comme je l’avais écrit dès le début du mouvement. Rien de tout cela n’a été sérieusement envisagé par les diverses parties prenantes alors que c’était possible.

Depuis le début de l’année, depuis les vœux décevants du président pour être précis, je sens monter en moi une forme de nausée et de découragement qui m’empêche d’écrire sur les sujets positifs que j’ai en réserve (le mot stigmergie par exemple dont j’ai envie de parler depuis novembre). Tout semble mener à une radicalisation du mouvement : la focalisation de plus en plus grande sur la question de la violence lorsqu’il s’agit des Gilets jaunes dans les médias, l’annonce par le Premier ministre d’une nouvelle loi sécuritaire, la petite phrase du Président sur ceux qui ne font pas l’effort de se prendre en mains. De l’autre côté les Gilets jaunes s’enferment dans le jusqu’auboutisme et pour beaucoup refusent le Grand débat sans même attendre de savoir la forme qu’il prendra.

Je reviendrai naturellement sur le Grand débat la semaine prochaine en fonction de ce que le Président proposera. J’espère sincèrement qu’il est encore temps d’en faire un exercice utile mais je suis de plus en plus dubitatif car on n’associe pas débat et initiative citoyenne. Le débat est toujours vu comme un moyen d’orienter l’action du seul gouvernement. L’important n’est pas tant de savoir si le Gouvernement va changer de politique que de faire en sorte que la politique ne dépende plus seulement de lui. Il faut gagner des marges d’action pour que les citoyens réussissent à se saisir des questions qui les concernent : comment mieux vivre dans le périurbain en étant plus solidaires et moins dépendants de la voiture par exemple.  Chacun peut contribuer à construire des solutions localement en alliance avec voisins, élus locaux, entreprises, associations. La politique ne doit plus être seulement une revendication vis-à-vis des « élites » mais une remobilisation « perso-politique ». Il est tellement urgent de repolitiser NOS vies et pas de nous défausser sur des gouvernements qu’il est tellement facile de juger incompétents.

Je suis inquiet et fatigué que, jour après jour, nous nous enfoncions dans l’incompréhension réciproque au moment où toute notre énergie devrait être tournée vers l’invention du monde d’après. Que de temps perdu !

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

2 réflexions sur « Des hélicoptères dans la tête »

  1. Mon cher Hervé. Il n’est pas de meilleur antidote au spleen que l’action. Les circonstances actuelles sont propices à l’expression de tes talents. Crée une assemblée citoyenne virtuelle dans laquelle chacun pourrait t’adresser les réponses qu’il souhaite donner à la Lettre du Président, charge à toi d’en coordonner l’expression (méthode, volume…) pour que la synthèse que tu en ferais soit compatible avec tes disponibilités (plus une assemblée physique en fin de parcours avant restitution à qui de droit ?).
    Bon courage et tu peux compter sur au moins une contribution.
    Guy Emerard

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