Mycélium n°2

Même si souvent les textes de Persopolitique « s’inspirent de faits réels », il est rare que je relate en détail une expérience personnelle. Si je le fais aujourd’hui, c’est que cette expérience est pour moi très symptomatique d’un autre rapport au politique possible… et souhaitable !

Olivier Frérot ne m’avait donné que quelques bribes d’explication. Même s’il ne l’avait pas dit exactement comme ça, ça ressemblait un peu à l’appel des disciples par le Christ dans l’Evangile : « Viens, laisse tes affaires en plan et suis-moi » ! C’était à la fois flatteur et inquiétant d’être ainsi « élu ». Et puis il y avait ce nom énigmatique de Mycélium[1]… Dans quoi je m’embarquais ?!

J’avais failli renoncer à venir quand Olivier m’avait informé que les personnes que je connaissais au moins de nom avaient finalement déclaré forfait. La curiosité et le souhait de ne pas ajouter à la déception d’Olivier m’ont conduit jusqu’à cette maison de l’Yonne où nous accueillait ce « jardinier punk » et j’y ai passé quatre jours décoiffants.

J’ai su que j’allais vivre un événement marquant quand je me suis aperçu de la facilité avec laquelle j’avais mémorisé les prénoms des 10 personnes avec qui je m’étais embarqué pour l’aventure sans savoir réellement ce que j’allais faire.

Si vous m’avez lu jusque-là, vous devez commencer à vous demander si je vais enfin dire ce que j’ai vécu de si extraordinaire pour mobiliser un billet de blog d’habitude plus politique que perso même s’il est toujours persopolitique ! Un séminaire ? non il y aurait eu des intervenants et un programme, là rien de tout ça. Un voyage d’étude ? d’une certaine manière oui, puisque nous avons rencontré chemin faisant personnes et initiatives originales et questionnantes mais un voyage d’étude est centré sur des rencontres prévues d’avance autour d’un thème commun et un protocole pour les étudier et en rendre compte, là encore rien de tout ça ! Alors c’était un simple week-end prolongé entre copains heureux de se retrouver et d’échanger sur tout et rien ? oui à nouveau, il y avait de ça dans l’absence de formalisme, dans la bonne humeur et l’improvisation, dans la prolongation heureuse des repas préparés ensemble avec ce qui avait été apporté par les unes et les autres (plus les unes que les autres, avec une spéciale dédicace pour les cakes de Céline et les confitures de Sophie !) … mais pour autant c’était plus qu’un bon moment entre amis par l’intensité des échanges autour des cartes de nos relations que dessinait Eric (Mycélium sensible, Mycélium des compétences perçues), les moments d’émotion subite qui pouvaient en résulter quand on se reconnaissait porteurs des mêmes aspirations patiemment décrites et ajustées en passant des mots des uns aux mots des autres, quand on découvrait en soi des vérités non-dites jusque-là, ni ici, ni ailleurs.

Nous avions beaucoup utilisé au début de la rencontre le terme « quantique » (nous avions parmi nous Irénée, un jeune chercheur en physique quantique) pour parler des choses qui étaient à la fois une chose et leur contraire sans qu’on puisse réellement décider de ce qu’elle était en réalité. « C’est quantique ! » était devenu une pirouette qui concluait une discussion sans conclusion. J’ai envie de dire que c’est toute notre rencontre qui était quantique, tant son état ne pouvait jamais se définir ou se figer.

On peut aussi dire que c’était une rencontre qui ouvrait à d’autres rencontres. Et cela de manière multiple : une rencontre Mycélium avait été organisée à Cerisy lieu de colloques à la fois huppés et fraternels (du moins c’est ainsi que je me les représente), elle en appelait d’autres et nous étions invités à la deuxième, une troisième est déjà en gestation et une démultiplication est dans l’ordre des choses si l’on veut être fidèle à l’idée même de Mycélium ; notre Mycélium n°2 était à la fois une rencontre entre des « anciens » et des « nouveaux » qui ont appris – très vite – à faire groupe (avant même de nous connaître, nous nous reconnaissions) et une série de rencontres avec des personnes d’horizons très divers (on y reviendra) qu’Eric nous proposait chemin faisant d’aller voir à l’improviste (incroyable disponibilité de toutes celles et de tous ceux qui se sont prêtés au jeu de se raconter et de répondre à notre curiosité face à leur parcours et à leurs initiatives).

Sur la page Facebook du « protokol Mycélium », on lit cette phrase assez sibylline dans l’à-propos : groupe de réflexion et de proposition d’un protocole fonctionnel autour du récit du monde d’après, de sa maïeutique, et de la création d’un avenir souhaité.

Participer au Mycélium, c’est d’abord écouter et mettre de côté son ego comme le disait Françoise. C’est aussi tisser des liens entre des points de vue sans chercher à convaincre et à déboucher sur une vision commune. C’est complexifier, enrichir plutôt que simplifier : le spirituel, le scientifique, le politique, le Vivant, le « care », l’imaginaire se convoquent tour à tour, interfèrent et amènent des éclairages nouveaux. La théorie et la pratique se répondent et se nourrissent.

Un fil rouge s’est peu à peu esquissé autour de la recherche de nouveaux modes de vie quand la survie même est en jeu : un couple et ses trois enfants qui choisissent d’habiter dans une « tiny house » ces maisons mobiles de 20 m² qui traduisent le choix de la décroissance y compris de l’espace habité ; un entrepreneur, ancien du Raid, qui investit toute sa fortune dans la construction méthodique d’un domaine prévu pour survivre à l’effondrement (mais avec une Tesla flambant neuve, une piscine à osmoseur, des cabanes tout confort …) ; une activiste fragile et inébranlable qui anime sans discontinuer des cercles de silence pour pousser les politiques à l’action sur le climat ; les jeunes de la Caserne Bascule (CasBa) qui construisent un lieu où ils expérimentent la vie collective, la gouvernance partagée et l’engagement en faveur de la transition en lien avec le territoire…  Cette dernière rencontre était sans doute la plus aboutie : une visite des lieux, un repas partagé, et, clou de la soirée, deux contes dits par Françoise (d’où sort l’escarboucle que vous retrouverez plus bas sous la plume de Sophie). Il fallait voir ces trentenaires actifs et engagés subjugués par l’histoire de la Vouivre réimaginée au cœur du XXIème siècle !

Et bien sûr je n’oublie pas les expérimentations de notre jardinier punk qui a su rendre sa fertilité à une terre argileuse difficile à cultiver pour créer un jardin sauvage fait de prairies accueillant des graminées de toutes sortes et des mares qui semblent avoir toujours été là avec leurs nénuphars et leurs grenouilles. Tout cela en limitant au strict nécessaire l’intervention humaine ! Sur une autre parcelle, il a mis à disposition sa terre à celles et ceux qui avaient envie de tester, sur de grands cercles drainés par un fossé en pourtour, des jardins nourriciers appliquant les mêmes principes de frugalité (par exemple, utiliser uniquement l’eau qui s’accumule dans un impluvium – commun à deux cercles, histoire de voir aussi comment on se débrouille pour partager une ressource rare).

Je reprends à mon compte les mots d’Eric : « Tisser des liens et les étendre vers de nouveaux horizons, de nouvelles personnes, écrire le récit de cette épopée fantastique, voilà un peu de ce que nous avons fait ». Il poursuit : « Le Mycélium se propage et transforme le milieu, comme nous le souhaitions, en contribuant à le rendre plus fertile. Aux idées, aux envies, à la bienveillance, à l’altérité, à l’accueil de cet inconnu pas seulement fait de peurs légitimes ».

Sophie, pour sa part, trouve « la recette assez simple en fait » : « L’endroit d’abord, parce qu’une bonne dose de beauté végétale donne une première impression d’un monde moins blessé (et je n’ai pas choisi le mot impression par hasard, certains peintres devaient avoir la prescience d’un jardin punk). Ensuite et surtout, quelques âmes de l’ordre de la pépite, du diamant, de l’escarboucle. Là, on frôle le sublime du bout des doigts et du cœur. Et la touche finale, le meilleur, le plus beau, une efflorescence de pensées et d’idées, comment dire, myceliumesques ? Oui, je vois aussi des fusées partant dans tous les sens. » Elle conclut par un « Essayez ! » qui me semble la clé. Le Mycélium va se développer parce que la recette est simple et qu’elle peut être essayée par tous ceux qui voudront étendre les liens tissés vers de nouveaux horizons. Merci Olivier d’avoir su nommer très exactement les choses : Mycélium.

Petit retour à l’actualité du jour (on ne se refait pas !). Au moment où beaucoup s’interrogent sur la manière de lutter contre la propagation de l’abstention, d’élection en élection, par des voies éculées (appels au civisme, vote obligatoire,…), ne devrions-nous pas tout simplement chercher à revitaliser la politique sur le mode du mycélium ? La propagation des liens et des envies d’agir avec un minimum d’énergie (pas de grande campagne sur le civisme) mais une attention forte au « protokol », à la manière dont les liens se développent de proche en proche.

Les 11 sporophores[2] du Mycélium n°2

  • Irénée, chercheur quantique qui aime que les choses restent en suspens
  • Jacques, océanographe entrepreneur qui a le regard étonné d’un enfant et une capacité d’écoute peu courante
  • Nils, celui qui fait dialoguer l’innovation, la création numérique et les enjeux de société, profondément là malgré ses absences
  • Céline, agent de ceux qui ont quelque chose à partager mais ne savent pas le faire eux-mêmes, toujours prête à explorer des voies nouvelles pour comprendre et réunir
  • Françoise, conteuse nomade qui ne s’en laisse pas compter, digne héritière de Françoise Héritier
  • Olivier, l’homme qui fait autorité, attentif à chacun.e et à notre progression collective, toujours en mouvement et toujours prêt à en découdre avec les institutions
  • Sophie, infirmière qui se voudrait invisible pour mieux exercer son art de l’observation et dont on comprend vite qu’elle a beaucoup vu
  • Frida, conteuse, italienne, féminine et pourtant toujours en lutte contre l’invisibilité
  • Frédérique, travaille la terre, du torchis au raku, a un rapport viscéral à la mer et semble toujours un peu ailleurs
  • Eric, jardinier révolté et heureux de vivre, sensible et gamin, merveilleux passeur de l’intelligence du vivant
  • Hervé, assembleur de mots pour les récits d’un nouveau monde

 

[1] En référence au mycélium dont on découvre toujours plus les fonctions essentielles à la communication et à l’alimentation au sein du monde Vivant : arbres, champignons, humus…

[2] Les sporophores, ce sont les parties émergées et reproductives du Mycelium, autrement connues sous le terme de champignons. Mais je n’allais pas nous traiter de champignons même si nous assurons bien la visibilité et la reproduction du réseau ouvert que nous constituons !

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

2 réflexions sur « Mycélium n°2 »

  1. Merci pour ton texte, Hervé ! Au fond, toute la subtilité des liens quantiques nécessite de « rester en suspens », pour ne pas faire « s’effondrer » (!) l’état collectif dans une configuration figée (les physiciens disent litéralement que la mesure par un appareil fait s’effondrer, « colapser », la fonction d’onde du système)… L’analogie avec les liens du mycélium (ténus et tenaces) est plutôt bien trouvée !

  2. Les lectrices et les lecteurs de Persopolitique, qui sentaient s’éveiller en eux la curiosité pour l’ovalie intérieure – autre terme pour évoquer le mycelium et sa capacité à abolir les frontières entre « essai(s) » et « transformation(s) » – savaient dorénavant qu’ils se trouvaient des lieux où ils eussent quelque chance d’entrevoir le nouveau-monde.

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