Delta puis Omicron. Et le sentiment d’un jour sans fin qui s’éternise. Nous sommes désormais tous touchés de près par le Covid-19 qui était longtemps resté pour beaucoup une menace diffuse, plus présente dans les esprits que dans la vie réelle. De mon côté c’est ma fille aînée qui l’a attrapé (maux de tête et vomissements intenses). Des proches avaient été frappés parfois très durement dans leur famille mais sans que nous ne connaissions directement les victimes. Le Covid était une puissance meurtrière qui rôdait, frappait parfois sévèrement mais restait à distance. L’impression est désormais inverse : le Covid (il a perdu entretemps son 19, qui le circonscrivait dans le temps) est partout mais il se banalise. Combien de projets de famille ont été affectés pour les fêtes par l’absence de tel ou telle infectée par le virus ? Affection, infection : jamais ces mots si proches et pourtant si éloignés n’auront été autant associés qu’à l’occasion de ces fêtes habituellement marquées par les retrouvailles. Les liens d’affection ont un temps été dénoués par l’infection.
Alpha, Delta, Omicron, il me semble que nous avons parcouru toute la gamme des attitudes : la stupeur et l’effroi, la vigilance et le combat, l’exaspération et la lassitude. Nous avons éprouvé très concrètement le sens de la durée alors que l’éphémère est devenu notre quotidien. Nous avions l’habitude qu’une actualité chasse l’autre, mais le Covid est resté accroché à la Une de nos journaux ce que n’arrivent pas à faire ni la misère ni le réchauffement climatique ces deux fléaux tout autant durables.
J’avais écrit dès les débuts de la pandémie que nous devrions apprendre à vivre avec le virus. Nous l’avons fait, bon gré mal gré. Mais nous arrivons maintenant à un tournant que nous peinons à négocier tant les positions se sont crispées. L’apostrophe présidentielle sur l’emmerdement volontaire des non-vaccinés en est le dernier symptôme qui donne à polémiquer mais pas à réfléchir. Heureusement on trouve ici ou là des propos qui aident à comprendre la tournant dont je souhaite ici parler. Le docteur Alice Desbiolles épidémiologiste et médecin de santé publique, évoque ainsi ses doutes sur la pertinence du pass vaccinal et remet l’accent sur les enjeux de long terme. Le directeur adjoint du Figaro (oui, oui !), Vincent Trémolet de Villers sur LCI met en garde contre l’exacerbation de l’opposition vaccinés/non-vaccinés. La stratégie vaccinale a été à l’évidence une nécessité et elle a produit des fruits en évitant l’engorgement des hôpitaux. Mais ce qui a été pertinent face à Delta l’est-il encore face à Omicron ?
Ne faut-il pas progressivement relativiser l’utilité de se protéger des contaminations si ces contaminations ne produisent dans la très grande majorité des cas que des symptômes mineurs et n’entraînant que rarement des hospitalisations et exceptionnellement des mises en réanimation ? Essayer de limiter la progression d’Omicron devient à la fois impossible (on n’arrête pas plus ce virus que l’eau qui coule) et moins utile (puisqu’il perd sa virulence). Les médias continuent pourtant à affoler la population en publiant des courbes exponentielles à propos de contaminations qui ne sont pas l’indicateur pertinent. Seul le chiffre des hospitalisations en unités de soins intensifs a du sens pour guider l’action. Le 9 janvier ce chiffre était de 3751 (moyenne sur 7 jours). Il était de près de 7000 en mars 2020 au plus haut de la première vague. La courbe actuelle n’est pas une exponentielle et si elle continue de croître, elle progresse de moins en moins vite. On semble voir aussi que la vague Omicron est fulgurante mais courte, c’est en tout cas ce qui ressort de la situation sud-africaine.
Nous disposons de ces données plutôt rassurantes mais nous aimons continuer à nous faire peur. Nous devrions au contraire amorcer en douceur le virage de la bénignité. En douceur car il faut continuer à protéger les hôpitaux mais sans pour cela monter 90% des Français contre les 10% restants. Les logiques de bouc émissaire s’installent plus vite qu’on ne croit et, une fois installées, se révèlent très difficiles à résorber. On a un peu l’impression de vivre comme ce type en prison qui se comporte de manière exemplaire tout au long de sa détention et qui au dernier moment se laisse entraîner dans une bagarre fatale qui lui coûte sa libération. Nous voyons la perspective de libération de la prison pandémique, ne nous lançons pas maintenant dans une querelle dangereuse !
Je ne crois pas comme certains que les Etats cherchent à réduire subrepticement et définitivement à réduire nos libertés. En revanche je ne peux m’empêcher de voir, dans l’attitude actuelle de nos gouvernants, une volonté de maîtrise qui ne correspond plus au temps présent. La science nous permet des avancées et les vaccins ARN ont été une formidable réussite avec des perspectives très intéressantes pour d’autres maladies. Pour autant, il faut sortir de l’idée du triomphe absolu de la science face au virus. L’éradication n’est pas une perspective crédible puisque ce virus n’est qu’un virus parmi tant d’autres qui prendront un jour le relais. Il n’y a pas de victoire définitive et totale à rechercher ! Les virus font partie de l’écosystème de la vie. Ils n’ont pas de vie autonome et ça les rend particulièrement « collants » !
Depuis le début de la pandémie j’ai contesté le terme de guerre face au virus et l’on voit bien qu’en restant dans une logique de guerre totale, on ne trouve pas la voie de sortie que nous permet pourtant Omicron. Il faut accepter ce paradoxe : que ce variant gagne la bataille de la contamination pour que nous réussissions à reprendre des vies normales. Ne nous comportons pas comme les Chinois qui ont cherché par l’isolement absolu le zéro-transmission. Ce combat ne peut qu’être un combat totalitaire. Sachons composer ! … Et reprenons au plus vite les questions de fond que nous a posées le virus et auxquelles nous n’avons jusqu’ici apporté aucune réponse : comment réduit-on les risques de survenue de nouvelles épidémies ? comment renforçons-nous nos systèmes de soin pour qu’ils ne soient pas débordés dès qu’une crise survient ? comment apprenons-nous collectivement à gérer les arbitrages complexes et toujours à repenser pour préserver la vie des uns sans dégrader de façon inacceptable la vie des autres ? … Nous avons vraiment des débats majeurs à mener.
Ne perdons pas de temps en de vaines polémiques. 2022 est une année cruciale pour nous préparer non pas à la survenue d’un énième variant mais bien à l’arrivée du successeur du SARS-Cov-2, tous variants confondus. Nos sociétés sont fragiles et la tentation est grande de les rigidifier pour résister. La stratégie devrait être inverse : chercher la robustesse en nous inspirant des incroyables facultés du Vivant à composer.
Je souhaite à chacune et chacun une année où l’on soit collectivement capables de se tenir à l’écart des polémiques, d’imaginer des voies frugales et fructueuses pour l’avenir et de continuer, encore et toujours, quoiqu’il arrive, de s’émerveiller au quotidien pour ne pas sombrer dans le désespoir.
Pas certaine tout de même que le pouvoir ne profite pas de l’aubaine » covid » pour restreindre drastiquement et le plus longtemps possible nos liberté et droits démocratiques…c’est un mouvement qui a commencé bien avant l’arrivée du virus et que la » guerre » contre celle-ci a permis d’amplifier de manière très préoccupante !
Bonjour Hervé,
Je découvre ton blog avec cette analyse ( j’ai suivi le fil depuis un post LinkedIn reprenant l’interview d’Alice Desbiolles). Merci pour ce partage qui donne à réfléchir. Totalement en phase.
Au plaisir de te retrouver dans la galaxie oxalienne et ailleurs.
Chaleureusement,
Lara
Bonjour Hervé,
Tout à fait d’accord avec ton analyse.
J’ai l’impression que les nouvelles règles sont difficiles à abroger pour le pouvoir en place. Revenir à « avant » fait peut être peur désormais et certains se sentent rassurés par des règles « sanitaires » dont ils ont pris l’habitude.
Et l’habitude (dans le contexte actuel) est pour moi le pire maux.
Bien à toi
Maxime
Voilà une approche qui ma parait juste, cher Hervé !
Que penses-tu de la mettre en lumière pour la préparation des Dialogues en humanité du 1,2,3 juillet sur le thème « Faire humanité sur notre planète océan ». Agora, ateliers du sensible et du discernement, témoignages de vie croisés, coopération action ?
Voir la rubrique sur l’entraide et les nouveaux imaginaires en ligne sur https://dialoguesenhumanite.org/