Aulique

Dimanche soir… Avant de reprendre des activités normales (comme disait feu PPD la marionnette des Guignols), si vous vous laissiez aller au bonheur de découvrir un mot hors de toute visée « utilitaire »… la perspective de le réutiliser au bureau lundi étant assez faible ! Mais si vous y parvenez, merci de le faire savoir !

Juste pour le plaisir de découvrir un mot nouveau, même s’il a peu de chance de venir nourrir votre vocabulaire quotidien !

Affiche Portraits à la cour des médicis
Affiche Portraits à la cour des médicis

C’était en visitant la très belle exposition des portraits des Médicis au musée Jacquemart André (ah l’élégante et altière Eléonore de Tolède !). Alors que les textes racontant cette peinture de cour très codifiée sont plutôt simples et pédagogiques, une expression m’accroche « les codes de la représentation aulique ». Aulique ? Jamais lu ou entendu ! Sans doute un mot qui touche la question du pouvoir. Forcément, ça  m’intéresse. Une consultation téléphonique d’internet me donne une réponse sommaire où je comprends qu’aulique a un rapport avec la cour du saint-empire germanique.
Il s’agit bien du pouvoir, mais un peu loin de mes préoccupations. Les exemples d’utilisation dérivées de ce mot sont plus parlantes : un dictionnaire évoque la « splendeur aulique », un autre le « carcan aulique ». Deux faces opposées du pouvoir absolu ! Pourtant aulique vient de « aula », une grande salle de réunion. Les Suisses auraient conservé, parait-il, ce terme pour désigner les amphithéâtres universitaires. Pas vraiment des symboles de l’absolutisme… ni les Suisses, ni les  universitaires.

Personne

Un mot banal apparemment. On sait tous ce qu’il signifie. Je veux juste montrer ici qu’il peut aider à résister aux vertiges identitaires. Une invitation à questionner ce que nous prétendons être.

Personne

J’aime la polysémie de ce mot. Personne, comme en a si bien joué le rusé Ulysse, c’est à la fois quelqu’un… et personne ! Intéressant forcément, un mot qui dit une chose et son exact contraire. Ensuite « personne » vient[1] du mot latin persona qui désigne le masque de théâtre. On voit le personnage joué mais la personne véritable est encore cachée. La personne serait donc un acteur ? Même pas, si l’on en vient au verbe « personare », dont dérive le persona, et qui veut dire résonner à travers. La personne serait ainsi fondamentalement un son qui circule. J’aime l’idée que la personne est insaisissable, fluctuante, bien loin de ce qu’on cherche à fixer dans l’identité (ah ! ces toujours plus affreuses cartes d’identité qui en voulant nous « fixer », sans sourire, irrémédiablement nous défigurent !). L’identité ne peut concerner que l’individu (ce qui ne se divise pas, le corpuscule élémentaire (et fantasmé) de la société – in-dividu étant l’équivalent latin de l’a-tome grec). On peut dès lors faire le parallèle avec la lumière que l’on sait être A LA FOIS onde et corpuscule : nous sommes à la fois la personne ondoyante et l’individu incorporé !

Et si nous laissions un peu de côté cet individu mis en avant par la philosophie libérale de la fin du XVIIIème siècle pour nous intéresser un peu plus à cette personne mystérieuse qui n’existe que dans la circulation de la parole, dans la relation qui nous lie de proche en proche à toute l’humanité et au-delà puisque certains d’entre nous parlent aux arbres, aux morts et aux dieux !

>> dans le même esprit sur ce blog : Etre ou avoir.

 

[1] L’étymologie n’est pas avérée. Un mot étrusque pourrait plus sûrement être à l’origine du mot « personne ». Une raison de plus pour moi de laisser cheminer la pensée et d’éviter de figer notre vision de l’humain dans une définition péremptoire.

Les mots de la démocratie

Après l’arrêt du Laboratoire de la Transition Démocratique, je souhaite continuer sous d’autres formes la réflexion engagée sur l’imaginaire démocratique. Je propose ici une piste. Merci de me dire si ça vous intéresse de vous y associer !

Quelques mots d’abord pour expliquer pourquoi j’ai proposé d’arrêter le projet de Laboratoire de la Transition Démocratique, dont j’ai parlé ici à plusieurs reprises.

Le projet, après deux ans d’amorçage, n’a pas trouvé vraiment sa place : trop ambitieux, trop abstrait, pas assez de liens avec les acteurs de cette transition en cours, mais aussi pas assez de convergence entre les attentes des différents initiateurs et en conséquence pas assez de temps disponible pour aborder au fond le sujet. Nous nous sommes un peu enfermés dans notre propre organisation…

Le projet DE Laboratoire n’est donc pas poursuivi, en revanche le projet DU Laboratoire perdure, au-delà de l’échec de la forme que nous lui avions donné. Sur le fond en effet chacun reconnait la nécessité de travailler sur ce qu’est cette démocratie émergente, au-delà des initiatives de chacun dans son réseau, son collectif, son association. Notre intuition de travailler d’abord sur le nouvel imaginaire démocratique est toujours plus d’actualité.

Il y a quinze jours, j’étais à une rencontre à l’école d’archi de Lyon organisée dans le cadre du Temps des communs. Un participant dans la salle affirmait clairement sa crainte que les initiatives en cours autour de l’économie collaborative ne soient pas plus concluantes que celles du socialisme utopique de Proudhon à la fin du XIXème siècle. Il en appelait à un « nouvel imaginaire » qui puisse donner de la force aux initiatives existantes sans pour cela en appeler à la fédération de tous dans un projet commun. Christian Laval, l’un des  auteurs de Commun partageait ce propos en rappelant que le XIXème avait su faire émerger deux imaginaires puissants qui ont façonné le XXème siècle : la bourgeoisie a su sacraliser la propriété et le monde ouvrier a misé sur le fait associatif. Pour lui le « commun » est peut-être l’amorce d’un imaginaire propre au siècle actuel.

Même si le Labo ne perdure pas, des initiatives multiples autour de l’imaginaire vont se poursuivre :

  • Colette Desbois et moi continuons à rassembler des textes pour donner une première expression à cette recherche sous la forme d’une  revue.
  • Julie Maurel, Elisabeth Martini, Pascal Dreyer, Lise Sauvée réunissent des contributions sur un thème qui nous a beaucoup mobilisé : la place du religieux dans la démocratie
  • Philippe Cazeneuve, Jean-Pierre Reinmann, Pascale Puechavy et Christine Zanetto proposent des ateliers d’écriture pour dire la démocratie sous forme de fictions.
  • Armel Le Coz poursuit l’élaboration d’une fiction à auteurs multiples qui entend raconter l’émergence d’une nouvelle démocratie.
  • Les contacts noués à l’occasion des différentes rencontres que nous avons organisées continuent à vivre leur vie propre, comme la collaboration d’Hugues Bazin au projet de la Chimère citoyenne porté par Elisabeth Senegas à Grenoble.
  • Même s’il n’a pas vu le jour cette fois-ci, un dispositif de Democracy Remix a été envisagé par Emile Hooge en prolongement au City Remix lancé à la gare Saint-Paul de Lyon au printemps dernier et aux réflexions menées dans la cadre du Labo.

Après discussions avec Armel Le Coz, au moment où Démocratie Ouverte, l’association qu’il préside, revoit sa gouvernance en proposant de créer des cercles par projet, j’ai envie de proposer un cercle qui puisse être un des prolongements du Labo. Pas pour « reprendre » en l’état le projet du Labo, mais plutôt pour mener un chantier de recherche participative sur les mots de la démocratie.

Voici en quelques mots l’idée que je soumets à discussion afin de voir si des membres de Démocratie Ouverte et/ou des lecteurs de persopolitique.fr ont envie de s’en saisir avec moi.

Nouvel imaginaire démocratique, les mots pour le  dire

Même dévalués, les mots pour décrire la démocratie parlent (encore !) à tous : Suffrage universel, droits de l’Homme, vote, Parlement, République,… L’imaginaire perdure même quand les pratiques réelles laissent de plus en plus à désirer. Même les abstentionnistes, les déçus de la démocratie représentative ne peuvent tout simplement pas concevoir sa disparition.

Il n’y a en effet pas d’imaginaire sans mots communs. Des mots émotionnellement chargés pour chacun, qui racontent notre histoire, qui nous saisissent et nous dépassent. Des mots qui en amènent d’autres à l’esprit, spontanément, et qui, de la partie, font le tout : le simple mot de « vote » permet d’évoquer la République tout entière, ses différentes élections, son mode de décision où chaque voix compte,…

L’enjeu est donc majeur : comment faire en sorte que des mots nouveaux remplacent/complètent les mots anciens pour constituer un nouvel imaginaire ?

Certains diront à quoi bon ? Les imaginaires se construisent d’eux-mêmes par lente sélection et sédimentation. Personne ne peut prétendre « construire » un imaginaire. Evidemment ! Néanmoins on peut travailler à accélérer la cristallisation, face à la dégradation rapide du modèle précédent.

Ces mots nouveaux existent déjà mais ils n’ont pas la puissance d’évocation des mots de l’imaginaire ancien. On voit bien que certains mots sortent de l’oubli et de la confidentialité. Je le disais récemment pour COMMUN.

Voici une première tentative de lister ces mots, anciens et nouveaux, dans un joyeux désordre de concepts, de pratiques, de symboles… Pour moi l’idée n’est pas de classer rationnellement mais d’assembler sensiblement !

Voici donc ce que je propose de faire (ce n’est qu’une base de discussion) :

  1. On met ces listes de mot sur internet et on invite chacun à valider, enrichir ou modifier cette liste
  2. Ceux qui le souhaitent se saisissent d’un mot et proposent une fiction anticipant une pratique démocratique concernant ce mot (je l’avais fait par exemple sur le tirage au sort)
  3. Ces fictions sont mises en ligne en illustration des mots de la liste (il peut y avoir plusieurs fictions sur le même mot)
  4. L’idéal serait qu’on trouve ensuite un moyen de visualiser les liens que les fictions permettent de faire entre les mots et d’aboutir ainsi à une cartographie de l’imaginaire démocratique, où l’on verrait les mots intensément soutenus et/ou racontés en fiction, les mots bien reliés et les mots isolés,…

Que ceux qui sont intéressés n’hésitent pas à laisser un commentaire, si possible avant l’AG de Démocratie Ouverte du 30 octobre prochain.