Les attentats de novembre 2015 – on vous le répète matin midi et soir depuis une semaine – ont fait 130 morts. 130 vies fauchées sans raison, simplement parce que ces personnes profitaient de la vie à la terrasse d’un café ou dans une salle de concert. Le choc immense est encore prégnant six ans plus tard. Alors, imaginons un instant ce titre à la Une de toute la presse : « 97 242 morts, l’équivalent de 2 attentats du 13 novembre chaque jour depuis un an ». C’est inimaginable ces 748 attentats en une année ! Près de 100 000 morts, c’est l’agglomération d’Angoulême, la ville où je suis né. Ces morts sont pourtant bien réels, et ils se renouvèlent d’année en année dans l’indifférence généralisée. Ce sont les morts liés aux particules fines émises par la combustion des énergies fossiles, le diesel principalement, en France[1].
Pourquoi associer ces morts ? N’y a-t-il pas une insupportable indécence dans toute compétition victimaire ? Bien sûr, et mon propos n’est pas de mettre en concurrence les morts sur un marché de l’attention toujours limité ! Toute mort injustifiée est un scandale et doit nous toucher indépendamment du nombre de personnes concernées. Ce serait bien sûr terrible si le résultat de mon propos pouvait conduire à penser : « après tout c’est vrai, des morts, il y en a beaucoup et pour bien des causes, on ne peut pas s’émouvoir à l’infini… donc retirons-nous dans une saine indifférence ». Alors pourquoi aller sur ce terrain glissant ? Simplement pour essayer d’ouvrir les yeux sur une réalité que nous devons prendre en compte. Moi le premier, j’ai vu ces études et je ne me suis guère ému en les découvrant. Incroyable, insupportable… et on passe à autre chose.
Pourquoi ces morts ne nous touchent-elles pas ? On ne le sait que trop : elles ne sont que des statistiques, constatées ex post ; la mort n’a été ni violente ni spectaculaire ; elle a touché des victimes « prédestinées » par leur lieu d’habitation, leur pauvreté, leurs éventuelles comorbidités (selon le terme que le Covid nous a appris à connaître)… La liste des « excuses » à notre indifférence pourrait s’allonger.
Pourquoi faire le lien avec les morts des attentats et pas avec celles du Covid ? Parce que cette comparaison est trop évidente et inutilement polémique. Oui, entre ces deux causes sanitaires, il y a plus de morts liées aux particules que provoquées par le virus. Mais on sait que cette comparaison est absurde : le nombre de morts du Covid est relativement faible justement parce qu’on a agi. Et à l’inverse, le nombre de morts liées aux particules fines reste élevé parce qu’on ne prend pas les mesures nécessaires.
Et c’est là que la comparaison avec les attentats prend son sens. Ce qui m’a donné envie d’écrire cet article c’est une information donnée sur France Inter ce matin : nous allons avoir droit à un billet quotidien sur l’audience du jour pendant les neuf mois que va durer le procès. Chaque jour, quelques minutes consacrées à nous rappeler l’horreur et la folie des attentats. Chaque jour, une réaffirmation que le terrorisme est installé dans nos vies. Un goutte-à-goutte d’anxiété et d’impuissance puisqu’aucun procès ne contribuera jamais à rétablir les équilibres du monde. On nous ressasse à l’envi que le procès est utile à la société autant qu’aux victimes. Bien sûr la justice doit passer, et avec toutes les garanties de procès équitable que nos démocraties peuvent donner. Bien sûr la qualité des échanges peut aider à comprendre, on l’a vu avec le procès des attentats de Charlie Hebdo. Mais neuf mois de présence médiatique quotidienne ne peut pas ne pas avoir d’effets délétères sur l’opinion. Dans le même temps la même radio a remplacé sa chronique environnementale par une tribune politique au moment même où le dernier rapport du Giec et les catastrophes de l’été devraient conduire à revoir toutes nos priorités. C’est cela que je ne supporte plus.
L’émotion des morts du Bataclan ne doit pas conduire les médias et les politiques à remettre en avant les menaces terroristes qui restent infiniment moins dangereuses que notre marche à l’abime par refus de prendre les questions écologiques au sérieux. C’est une facilité indigne et irresponsable que de jouer les matamores face à un danger réel mais dont on pourrait limiter le développement par une réduction drastique de l’importance médiatique qu’on lui donne. Et cette facilité que l’on s’autorise fait négliger le considérable effort pédagogique pour rendre acceptable et, mieux encore, désirable le formidable changement de nos modes de vie que nous devons opérer en moins de 10 ans. C’est en constatant cette insupportable inversion des priorités que le silence sur les morts liées à la pollution aux particules fines issues de la combustion des énergies fossiles m’apparait finalement comme le plus sordide, le plus lâche et le plus grave des attentats.
[1] Selon une étude publiée par des chercheurs de Harvard, de Birmingham et de Leceister dans la revue Environmental Research au début de l’année.
Malheureusement tant que l’argent sera l’indicateur de « belle vie », ce ne seront ni la marche à pied, ni le vélo qui seront promus ! Nous ne fermons pas les yeux, nous sommes juste piégés, et nous nous débattons, à y perdre haleine, sans trouver la sortie !
C’est bien pour ça que la question des « modes de vie » doit être mise en tête des sujets que l’on aborde dans les médias et dans la politique. nous devons collectivement découvrir que la « belle vie » n’est pas nécessairement celle qu’on nous a mis dans la tête depuis des décennies… et que l’argent n’est pas un indicateur de réussite, en tous cas pas le seul ! Je sais bien que nous ne faisons pas les programmes des médias ni les programmes électoraux mais nous devons pouvoir peser en prenant la parole dans l’espace public. On peut au moins relayer la parole de ceux qui s’expriment… et ils sont nombreux
Hervé, j’ai énormément de mal à suivre ton raisonnement. Le lien entre les chiffres me parait complètement inopportun.
En outre, comment peux tu donner l’impression que rien n’est fait par quiconque ? https://www.atmo-auvergnerhonealpes.fr/article/historique-des-dispositifs-prefectoraux-en-cas-depisodes-de-pollution (il faut observer la baisse des PM10) ou que le sujet serait systématiquement évité (cf. par exemple des concertations locales en matière de mobilités)
Sans que tu le veuilles, cela est en résonance avec la moralisation ambiante dictée par les élites et alimente la sécession croissante avec les populations éloignées de la « belle vie » ! De surcroit ne laissons pas croire que le problème n’est que local ou national, il est international et généré par des nations beaucoup moins scrupuleuses que nous (et cela n’enlève rien à notre devoir mais la pression émotionnelle est superflue selon moi). Les pistes ne sont pas exclusivement l’évolution des « modes de vie » que tu décris mais démographiques par exemple, technologiques pour trouver des moyens fiables d’absorber certaines émissions…
Au final j’ai l’impression pour une fois d’être plus optimiste que toi 😜
@ Jérôme, Je comprends que l’on puisse trouver inopportun le rapprochement que je fais. J’ai bien conscience qu’il y a d’un côté une intentionnalité, la volonté de tuer et de l’autre, ce que je considère comme une abstention, une panne de la volonté. Le problème c’est que l’abstention fait beaucoup plus de mort que la volonté de tuer. Et on doit sortir du sentiment de fatalité. Je raisonne par rapport à un danger : pour moi le danger d’effondrement est beaucoup plus considérable que le danger terroriste. Le raccourci que je crée a pour but d’aider à en prendre conscience.
Deux points encore : le lien que tu postes pour prouver qu’il y a bien « action » prouve pour moi au contraire qu’on ne se préoccupe que des conséquences (en limitant l’usage de la voiture lors de pics de pollution) sans chercher à travailler la cause (le modification de notre besoin de déplacement). La « moralisation ambiante » dont tu parles m’étonne : il ne s’agit pas de morale mais de choix politiques conscients. je ne pense pas qu’on puisse faire de tels choix sans que l’émotion soit impliquée. Nous sommes des êtres d’émotion ET de raison. L’émotion n’est pas néfaste : ce n’est pas un hasard que mouvement et émotion ont la même origine. Notre mise en mouvement nécessite de l’émotion, la raison permet de construire collectivement les chemins à emprunter.
Hervé les précisions que tu apportes dans ce commentaire ecrit le 11 septembre complètent ton premier article…
En effet merci de nous inciter à porter notre regard sur les effondrements à venir (que dis je, actuels!) bien plus conséquents pour notre équilibre , notre santé physique, la paix dans le monde…et tout simplement la survie , que les seuls attentats terroristes…
Pour moi il ne s’agit pas de « sombrer dans le pessimisme »…bien sûr que la « vie »triomphera et des réponses sont en train d’émerger…Juste ce que nous ne regardons pas, nous ne pouvons pas y faire face , transformer modes de vie et orientations politiques ou dans d’autres circonstances apprendre à vivre avec…
Alors Regardons les …